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James Webb éclaire les zones d’ombre de l’astrophysique
L’Univers recèle encore bien des mystères qu’astrophysiciens et cosmologistes s'efforcent de percer à l'aide de télescopes toujours plus puissants. Depuis juillet 2022 et la mise en service de l’observatoire spatial James Webb, cette communauté de chercheurs dispose d'un outil d'analyse à l’acuité inégalée. Conçu à l’origine pour étudier les galaxies les plus anciennes formées quelques centaines de millions d’années après le Big Bang1, le James Webb Space Telescope (JWST) est en mesure d’explorer une palette beaucoup plus vaste de corps célestes. Car avec son immense miroir de 6,6 mètres de diamètre, l'instrument développé par l’Agence spatiale américaine (Nasa) en collaboration avec les agences spatiales européenne (ESA) et canadienne (ASC), dispose d’une sensibilité cent fois supérieure à celle de son prédécesseur, le télescope Spitzer.
Tout comme ce dernier, le JWST capte le rayonnement infrarouge émis par les objets astronomiques disséminés dans l’Univers : galaxies lointaines, trous noirs supermassifs, systèmes planétaires en formation et exoplanètes comptent parmi ses cibles de prédilection. En scrutant l’Univers jeune, le télescope est parvenu à repérer tout un ensemble de galaxies parmi les plus anciennes jamais observées jusqu’ici. Ainsi, la plus âgée de ces structures cosmiques, baptisée JADE-z14-0, existait déjà il y a 13,57 milliards d’années. « Si la découverte de galaxies à une époque aussi lointaine était attendue, nous avons eu la surprise de constater que les galaxies encore peu massives mais anormalement brillantes, car le taux de formation de nouvelles étoiles y est très élevé, étaient dix fois plus abondantes que ne le prédisaient nos modèles », note David Elbaz, directeur de recherche au Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), spécialiste de la formation et de l’évolution des galaxies.
Le rôle des filaments cosmiques se renforce
Les observations du JWST centrées sur l’Univers lointain ont en outre révélé l'existence d’un grand nombre de trous noirs supermassifs dont la masse équivaut à plusieurs millions de fois celle du Soleil. De prime abord, ces découvertes semblent aller à l’encontre du modèle standard de la cosmologie qui ne prédit ni la formation précoce de galaxies très lumineuses ni celle de gigantesques trous noirs. Aussi déconcertantes qu’elles puissent paraître, ces observations pourraient malgré tout contribuer à renforcer l’implication des filaments cosmiques. Longs de millions d’années-lumière, ces minces filets de gaz relient les galaxies entre elles. Ils joueraient donc un rôle essentiel dans la formation de ces objets célestes : « À l’aube de l’Univers, ces véritables pourvoyeurs de matière que sont les filaments cosmiques ont très probablement nourri les galaxies avec une efficacité bien supérieure à ce que nous envisagions jusqu’ici, souligne David Elbaz. Si cette thèse était confirmée par de futurs instruments d’observation de très haute résolution, tels que le spectrographe BlueMuse qui équipera prochainement le Very Large Telescope, elle contribuerait à expliquer la formation quasi-spontanée de trous noirs supermassifs et celle de galaxies presque aussi imposantes que la Voie lactée en quelques centaines de millions d’années. »
Parmi les nombreuses autres missions assignées à l'observatoire James Webb figure l’étude des systèmes planétaires en cours de formation. Celle-ci a notamment pour but de remonter aux origines de la complexité chimique ayant abouti à la naissance de notre propre Système solaire. S’inscrivant dans cette démarche, les travaux d’Olivier Berné, astrophysicien à l’Institut de recherche en astrophysique et planétologie2, se focalisent sur les nébuleuses, ces amas de gaz et de poussières interstellaires où naissent les étoiles.
La prédiction d’une molécule confirmée
En braquant le télescope sur la nébuleuse d’Orion située à 1 350 années-lumière de la Terre, la collaboration internationale3 que co-dirige l’astrophysicien a fait une découverte étonnante avec l’aide, entre autres, de spécialistes en spectroscopie de l’Institut des sciences moléculaires d'Orsay4.
Dans le disque de gaz et de poussières entourant deux jeunes étoiles de la nébuleuse, le spectromètre Miri5 est parvenu à détecter la signature infrarouge du méthylium. L'identification de cette espèce chimique de formule CH₃⁺ constitue une découverte scientifique majeure saluée par une publication dans la revue Nature6.
Parce qu'il contient du carbone, le méthylium pourrait en effet être à la racine de la chimie organique extraterrestre ayant notamment conduit à l’apparition de la vie sur Terre. « Bien que la communauté des astrochimistes avait prédit l’existence de cette molécule dans l’Univers dès les années 1970, nous ne nous attendions pas à la détecter dans ces environnements propices à la formation de futures planètes que constituent les disques protoplanétaires », raconte Olivier Berné.
La présence de méthylium au sein de ces systèmes planétaires en gestation découlerait en fait d’une chimie très particulière résultant elle-même du rayonnement ultraviolet émis par une ou plusieurs étoiles massives et très lumineuses situées dans leur voisinage immédiat. « En fonction de la masse de l’étoile positionnée au centre du système planétaire, nous avons montré que ce rayonnement ultraviolet exogène peut aussi bien favoriser la formation de planètes qu’aboutir à leur destruction en dissipant la matière qui les compose7 », précise l'astrophysicien.
Aux origines de la diversité des systèmes planétaires
D’ici janvier 2025, Olivier Berné aura l'opportunité de poursuivre ses investigations sur un panel beaucoup large de systèmes planétaires embryonnaires. Grâce à l’instrument Nirspec8, le groupe de scientifiques qu’il encadre va en effet pouvoir accéder de manière simultanée au spectre d’une cinquantaine de disques protoplanétaires entourant de jeunes étoiles de faible masse dans la nébuleuse d’Orion. Les données recueillies devraient permettre de déterminer la composition chimique des différents disques ainsi que certaines de leurs propriétés physiques comme la température et la densité de matière au sein de chaque structure. Ces données s'ajouteront à celles obtenues pour plus de 250 disques protoplanétaires déjà étudiés par le JWST dans le cadre d’autres programmes de recherche à travers le monde. « Ces grands échantillons devraient nous aider à comprendre comment les processus physico-chimiques communs à tous les disques aboutissent à la diversité des systèmes exoplanétaires que nous observons dans l’Univers », complète Benoît Tabone, chercheur CNRS à l’Institut d’astrophysique spatiale9 dont les travaux portent aussi sur les disques protoplanétaires.
À l’appui des spectres infrarouges captés par les instruments Miri et Nirspec, le scientifique étudie plus particulièrement la zone interne du disque située à moins d’une dizaine d’unités astronomiques de leur étoile (une unité astronomique équivaut à la distance Terre-Soleil, soit 150 millions de kilomètres). Son objectif : caractériser la composition chimique de cette région où se forment la plupart des exoplanètes. Pour cela, le scientifique a noué des partenariats avec de nombreux groupes de recherche basés en Europe et aux États-Unis. Les travaux menés dans le cadre de la collaboration européenne Minds10 (MIRI mid-Infrared Disk Survey), dont fait partie Benoît Tabone, ont par exemple démontré qu’il existait une grande diversité parmi les disques internes. En analysant la lumière infrarouge provenant de la phase gazeuse d’un disque de matière gravitant autour d’une petite étoile formée il y a 3 millions d’années, le consortium a également révélé la présence d’une très grande quantité d’acétylène (C2H2). Outre cette molécule d'hydrocarbure simple très réactive, les chercheurs ont découvert du benzène (C6H6) et du diacétylène (C4H2), deux hydrocarbures jusqu'alors inconnus dans les disques protoplanétaires11.
Un véritable cocktail de molécules carbonées
Un an plus tard, c’est un mélange constitué d’une dizaine de molécules carbonées que ce même consortium parvenait à mettre en évidence autour d’une étoile aux caractéristiques similaires12. Cette abondance de carbone dans la fraction gazeuse du disque pourrait être la conséquence de l’intense activité de l’étoile. En détruisant des grains de poussières riches en carbone, le corps céleste aurait alors provoqué le transfert de cet élément chimique dans la partie gazeuse du disque. « Tout comme la Terre, les planètes rocheuses formées à partir des grains de poussières de cette catégorie de disques devraient donc avoir une composition minérale pauvre en carbone », extrapole Benoît Tabone. Parvenir à établir le lien entre la composition du disque analysé et les caractéristiques des futures planètes auxquelles il donnera naissance est un défi qu’entend désormais relever le chercheur en exploitant le pouvoir de résolution exceptionnel du JWST dans les domaines du proche et moyen infrarouge.
La sensibilité sans égal du télescope a aussi fait ses preuves dans le domaine encore balbutiant de l’étude de la composition atmosphérique des exoplanètes. Parmi les quelque 5 700 planètes situées en dehors du Système solaire déjà répertoriées, une équipe internationale s’est intéressée de plus près à WASP-39 b, une géante gazeuse de type « Jupiter chaude » située à 600 années-lumière de notre Système solaire. Grâce au spectrographe Nirspec, les scientifiques ont réussi, pour la première fois, à détecter la signature infrarouge du dioxyde de carbone dans l'atmosphère d’une exoplanète. Tout récemment, l’instrument Niriss13 a pour sa part révélé que l’atmosphère de l’exoplanète GJ 9827 d, évoluant à 100 années-lumière de la Terre, était presque entièrement composée de vapeur d’eau. Deux découvertes remarquables qui laissent désormais entrevoir la possibilité de détecter et quantifier ces mêmes molécules dans les atmosphères plus fines de planètes rocheuses potentiellement habitables. ♦
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- 1. Événement assimilable à une gigantesque explosion qui aurait eu lieu il y a 13,8 milliards d'années et serait à l'origine de l'expansion de l'Univers.
- 2. Unité CNRS/Cnes/Université Toulouse Paul Sabatier.
- 3. Ce consortium baptisé PDRs4All réunit plus de 170 chercheurs du monde entier.
- 4. Unité CNRS/Université Paris-Saclay.
- 5. Acronyme de Mid-infrared instrument. L’instrument Miri est constitué d’une caméra et d’un spectromètre opérant tous deux dans l’infrarouge moyen.
- 6. ”Formation of the methyl cation by photochemistry in a protoplanetary disk”, O. Berné et al., Nature, 26 juin 2023 : https://doi.org/10.1038/s41586-023-06307-x
- 7. Intervenant dans le domaine du proche infrarouge, ce spectrographe est capable d’observer en même temps une centaine de sources lumineuses émises par des galaxies, des planètes ou des disques protoplanétaires.
- 8. Pour « Near-Infrared Spectrograph ». Voir “A far-ultraviolet–driven photoevaporation flow observed in a protoplanetary disk”, O. Berné et al., Science, 29 février 2024: https://www.science.org/doi/abs/10.1126/science.adh2861
- 9. Unité CNRS/Université Paris-Saclay.
- 10. https://minds.cab.inta-csic.es/
- 11. “A rich hydrocarbon chemistry and high C to O ratio in the inner disk around a very low-mass star”, B. Tabone et al., Nature Astronomy, 11 mai 2023: https://www.nature.com/articles/s41550-023-01965-3
- 12. “Abundant hydrocarbons in the disk around a very-low-mass star”, A. M. Arabhavi et al., Science, 6 juin 2024: https://www.science.org/doi/10.1126/science.adi8147
- 13. Niriss réunit un imageur et un spectrographe dans le proche infrarouge. En analysant la lumière des étoiles qui traverse l'atmosphère des exoplanètes, cet instrument est capable de déterminer leur composition chimique.
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Auteur
Grégory Fléchet est né à Saint-Étienne en 1979. Après des études de biologie suivies d’un master de journalisme scientifique, il s’intéresse plus particulièrement aux questions d’écologie, d’environnement et de santé.
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