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Le volcan, le savant et le politique
Une fois par mois, retrouvez sur notre site les Inédits du CNRS, des analyses scientifiques originales publiées en partenariat avec Libération.
Mayotte, janvier 2019. Devant les yeux ébahis des chalands, se retrouvent sur les étals des marchés de curieux poissons appartenant à la famille des Macrouridea (grenadier), un poisson qui n’apparaît pourtant dans aucun plat traditionnel mahorais. Et pour cause : il vit dans les abysses bien au-delà des profondeurs atteintes par les pêcheurs de l’île. Une autopsie réalisée par un vétérinaire sur un spécimen, récupéré mort à 35 kilomètres de la côte, révèle que « les lésions mises en évidence sont celles d’une sursaturation gazeuse, comme celles rencontrées lors d’un accident de décompression… En fait le poisson ne serait pas mort d’intoxication… mais plutôt parce qu’il aurait fui un danger... ».
La naissance du quatrième volcan actif français
Cet épisode n’est en fait que le dernier en date d’une série qui a commencé huit mois plus tôt, plus exactement mardi 15 mai 2018 à 18 h 48 heure locale, avec la plus forte secousse sismique jamais enregistrée dans la zone des Comores. D’une magnitude de 5,8, elle est très largement ressentie sur toute l’île de Mayotte ainsi que dans d’autres îles des Comores et provoque immédiatement un vent de panique, suscitant des questions bien légitimes tout en alimentant toutes les théories imaginables, mêlant campagne de prospection pétrolière, monstre sous-marin et soubresauts d’un zébu enterré vivant.
Mais la secousse a aussi marqué le début d’une enquête scientifique haletante de plusieurs mois. Des navires océanographiques bardés d’électronique et d’informatique partent ratisser les fonds sous-marins pour scruter la moindre anomalie à plus de 3 500 mètres de fond. De nouvelles stations sismologiques et géodésiques sont installées à terre et en mer pour compléter le maigre réseau existant. Le coupable est enfin découvert en mai 2019 : il s’agit de la naissance, sous nos yeux, d’un volcan sous-marin de 5 kilomètres de diamètre et de 800 mètres de haut, localisé à 50 kilomètres à l’est de Mayotte…
Certains séismes sont localisés sous l’île où des dégazages importants sont observés. On craint alors que des parties du flanc Est de l’île de Mayotte soient déstabilisées et on redoute même un tsunami. Les chercheurs sont mobilisés. Si ce n’est pas, en théorie, leur rôle de surveiller un volcan, recherche et surveillance se trouvent intimement liées en pareil cas. Tout en se mettant ainsi au service de la société, les scientifiques accumulent des données géophysiques, géochimiques et géologiques qui nourrissent la recherche, et permettront peut-être un jour, par exemple, d’anticiper une éruption volcanique. En attendant, il faut réagir vite, très vite, pour suivre, traiter, analyser et mettre à disposition les avalanches de données et, parallèlement, trouver les budgets nécessaires pour pouvoir travailler.
Quand les scientifiques composent avec les politiques
Agir vite ? En matière de risques telluriques1, avec des acteurs potentiels répartis dans treize organismes de recherche, rattachés à huit tutelles ministérielles différentes, nous partons avec un sévère handicap ! En termes policés, on parle de « dispersion de la chaîne du risque tellurique ». Il n’y a pas d’autre solution que de lancer un appel général à la communauté nationale des sciences de la Terre, ce qui est fait à la fin du printemps 2019 : vingt-cinq spécialistes provenant de six universités, du CNRS, de l'Institut de physique de Globe de Paris, de l'Ifremer et du Bureau de recherches géologiques et minières répondent présents pour organiser la surveillance du quatrième volcan actif français.
La communication vers la population de nos découvertes est entre les mains de la Délégation interministérielle aux risques majeurs outre-mer (Dirmom) et de la Préfecture de Mayotte. Là aussi, ce n’est pas une évidence pour les chercheurs, habitués à communiquer « spontanément », au fur et à mesure de leurs découvertes. Il est vrai cependant que le contexte social et politique est tendu à Mayotte et on peut craindre que la situation se dégrade davantage avec une telle nouvelle. « Il ne manquait plus que ça ! », s’est d’ailleurs exclamé le préfet de l’époque lorsqu’on lui a appris la découverte du volcan. Conseillers du président de la République et du Premier ministre, ministres, directeurs de cabinet, préfets, députés et Délégation interministérielle aux risques majeurs… Au plus haut niveau, les réunions s’enchaînent alors.
À la demande du cabinet du Premier ministre, le Réseau de surveillance volcanique et sismologique de Mayotte (RéVoSiMa) est créé à l’automne 2019. Sa vocation est double et complémentaire. D’une part, il est chargé de suivre l’évolution de la sismicité et des déformations de l’île en réalisant des mesures en continu sur terre et épisodiques en mer. Ces données sont essentielles pour apporter aux pouvoirs publics les connaissances nécessaires à la gestion de la situation. Des scénarios de dommages sismiques et d’impacts des potentiels tsunamis, ainsi que des outils d’estimation rapide des pertes en cas de secousse, sont par exemple développés et mis à disposition des acteurs locaux. D’autre part, il permet aux scientifiques de poursuivre leurs travaux via le déploiement de capteurs et le traitement des données acquises en mer et à terre, l’analyse et les modélisations nécessaires pour mieux comprendre les phénomènes.
La pandémie liée au coronavirus a remis au goût du jour l’ouvrage du sociologue allemand Max Weber, Le Savant et le Politique publié en 1919. L’auteur y définissait le métier de l’homme de science et celui de l’acteur politique. Dans sa préface à l’édition française publiée en 1959, Raymond Aron avait résumé la différence entre ces deux métiers de la façon suivante : « La vocation de la science est inconditionnellement la vérité. Le métier de politicien ne tolère pas toujours qu’on la dise ». Le savant (aujourd’hui le scientifique) n’apprécie guère les approximations, il veut de la rigueur et des certitudes. Qu’il s’agisse de virus ou de volcans, force est de constater que le politicien de son côté doit agir dans l’urgence et décider dans l’incertitude. À défaut de solution hybride, soyons pragmatiques et gardons en tête le dialogue entre L’Aveugle et le Paralytique de Jean-Pierre Claris de Florian : « J’ai mes maux et vous avez les vôtres. Unissons-les, mon frère, ils seront moins affreux ». ♦
Les points de vue, les opinions et les analyses publiés dans cette rubrique n’engagent que leur auteur. Ils ne sauraient constituer une quelconque position du CNRS.
- 1. Séisme, tsunami, éruption volcanique, glissement de terrain.
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