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Ces étoiles qui explosent sans disparaître

Ces étoiles qui explosent sans disparaître

14.01.2025, par
Temps de lecture : 11 minutes
Illustration Nasa / ESA L. Hustak (STScI)
Vue d’artiste d’un système binaire composé d’une naine blanche et d’une étoile compagnon dont elle attire la matière. La pression et la température augmentent dans l’enveloppe gazeuse de la naine blanche, jusqu’à provoquer une énorme explosion thermonucléaire appelée « nova ».
Les naines blanches sont des cadavres d’étoiles ultra compacts à l’origine de prodigieuses explosions, les novas. Le phénomène (différent des supernovas, qui détruisent l’étoile) serait la source du lithium excédentaire dans l'Univers.

Qu’est-ce qu’une « nova » ?
Piercarlo Bonifacio1 : Le terme a été introduit au XVIe siècle par l’astronome danois Tycho Brahe qui, dans un ouvrage titré De Nova Stella, a décrit l’apparition puis la disparition d’une étoile dans la constellation de Cassiopée. Le mot a longtemps été employé pour désigner pêle-mêle toutes les apparitions temporaires d’astres. Avant que, dans les années 1930, on réalise que deux phénomènes différents se cachent derrière ces événements. D’une part, les « supernovas », des explosions surpuissantes d’étoiles massives en fin de vie et, d’autre part, les « novas », des déflagrations un peu moins brillantes se déclenchant à la surface de certains objets très particuliers, les « naines blanches ».

Que sont ces naines blanches ?
P. B.
Une naine blanche est le stade ultime de plus de 90 % des étoiles de la galaxie. Lorsqu’un petit astre comme le Soleil a achevé de brûler son combustible de fusion nucléaire, c’est-à-dire quand il a cessé de convertir son hydrogène en hélium puis, éventuellement, ce dernier en carbone et en oxygène, il éjecte ses couches extérieures, ne conservant que son noyau. Dans son cœur, la matière devient si dense qu’elle finit par se déstructurer et « dégénérer » : elle forme un plasma d’électrons et d’ions dont le comportement cesse d’obéir à la loi des gaz parfaits (qui relie la pression au volume et à la température). Par une étonnante manifestation macroscopique d’un phénomène de physique quantique faisant intervenir le principe d’exclusion de Pauli (qui interdit à ces particules d’occuper les mêmes niveaux d’énergie), les électrons se mettent alors à produire collectivement une « pression de dégénérescence », qui s’oppose à la gravité et permet au corps céleste de maintenir sa cohérence. Cela stoppe l’effondrement.

Image F. Paresce, R. Jedrzejewski (STScI) Nasa / ESA
La matière éjectée est visible des années après. Elle forme des couches lumineuses autour du système binaire, comme sur cette image de la nova Cygni 1992.
Image F. Paresce, R. Jedrzejewski (STScI) Nasa / ESA
La matière éjectée est visible des années après. Elle forme des couches lumineuses autour du système binaire, comme sur cette image de la nova Cygni 1992.

Au bout du compte, on obtient un objet très compact – d’une masse comparable à celle du Soleil pour un volume proche de celui de la Terre – et dont le cœur fait d’hélium ou d’oxygène et de carbone « dégénérés » supporte une fine atmosphère d’hélium et d’hydrogène « ordinaires ». C’est dans ces enveloppes périphériques que se forment les novas.

Comment ?
P. B. Une nova fait intervenir un couple d’astres en rotation l’un autour de l’autre. L’un est une étoile qui continue de brûler son combustible. L’autre est une naine blanche qui attire et capture une partie de l’hydrogène de son compagnon. Cette matière n’arrive pas directement sur l’objet. Elle s’emmagasine d’abord autour de lui dans un « disque d’accrétion », puis tombe petit à petit vers sa surface, augmentant progressivement la pression et la température de son enveloppe gazeuse.

Le gaz accumulé est soufflé et éjecté à travers l’espace à des vitesses de l’ordre de 1 000 kilomètres par seconde.

Lorsque cet échauffement dépasse les 10 millions de degrés au niveau de la base de l’atmosphère, des réactions de fusion nucléaire démarrent et la mécanique s’emballe. Cela aboutit au déclenchement d’une énorme explosion thermonucléaire, dont le rayonnement peut être détecté sur toutes les longueurs d’ondes. Au cours de ce processus, le gaz accumulé est soufflé et éjecté à travers l’espace à des vitesses de l’ordre de 1 000 kilomètres par seconde, enrichissant le milieu interstellaire de l’équivalent d’une ou de plusieurs masses terrestres d’hydrogène. La naine blanche revient ensuite à son état initial.

Comment sont classés ces phénomènes ?
P. B. Traditionnellement, on distingue les « novas classiques », dont une seule explosion est connue sur des périodes historiques, des « novas récurrentes », qui se sont manifestées à plusieurs reprises par intervalles de quelques dizaines d’années. Les théories modernes suggèrent que l’on a affaire au même processus et qu’en réalité, toutes les novas sont répétitives. C’est-à-dire qu’au bout d’un temps plus ou moins long, le disque d’accrétion entourant les naines blanches se remplit à nouveau d’hydrogène, créant les prémices d’un autre cataclysme.

Images ESO / P.A. Woudt
Images prises dans l'infrarouge grâce au système optique adaptatif NACO du Very Large Telescope (VLT), au Chili. Elles révèlent la géométrie bipolaire de la matière éjectée par la nova V445 Puppis, à 25 000 années-lumières du Soleil.
Images ESO / P.A. Woudt
Images prises dans l'infrarouge grâce au système optique adaptatif NACO du Very Large Telescope (VLT), au Chili. Elles révèlent la géométrie bipolaire de la matière éjectée par la nova V445 Puppis, à 25 000 années-lumières du Soleil.

Lorsqu’on évoque ce sujet, il est important de mentionner un autre phénomène susceptible de se produire à l’intérieur de ces couples : la destruction complète de la naine blanche. Sous certaines conditions, l’accumulation de l’hydrogène sur la surface peut ne pas se terminer en nova. L’atmosphère s’alourdit peu à peu, créant une pression supplémentaire sur le cœur de l’astre, dont l’équilibre est rompu lorsque sa masse devient très exactement 1,44 fois supérieure à celle du Soleil. Des réactions de fusion nucléaire faisant intervenir cette fois le carbone surviennent qui, en se répandant à travers l’astre à des vitesses supersoniques, aboutissent en quelques secondes à sa désintégration totale. On obtient alors ce que l’on appelle une « supernova de type 1a ».

Pourquoi les astronomes s’intéressent-ils à ces objets ?
P. B.
D’abord, parce que les novas sont de formidables chandelles cosmiques. Ces explosions sont si brillantes qu’on peut les détecter de très loin, jusque dans les autres galaxies, et s’en servir, moyennant quelques astuces, comme indicateurs de distance. Et il en est de même des 20 à 30 qui se déclencheraient chaque année au sein de la Voie lactée, principalement à l’intérieur du disque. En mesurant son pic et sa chute de luminosité par des méthodes photométriques, mon équipe a pu par exemple déterminer que la nova classique V 1493 Aql, détectée en 1999, correspondait à un cataclysme formidablement lointain : il se situait à plus de 61 000 années-lumière de la Terre, quelque part à la limite du disque de notre galaxie – et peut-être même en dehors2.

L’explosion d’une nova résulte d’une suite de réactions nucléaires encore mal comprise, qui porte le gaz à des températures fantastiques de plus de 100 millions de degrés.

Ensuite, à cause de la physique étonnante de ces phénomènes, qui dépasse largement les connaissances actuelles. L’explosion d’une nova résulte d’une suite de réactions nucléaires encore mal comprise, qui porte le gaz à des températures fantastiques de plus de 100 millions de degrés. Et le choc qu’elle crée produit dans le milieu interstellaire des radiations gamma d’un niveau d’énergie bien supérieur à celui que l’on peut espérer atteindre en laboratoire par cette voie. Enfin, on s’intéresse à ces objets en raison du rôle qu’ils jouent dans la nucléosynthèseFermerRéactions nucléaires se produisant dans le milieu stellaire ou au sein des étoiles..

Mais encore ?
P. B.
Les éléments chimiques qui nous entourent ont été fabriqués tout au long de l’histoire de l’Univers. Moi et mes collègues nous intéressons plus particulièrement au lithium. Ce dernier a été créé au moment du Big Bang, en même temps que l’hydrogène et l’hélium. Mais, de nos jours, on le trouve en quantité trois fois plus importante dans le Système solaire. Comment ce lithium supplémentaire a-t-il été produit ?

Parmi les sources envisageables, deux semblent prometteuses : la fragmentation par les rayons cosmiques des noyaux de carbone, d’azote et d’oxygène présents dans le milieu interstellaire ; et les novas. Par fusion de l’hélium 3 et de l’hélium 4, ces derniers objets produisent, durant leurs explosions, un isotope radioactif – le béryllium 7 – qui, en se désintégrant, se transforme au bout de 53,2 jours en lithium 7. Et toute la question est de savoir en quelle quantité.

Avez-vous pu le déterminer ?
P. B. Oui. Grâce au spectrographe UVES3 du Very Large Telescope (VLT) de l’ESO4, qui fonctionne dans l’UV, mon équipe a pu, au fil des années, mesurer la quantité de béryllium 7 fabriquée par une dizaine de novas classiques et par une récurrente, RS Ophiuchi (RS Oph), un astre très lumineux de la constellation d’Ophiuchus dont la dernière manifestation remonte au 15 août 2021.

spectrographe UVES © ESO
Vue de la plateforme KUEYEN, l’un des quatre télescopes du réseau VLT, où a été installé le spectrographe à haute résolution UVES (Ultra-Violet Echelle Spectrograph) en septembre 1999.
spectrographe UVES © ESO
Vue de la plateforme KUEYEN, l’un des quatre télescopes du réseau VLT, où a été installé le spectrographe à haute résolution UVES (Ultra-Violet Echelle Spectrograph) en septembre 1999.

Le résultat auquel nous sommes parvenus, avec Paolo Molaro et Pierluigi Selvelli, de l’observatoire de Trieste, a été spectaculaire5. Il montre qu’un seul de ces objets est à même de produire des quantités de lithium 10 millions de fois supérieures à celles contenues dans le Soleil. Qu’une poignée d’entre eux suffirait à ensemencer la galaxie tout entière. Et que, par conséquent, ces astres pourraient très bien constituer la solution au problème du surplus de lithium dans l’Univers. Nous avons aussi établi qu’au moins en ce qui concerne la synthèse du béryllium 7, il n’y avait pas de différences significatives entre les novas classiques et récurrentes. Les secondes sont simplement un peu moins productives que les premières, ce qui n’est pas a priori illogique.

Les novas font-elles l’objet de programmes d’observation systématiques ?
P. B.
 Non. Les observations sont généralement opportunistes. Il n’y a pas véritablement de coordination au niveau mondial. Sauf pour les amateurs qui, réunis au sein de l’Association américaine des observateurs d’étoiles variables (AAVSO), ont participé à la détection de beaucoup des 2050 novas recensées. Heureusement qu’ils sont là !

Au mois de juin 2024, la Nasa a annoncé l’explosion de la nova récurrente T Coronea Borealis (T CrB) d’ici à la fin de la même année. Vous préparez-vous à cet événement ?
P. B. Les novas récurrentes sont intéressantes car, en suivant leurs évolutions, on peut espérer accéder à des informations sur la façon dont se créent les supernovas de type 1a. Ces dernières jouent un rôle très important dans la nucléosynthèse, car ce sont elles qui fabriquent l’essentiel du fer que l’on trouve dans l’Univers.
 

Image ESO
La matière libérée par l'explosion du système binaire RS Ophiuchi est en expansion. C’est ce que montre la superposition de deux vues, l’une prise 5,5 jours après l’éruption (par l’interféromètre du VLT), l’autre, 13,8 jours après (par le réseau de radiotélescopes VLBA).
Image ESO
La matière libérée par l'explosion du système binaire RS Ophiuchi est en expansion. C’est ce que montre la superposition de deux vues, l’une prise 5,5 jours après l’éruption (par l’interféromètre du VLT), l’autre, 13,8 jours après (par le réseau de radiotélescopes VLBA).

On connaît une douzaine de novas récurrentes au sein de notre galaxie, et leur intervalle de temps entre chaque explosion va d’une dizaine d’années à un siècle. T CrB est la plus proche et l’une des plus brillantes. Elle a été observée en 1946, en 1866 et, peut-être, en 1787, ce qui suggère que sa prochaine manifestation est imminente. C’est-à-dire que ce cataclysme pourrait survenir n’importe quand entre aujourd’hui et 2028.

Cependant, plusieurs de mes confrères – et pas seulement de la Nasa – ont cru que l’on pouvait être plus précis. Par comparaison avec l’événement de 1946, ils ont interprété une phase de superactivité de l’astre (2016-2022) suivie d’un « minimum profond » (août-septembre 2023) comme des signaux précurseurs, et ont prédit une explosion d’ici la fin de l’année (2024, Ndlr). Je me borne à constater qu’elle n’a pas été annoncée. Manifestement, cela ne marche pas. Ce qui n’est pas étonnant : une nova récurrente n’est pas un phénomène périodique. D’un cycle à un autre, il y a des différences. Rien n’est constant, contrairement à l’intérêt des astronomes pour T CrB qui, lui, semble permanent. Cela fait trente ans que l’on me parle de la prochaine explosion de cette nova, et je l’attends toujours !

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Notes
  • 1. Piercarlo Bonifacio est directeur de recherche au CNRS au laboratoire Galaxies, étoiles, physique et instrumentation (GEPI) – unité CNRS/Observatoire de Paris-PSL
  • 2. Astronomy and Astrophysics, vol. 356, pp. L53-L56 (2000) : https://doi.org/10.48550/arXiv.astro-ph/0003156
  • 3. UVES : Ultraviolet and Visual Echelle Spectrograph.
  • 4. Le VLT de l’European Southern Observatory (ESO, ou Observatoire européen austral) est implanté sur le cerro Paranal, au Chili.
  • 5. Monthly Notices of the Royal Astronomical Society, vol. 518, issue 2, pp. 2614-2626 (2023) : https://doi.org/10.1093/mnras/stac2708