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Comment nos cellules ont-elles appris à respirer?

Comment nos cellules ont-elles appris à respirer?

25.03.2016, par
Illustration mitochondries
Les biologistes soupçonnaient que nos cellules avaient acquis la respiration en ingérant des bactéries libres qu’elles hébergent depuis en permanence. Des travaux récents indiquent qu’il pourrait s’agir d’une infection plutôt que d’une ingestion.

Comment sont apparues nos cellules ? Plus précisément, comment ont-elles acquis leurs mitochondries, des organites indispensables au métabolisme cellulaire ? La question taraude les biologistes depuis près d’un siècle. En février, une équipe du CNRS a proposé une explication impliquant… une infection par une bactérie pathogène ! Audacieuse, cette théorie divise les biologistes.

Tout se serait joué il y a environ deux milliards d’années. C’est alors que seraient apparues les cellules dites eucaryotes qui constituent tous les animaux et les végétaux. À la différence des cellules procaryotes telles que les bactéries, les cellules eucaryotes sont dotées non seulement d’un noyau contenant la quasi-totalité de leur ADN, mais aussi – et surtout – de deux structures très importantes : les mitochondries et, chez les plantes et les algues, les chloroplastes.

Véritable usine énergétique interne, la mitochondrie assure la respiration cellulaire qui permet la production d’une énergie utilisable par la cellule. Quant au chloroplaste, c’est le centre de la photosynthèse, ce processus assurant, grâce à l’énergie lumineuse, la synthèse de sucres à partir du CO2 atmosphérique.

L’hypothèse d’une symbiose largement acceptée…

Comme mitochondries et chloroplastes sont des structures semi-autonomes dotées de leur propre patrimoine génétique, en 1970, la microbiologiste américaine Lynn Margulis postula qu’elles étaient apparues au cours de l’évolution, après l’ingestion – on dit aussi endocytose – de certaines bactéries libres par d’autres organismes unicellulaires procaryotes. Des bactéries libres douées initialement de la capacité de respiration (en ce qui concerne la mitochondrie) ou de photosynthèse (pour le chloroplaste). Cette endocytose des chloroplastes, qu’on fait remonter à 1,5 milliard d’années, semble postérieure à celle des mitochondries. Ces bactéries « ingérées » se seraient ensuite maintenues dans leurs hôtes grâce à l’établissement d’une coopération mutuelle bénéfique aux deux. On parle alors de symbiose : la bactérie aurait fourni à la cellule hôte son processus énergétique ; laquelle, en contrepartie, lui aurait apporté protection et nutriments nécessaires à son fonctionnement. Cette théorie de l’endosymbiose est aujourd’hui celle acceptée par la majorité des biologistes.
 

Mitochondries
Mitochondrie vue au microscope électronique à transmission (grossissement x46500).
Mitochondries
Mitochondrie vue au microscope électronique à transmission (grossissement x46500).

… mais pas totalement comprise

Demeuraient toutefois plusieurs zones d’ombre concernant la nature exacte de la cellule primitive qui a avalé la bactérie, le mécanisme précis de cette internalisation et surtout la manière dont la bactérie avait initialement pu se maintenir à l’intérieur d’un hôte a priori hostile. En effet, les cellules sont dotées de mécanismes immunitaires très agressifs destinés à détruire tout élément s’immisçant en elles… Dans leur article publié en février dernier1, le biologiste lillois Steven Ball2 et ses collègues proposent justement un mécanisme expliquant comment la bactérie aurait pu faire face aux défenses de la cellule hôte. Une thèse étonnante.

Mitochondrie : une origine pathogène ?

Dans cette théorie, la cellule ancêtre des cellules eucaryotes aurait acquis sa première mitochondrie non pas en capturant une bactérie libre, mais plutôt en étant infectée par une bactérie pathogène habituée à vivre à l’intérieur des cellules et naturellement douée de mécanismes lui permettant de contrecarrer les défenses immunitaires cellulaires.

Nous sommes
arrivés à la conclusion que
la mitochondrie
dérivait
directement d’une
bactérie de l’ordre
des rickettsies.

« En effet, en rassemblant différents résultats récents de phylogénie (étude des relations de parentés entre différents êtres vivants) et de biologie moléculaire, nous sommes arrivés à la conclusion que la mitochondrie dérivait directement d’une bactérie de l’ordre des rickettsies, auquel appartient notamment l’agent du typhus (Rickettsia prowazekii), cette maladie contagieuse grave de l’humain », précise Steven Ball.

En fait, la parenté de la mitochondrie et des rickettsies avait déjà été notée par plusieurs études antérieures. Mais elle n’avait jamais été prise aux sérieux comme l’explique le chercheur : « Car d’une part on pensait que les rickettsies étaient apparues bien plus tard après l’apparition des cellules eucaryotes. D’autre part, on n’imaginait pas que l’ancêtre procaryote pouvait être infecté par d’autres bactéries pathogènes. » Les données exposées dans l’article des chercheurs lillois remettent en cause ces présupposés.

 

Rickettsia rickettsii
Microphotographie colorisée, prise au microscope électronique, de bactéries Rickettsies.
Rickettsia rickettsii
Microphotographie colorisée, prise au microscope électronique, de bactéries Rickettsies.

La thèse du « ménage à trois »

Mais il n’y a pas que la mitochondrie ! Dans une étude parue il y a deux ans, les chercheurs étaient arrivés à une thèse similaire pour, cette fois, le chloroplaste. Ils avaient alors suggéré que celui-ci découlait lui aussi de l’infection d’une cellule ancestrale par une bactérie pathogène, mais via un mécanisme différent impliquant ici un ménage à trois, et non à deux (bactérie plus cellule hôte).

« Ici, détaille Steven Ball, nous avions confirmé que le chloroplaste dérivait bien lui d’une bactérie libre douée de la photosynthèse. Mais – et c’est là que notre thèse est innovante – cette cyanobactérie aurait été assistée par un troisième acteur : le pathogène intracellulaire justement. Lequel serait cette fois une bactérie de l’ordre des chlamydiae, responsables elles aussi de diverses maladies humaines et animales (chlamydiose, etc.). »

Dans cette thèse, le pathogène aurait protégé une cyanobactérie – le futur chloroplaste – des défenses de l’eucaryote hôte. Tout en fournissant à la cellule hôte (via transfert de ses gènes dans le génome de celle-ci) les fonctions nécessaires pour utiliser les molécules énergétiques produites par photosynthèse.
 

Chloroplastes
Microphotographie colorisée de chloroplastes prise au microscope électronique à transmission (grossissement x5000).
Chloroplastes
Microphotographie colorisée de chloroplastes prise au microscope électronique à transmission (grossissement x5000).

Une théorie plausible… mais controversée

« Issus d’un long cheminement commencé il y a dix ans, nos travaux ouvrent une nouvelle ère très excitante dans la recherche sur l’origine de la mitochondrie et du chloroplaste, et donc des cellules eucaryotes », commente Steven Ball. « Effectivement, ces travaux sont très intéressants, et ces thèses, très plausibles », confirme Ben Field, spécialiste de la biologie du chloroplaste3.

Au laboratoire Biométrie et biologie évolutive4, à Lyon, Manolo Gouy est, quant à lui, beaucoup moins enthousiaste : « Ces travaux ne sont que des hypothèses non appuyées par des résultats d’expériences. Ils nécessitent confirmation… S’il est clair que la mitochondrie et le chloroplaste sont d’origine bactérienne, je ne pense pas que l’on ait pour l’instant des éléments forts permettant de préciser le mécanisme par lequel la bactérie est entrée dans la cellule hôte. »

On s’y attendait
à la controverse
car c’est un
changement total
de paradigme.

On l’aura compris, la théorie de l’équipe de Steven Ball ne fait pas l’unanimité chez les biologistes. Elle soulève même une vive controverse. « On s’y attendait, car c’est un changement total de paradigme », rétorque Steven Ball. Afin de confirmer ou d’infirmer leurs thèses, ses collègues et lui projettent de nouvelles études « tant sur les plans de la microbiologie expérimentale et de la biochimie que sur celui de la phylogénie ».

Il est en effet crucial de savoir comment la cellule ancêtre des eucaryotes est parvenue à ingérer un micro-organisme entier doté d’un patrimoine génétique propre. Résoudre cette énigme n’est pas qu’un problème de recherche fondamentale. Car, explique Steven Ball, « il deviendrait alors possible de transmettre, dans des cellules, non pas un ou quelques gènes mais un grand nombre, ainsi que les structures cellulaires entières. Ce qui permettrait de faire en sorte, par exemple, que des plantes puissent fixer de l’azote atmosphérique ou que des micro-organismes produisent de l’hydrogène, un potentiel carburant d’avenir ».

 

Notes
  • 1. Pathogen to powerhouse : how did the precursors to the mitochondrion and the plastid evade host defense ? » Steven Ball et al., Science, 12 février 2016, vol. 351 (6274) : 659-662.
  • 2. Unité de glycobiologie structurale et fonctionnelle (CNRS/Univ. de Lille).
  • 3. Laboratoire de génétique et de biophysique des plantes (CNRS/CEA/Univ. Aix-Marseille).
  • 4. Unité CNRS/UCBL.

Auteur

Kheira Bettayeb

Journaliste scientifique freelance depuis dix ans, Kheira Bettayeb est spécialiste des domaines suivants : médecine, biologie, neurosciences, zoologie, astronomie, physique et nouvelles technologies. Elle travaille notamment pour la presse magazine nationale.