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Faut-il autoriser la chasse au loup?
Le 22 mai prochain, Jean-Marc Moriceau1 publiera aux éditions Tallandier « Vivre avec le loup ? 3 000 ans de conflit ». Il s'agit de la synthèse d’un symposium inédit sur le sujet qui, en octobre 2013, a réuni à Saint-Martin-Vésubie plusieurs centaines d’acteurs, de témoins, de victimes, de chercheurs et d’observateurs. Interview à contre-courant d’un chercheur à la voix dissonante.
Comment s’est passé le retour du loup en France ?
Jean-Marc Moriceau : Canis lupus, le loup gris, est revenu sur notre territoire en 1992. Au moment des premières attaques sur les ovins, le ministère de l’Environnement de l’époque parachevait, en juillet 1993 le classement du loup comme animal protégé. De ce fait, il est aujourd’hui strictement interdit de le chasser. Dans le cas général, un éleveur n’a pas le droit de tuer un loup, même s’il attaque son troupeau. Il ne peut le faire qu'après deux ou trois attaques successives sur ses bêtes et si le préfet a donné une autorisation temporaire (c'est justement dans ce cadre qu'un loup vient d'être abattu en Savoie). Dans les années 1990, d’autres pays, l’Espagne par exemple, ont préféré un statut de dérogation qui autorise la chasse dans certains territoires.
Combien comptabilise-t-on de loups en France aujourd’hui ?
J.-M. M. : Il est difficile de connaître le nombre exact d’individus. Il varie selon que l’on effectue le comptage avant ou après la naissance des louveteaux (en avril-mai), mais il se situe entre 200 et 400, probablement autour de 300. Ce canidé occupe aujourd’hui un quart du territoire français. On le trouve bien au-delà des Alpes : dans le Jura, les Vosges, mais aussi le Massif central, les Pyrénées, la Meuse, l’Aube, la Haute-Marne, l’Aude et le Gers.
Combien d’animaux d’élevage sont dévorés chaque année ?
J.-M. M. : Près de 6 000 animaux d’élevage2, surtout des brebis, mais aussi quelques bovins et équins, sont tués chaque année en France par le loup. Lors d’une attaque, le loup tue souvent plus d’animaux qu’il n’en a besoin pour se nourrir. En effet, dans un troupeau d’animaux domestiques dépourvus de réflexe de fuite, il subit un processus dit de « surplus-killing » qui le pousse à mordre un grand nombre de bêtes, pour n’en dévorer finalement qu’une seule.
On entend parfois que les chiens errants seraient plus nuisibles que les loups …
J.-M. M. : C’est inexact. Pour protéger le loup, certains de ses défenseurs ont fait des chiens errants leur bouc-émissaire et le proclament à l’opinion publique. Mais, depuis le retour du loup, il y a quatre à cinq fois plus d’attaques qu’avant, alors qu’il y a justement moins de chiens errants (eux-mêmes sont en effet tués en partie par les loups). Il y a bien sûr des attaques par les chiens, mais, dans les zones à loups, elles sont secondaires3.
attaque, des
dizaines de brebis
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d’autres font
des malaises...
En cas de pertes dues au loup, les éleveurs sont-ils dédommagés ?
J.-M. M. : Oui, mais pour cela des experts doivent réunir des preuves, parfois difficiles à établir, que les animaux ont bel et bien été tués par le loup, qui laisse des marques de crocs bien distinctes sur la gorge. Une fois la preuve faite, l’éleveur reçoit une somme correspondant au manque à gagner causé par l’attaque. Mais tous les dommages collatéraux ne sont pas pris en compte : à la suite d’une attaque, des dizaines de brebis sont en état de stress, les mères font parfois des fausses couches, d’autres font des malaises, leur production baisse et, du côté de éleveurs, la tension monte, les soucis aussi. Ces conséquences sont souvent sous-estimées, avec une certaine indifférence.
Vous parlez même d’injustice envers les éleveurs…
J.-M. M. : En 1992 et en 1993, une poignée de décideurs au ministère de l’Environnement a pris, pour toute une nation, la décision de protéger le loup. Notons que le retour du loup a été occulté des mois durant par ce ministère. C’est la presse qui l’a révélé, dans le magazine « Terre sauvage ». Cela a créé chez les éleveurs un climat de suspicion envers les pouvoirs publics. Aujourd’hui, une grande partie des observateurs que l’on entend sur le sujet sont pro-loups. Mais ils parlent sans avoir à subir les conséquences de la cause qu’ils entendent défendre. L’immense majorité peut toujours édicter des règles et poser ses exigences sans en subir les effets. Seuls les éleveurs sont réellement confrontés au loup. En cela, c’est en effet une injustice. Lors du symposium de Saint-Martin-Vésubie, en octobre dernier, on a réalisé à quel point les éleveurs sont en détresse. Certains sont prêts à mettre la clé sous la porte, d’autres, à protester violemment. C’est un problème très sérieux.
Quelle solution préconisez-vous ?
J.-M. M. : Il faut que les victimes aient davantage voix au chapitre, par exemple lors d’États généraux européens du loup qui réuniraient tous les acteurs (éleveurs, écologistes, administrateurs, gestionnaires, ethnologues, chercheurs, politiques, historiens, sociologues, biologistes, etc.). Il faut réécrire les textes européens, mener une politique à la fois globale et territorialisée, contextualisée, adaptée aux situations. Ce qui signifie qu’il faut rendre le loup chassable sous certaines conditions, dans certaines régions. Je parle ici d'une autorisation durable et qui ne nécessiterait pas d'attendre qu'il y ait déjà eu des attaques sur une exploitation en particulier. Cela ne conviendra pas à tout le monde : certains pro-loups voudront continuer à le protéger plus strictement, tandis que certains anti-loups voudront le rendre chassable partout, mais un tel compromis contribuerait à apaiser les tensions.
À quand remonte la figure du grand méchant loup ?
J.-M. M. : Nous avons longtemps pensé qu’elle s’est forgée durant le Moyen Âge, mais les dernières recherches4 suggèrent qu’elle remonte à l’époque antique. Nous disposons en effet de stèles érigées à la mémoire d’enfants dévorés par des loups dès le IIe siècle. La figure du grand méchant loup à abattre perdure jusqu’aux années 1960. En 1954 encore, un couple de loups italiens est repéré vers Grenoble. Lorsque deux chasseurs tuent l’un d’entre eux, le conseil général de l’Isère leur accorde des primes et ils sont encore considérés comme des héros. Le basculement intervient avec la prise de conscience écologique, au début des années 1970. Le loup est maintenant devenu un emblème de la biodiversité.
Y a-t-il réellement eu des attaques d’hommes par des loups dans l’histoire ? Sont-elles recensées ?
J.-M. M. : Bien sûr, ce n’est pas une légende ! Durant le XXe siècle, il n’y en a et qu’une poignée. Mais nous avons recensé 9 000 victimes humaines du loup entre le XVIe et le XIXe siècle. Chacune de ces attaques fait l’objet d’une entrée renseignée sur le site Internet Homme et loup. Ce site, qui s’enrichit des apports des internautes, est unique en Europe. Mais nous pensons qu’il y en a eu beaucoup plus, encore non retrouvées ou non documentées, probablement entre 30 000 et 40 000 durant cette période. Le loup ayant disparu pendant des décennies, les hommes d’aujourd’hui ne se rendent plus compte des dégâts importants qu’il a causés et qu’il peut causer encore. Nous sommes face à une amnésie collective.
De nouvelles attaques d’humains sont-elles encore possibles aujourd’hui ?
J.-M. M. : Ce n’est pas impossible, mais dans des conditions très particulières, très rares. Les attaques que nous avons recensées jusqu’au XIXe siècle portaient sur des femmes et des enfants, souvent mal nourris, qui gardaient des troupeaux à l’orée des forêts. On ne rencontre que très rarement ce genre de situation en France ! Le risque zéro n’existe pas, mais il est très faible.
- 1. Du Centre de recherche d’histoire quantitative (CNRS/Unicaen).
- 2. Sur les pas du loup. Album et Atlas historique du Moyen Age à nos jours, J.-M. Moriceau, Montbel, 2013, p. 41.
- 3. Une enquête menée par cinq chercheurs – Loup. Élevage. S’ouvrir à la complexité..., Laurent Garde (dir.), 2007, p. 30-40 – montre que, sur six territoires d’élevage de la France du Sud-Est, les chiens errants ont fait 1 200 victimes parmi les ovins entre 1994 et 2004.
- 4. Vivre avec le loup ? 3000 ans de conflit, Actes du symposium de Saint-Martin-Vésubie (9-12 octobre 2013), dir. J-M Moriceau, Tallandier, 2014.
Coulisses
Jean-Marc Moriceau est professeur d’histoire à l’université de Caen, membre de l’Institut universitaire de France, président de l’Association d’histoire des sociétés rurales et codirecteur du pôle rural de la Maison de la recherche en sciences humaines.
Auteur
À lire / À voir
Vivre avec le loup ? 3 000 ans de conflit, Jean-Marc Moriceau, Tallandier, mai 2014, 624 p., 29,90 €
Sur les pas du loup. Tour de France historique et culturel du loup du Moyen Âge à nos jours, Jean-Marc Moriceau, Montbel, 2013, 352 p., 39 €
Loup, élevage, s’ouvrir à la complexité…, Laurent Garde (dir.), Actes du séminaire technique des 5 et 16 juin 2006, Aix-en-Provence, Cerpam - Institut de l’élevage - Sime/Suamme, 2007, 272 p., 25 €
Commentaires
Une petite question idiote :
fauvelle.noire le 20 Mai 2014 à 22h28Hello, i`m interested in this
hugo.garduno le 22 Mai 2014 à 23h35Il n'est pas question de
natiki le 28 Mai 2014 à 14h20Si je comprends bien, en
natiki le 27 Mai 2014 à 02h45Connectez-vous, rejoignez la communauté
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