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Jean-Loup Puget, archéologue du cosmos

Jean-Loup Puget, archéologue du cosmos

17.07.2018, par
Astrophysicien à l’origine du satellite Planck – dont la mission vient de livrer ses tout derniers résultats ! –, Jean-Loup Puget recevra le 26  septembre à Hong Kong le prix Shaw en astronomie, après avoir reçu en mai le prix Gruber de cosmologie. Portrait de ce directeur de recherche émérite au CNRS qui a fait progresser notre connaissance sur le rayonnement fossile de l’Univers.

« Ce que je pense de Jean-Loup Puget ? C’est simple, il emballe tout le monde ! assure François-Xavier Désert, l’ancien doctorant de l’astrophysicien. Il a su réunir les énergies de nombreux chercheurs pour les faire avancer ensemble sur un grand projet : Planck  (lire le communiqué sur les derniers résultats de la mission Planck, NDLR) ». Jean-Loup Puget, directeur de recherche émérite au CNRS, à l’Institut d’astrophysique spatiale et au département de physique de l’École normale supérieure (ENS), est en effet l’un des pères du célèbre satellite de l’Agence spatiale européenne (ESA). C’est pour cette paternité qu’il est cette année lauréat du prix Shaw – surnommé le « prix Nobel asiatique » – dans la catégorie cosmologie. Deux autres contributions majeures à la recherche astrophysique lui ont valu cette prestigieuse récompense. Il a, d’une part, mis en évidence le fond diffus infrarouge cosmique et, d’autre part, proposé les molécules hydrocarbures aromatiques comme composantes du milieu interstellaire. Membre de l’Académie des sciences, Jean-Loup Puget a également reçu en mai 2018 le prix Gruber de cosmologie aux côtés de Nazzareno Mandolesi et du consortium Planck.

De l’encyclopédie Larousse à l’astronomie

« Mon père, un ancien infirmier, était né de parents domestiques. C’était un autodidacte qui se passionnait pour tout, qui achetait énormément de livres divers. Ce sont d’ailleurs mes lectures de l’encyclopédie Larousse qui m’ont poussé vers l’astronomie ! » Au lycée technique de Chalon-sur-Saône, il est vite repéré, vite envoyé dans une prépa scientifique à Lyon, vite admis à l’École des mines de Paris. Mais à une carrière d’ingénieur toute tracée, il choisit le chemin plus incertain – mais plus stimulant – de la recherche.

Quand il entre en première année à l’ENS de Cachan, en 1966, il est habité par la passion de la physique des particules. « J’adorais la mécanique quantique, mais je n’étais pas assez doué en maths pour mener des recherches dans cette discipline. » Il obtient tout de même un DEA de haut vol en physique théorique à l’université d’Orsay. « Lors de mon stage de DEA, je travaillais sur un modèle qui tentait d’expliquer le déséquilibre observé entre la matière et l’antimatière. Bref, à 23 ans, je faisais déjà de la cosmologie ! »

Il n’est pas le seul à porter haut les couleurs de la famille. Son jeune frère Pascal mène de son côté un doctorat de chimie qui le conduira notamment à être chef de projet (côté ingénieur) sur différentes manipulations astronomiques. « Nos parents étaient ravis : on les amenait à la science, on leur “offrait” les études auxquelles ils n’avaient pas eu accès. Inconsciemment, nous devions voir ça comme une sorte de revanche sur la vie. »

Après le DEA, Jean-Loup embraye sur une thèse de troisième cycle qu’il boucle en une année. Son objectif : déterminer, à l’aide des données de l’accélérateur de particules du Cern, l’annihilation entre la matière et l’antimatière1. Fort de ces travaux, il s’envole en 1970 pour le Goddard Space Center de la Nasa, avec pour mission de fouiller dans les données du satellite SAS-2 à la recherche des fameuses annihilations. C’est là qu’il va découvrir son actuel sujet de prédilection : les empreintes laissées dans le cosmos par les objets antédiluviens, les « fonds diffus », dans le jargon. Le plus célèbre d’entre tous, le fond diffus cosmologique, sorte d’écho du Big Bang sous forme d’ondes radio, fut découvert en 1965 par Arno Penzias et Robert Wilson.
 

Jean-Loup Puget en compagnie de Nabila Aghanim, collègue chercheuse en cosmologie et pilier de la mission Planck dont il est l'artisan.
Jean-Loup Puget en compagnie de Nabila Aghanim, collègue chercheuse en cosmologie et pilier de la mission Planck dont il est l'artisan.

Vers l’infrarouge lointain

Mais lors de son passage au Goddard Space Center, Jean-Loup Puget se penche sur d’autres lumières fossiles riches d’enseignements pour les archéologues du cosmos. Notamment le fond diffus infrarouge, celui produit par la lumière de toutes les générations de galaxies – une fois absorbée par la poussière. Alors que l’existence de ce bruit de fond n’est encore que théorique, le chercheur et son équipe – dont François-Xavier Désert et François Boulanger – le détectent dans les données du satellite Cobe. « Nous tenions là un outil précieux pour retracer l’histoire des étoiles, des galaxies, à travers l’émission des poussières contenues dans l’Univers. »

Nous sommes en 1996 et la carrière de Jean-Loup Puget s’envole. Entre autres faits d’armes, il dirige l’Institut d’astrophysique spatiale (1998-2005) à Orsay et devient l’un des coordinateurs scientifiques (« mission scientists ») de l’ISO, l’Observatoire spatial dans l’infrarouge de l’ESA. Quelques années auparavant, ce dernier avait capté un rayonnement singulier en provenance du milieu interstellaire, mais qui ne correspondait pas à la poussière dont on le croyait principalement empli. Jean-Loup Puget et son collègue Alain Léger avaient compris que cette étrange signature était celle des molécules hydrocarbures aromatiques (PAH), et que ces grosses molécules étaient l’une des composantes majeures du milieu interstellaire.

Quand il n’a pas la tête dans les étoiles, Jean-Loup Puget est souvent sur les flots. « Je suis un voileux, j’ai fait beaucoup de navigation dans le Grand Nord, vers les îles Féroé, l’Islande… » Voilà qui explique son allure sportive, son teint hâlé qui contrastent avec sa barbe et sa chevelure argentées. « J’ai d’ailleurs rencontré ma femme par le biais du groupe international de croisière des Glénans. Nous avons beaucoup navigué avec nos enfants, même quand ils étaient tout petits. » Les petits mousses devenus grands ont d’ailleurs repris le flambeau scientifique des Puget : ils sont tous deux ingénieurs dans l’automobile.

À l’origine de la mission Planck

Que l’astrophysicien soit en mer ou tourné vers le ciel, l’ébauche du satellite Planck se précise dans sa tête. « En 1993, mon équipe et moi avions proposé au Cnes un petit satellite dédié à l’analyse du fond diffus cosmologique : Samba. Dans le même temps, Nazzareno Mandolesi, à l’université de Bologne, planchait sur un projet similaire, mais sensible aux plus basses fréquences : Cobras. Quand l’ESA a fait un appel d’offres pour une mission moyenne (M3) à l’horizon 2000, les deux propositions ont été combinées. » Cobras-Samba est sélectionnée en 1996. Elle sera ultérieurement rebaptisée… Planck. Depuis 1995, Jean-Loup Puget est le responsable scientifique de HFI, l’instrument haute fréquence embarqué sur le satellite.
A-t-il déjà une ébauche d’un Planck 2.0 dans la tête ? « Je laisse cela aux plus jeunes ! Ceci dit, je tâche de mettre mon expérience au service de potentiels projets post-Planck, par exemple Pristine. Et puis… je suis officiellement à la retraite ! »
 

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Son parcours en 6 dates

1973    Entre au CNRS
1988    Reçoit la médaille d’argent du CNRS
1995    Devient responsable de l’instrument haute fréquence du satellite Planck
1998-2005    Dirige l’Institut d’astrophysique spatiale
2002    Entre à l’Académie des sciences
2018    Reçoit le prix Gruber de cosmologie et le prix Shaw en astronomie

À lire sur notre site :
Planck livre une nouvelle carte de l'Univers
 

Le communiqué sur les données définitives de la mission Planck est à lire ici.

Notes
  • 1. « Dans un modèle d’Univers symétrique », sous la tutelle de Roland Omnès et d’Évry Schatzman.

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