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Le nanosatellite PicSat ne répond plus
Le contact a été perdu avec PicSat, un nanosatellite d’environ 30 centimètres de long, qui devait permettre d’observer une exoplanète lors de son passage devant son étoile. Où en est la mission aujourd’hui ?
Sylvestre Lacour1 : Les dernières données que nous avons reçues proviennent d’un radioamateur brésilien, le 20 mars vers 13 heures UTC. Il a pu observer le passage du satellite et a reçu la télémétrieFermerl’état de santé du satellite. Tout était nominal : température et charges des batteries, communication, etc. Mais vingt minutes plus tard, en passant au-dessus de l’Indonésie, après le pôle Sud, plus rien. Depuis, PicSat a dû faire plus de 300 fois le tour de la Terre sans que nous ayons pu rétablir le contact.
Et vous avez même demandé de l’aide à la Nasa pour essayer de le localiser ?
S. L. : Nous avons fait appel à l’ensemble des radioamateurs autour du monde ayant à leur disposition des grandes antennes. Nous avons en effet aussi fait appel à la Nasa, qui a un service de suivi des longueurs d’onde UHFFermerautour de 400 MHz, la fréquence d’émission de PicSat. Ils ont des antennes sur l’île de Wallops qui font 18 mètres de diamètre et sont capables de suivre des signaux très faibles, mais ils n’ont rien trouvé. Nous avons bien sûr tenté de rétablir le contact, en envoyant des commandes de réinitialisation, etc. Mais depuis le 20 mars, nous n’avons plus aucun signe de ce satellite. C’est donc avec le cœur serré que nous avons annoncé la fin de cette mission le jeudi 5 avril. Nous passons désormais en phase de réflexion et d’analyse, et cessons les tentatives de communication, même si, au cas où, on continue d’écouter régulièrement les fréquences du satellite.
Quelles sont les hypothèses les plus probables de ce qui a pu se passer ?
S. L. : Nous avons tout de suite pensé à un phénomène extérieur, une collision avec un débris par exemple. Mais cela pourrait aussi être dû à une activité solaire sur l’électronique. Autour de l’Amérique du Sud, par exemple, il y a une zone appelée l’Anomalie magnétique de l’Atlantique Sud, où le champ magnétique terrestre est plus faible. Donc, des particules particulièrement énergétiques peuvent passer et interagir avec l’électronique et créer des courts-circuits à bord. La troisième hypothèse est un vieillissement prématuré du satellite, notamment de la carte électronique chargée de la communication radio. Mais les grandes antennes auraient tout de même entendu un signal, même très faible. La dernière hypothèse, enfin, penche pour un problème de logiciel. Sur les grandes missions spatiales, ces logiciels sont vérifiés et relus des milliers de fois, ce que nous n’avons pas pu faire avec notre petite équipe. Et le logiciel de PicSat est presque aussi complexe que celui d’un satellite de taille normale. S’il se met dans une boucle, par exemple, il est impossible de le réinitialiser à la main. Pour vérifier cette hypothèse, il va falloir repasser sur tout le code, ce qui va nous prendre du temps.
Cette mission devait durer un an, avez-vous pu obtenir des données scientifiques ?
S. L. : C’est là notre plus grand regret, nous étions toujours en phase préparatoire. Nous étions justement en train de résoudre les problèmes de pointage du satellite. Pendant ces deux mois, PicSat avait du mal à pointer directement l’étoile Beta Pictoris, et nous travaillions avec les ingénieurs pour bien orienter les outils d’observation. Nous allions aussi mettre à jour le logiciel pour avoir une nouvelle version plus fiable et commencer les observations scientifiques. D’un point de vue purement astrophysique, cette mission est malheureusement un échec.
« Space is Hard » (l’espace, c’est difficile), avait déclaré l’astronaute Scott Kelly en 2015 après l’explosion d’une fusée de SpaceX qui devait lui apporter des vivres à bord de la Station spatiale internationale. L’aventure spatiale – et toutes les avancées scientifiques qu’elle a permises – semble particulièrement complexe, surtout en raison des distances. Quels enseignements tirez-vous de la mission PicSat ?
S. L. : Oui, il a vraiment raison. Il faut aussi avoir une vision d’ensemble qui permette de prévoir les choses avant qu’elles n’arrivent. C’est là toute la difficulté du spatial, car une fois un satellite lancé, on ne peut pas intervenir directement dessus pour comprendre ce qu’il s’est passé. Nous devons prévoir donc à l’avance toutes les causes possibles d’échec et il suffit d’en oublier une pour que toute la mission se termine. Et le pire, c’est que parfois, on ne sait jamais pourquoi quelque chose a échoué. Dans l’exemple que vous donnez d’un plus grand satellite, il y a parfois des reconfigurations possibles qui permettent de paramétrer un des éléments pour remplacer celui qui est défaillant et permettre au tout de fonctionner. Dans le cas d’un Cubesat, c’est malheureusement impossible. D’ailleurs, notre premier réflexe a été de se dire que la prochaine fois, nous mettrions deux cartes de communication et deux ordinateurs de bord, mais très vite, nous avons vu que c’était une mauvaise approche. Les Cubesats sont des objets petits et « peu » coûteux, eu égard au temps de développement. Un lancement coûte 200 000 euros, contre 50 millions environ pour un satellite de taille normale. Les coûts principaux sont les coûts humains de recherche et d’ingénierie. Si j’avais quelque chose à changer, ce serait d’en fabriquer deux dès le départ, ou même trois. Cela nous aurait permis de corriger une faille observée dans le premier et d’effectuer un deuxième lancement. C’est d’ailleurs ce qui est souvent fait aux États-Unis, pays qui est très en avance dans ce domaine et qui est passé par énormément d’échecs. C’est cette approche qui devrait être privilégiée plutôt que de complexifier les systèmes pour essayer d’avoir un risque zéro.
Croyez-vous encore à l’utilité des Cubesats dans le domaine de l’astronomie et pour la recherche de manière générale ?
S. L. : Je voulais démontrer que ces nanosatellites étaient utiles dans l’astronomie, et c’est raté pour cette fois. Mais cet échec n’a pas encore démontré l’inverse. Je continue à croire que ces satellites ont un véritable avenir pour l’astronomie et la recherche en général. Il va falloir que nous continuions à y travailler sans tomber dans un certain défaitisme, car comme vous l’imaginez, redonner confiance à une équipe qui a travaillé trois ans sur un projet n’est pas chose facile. Nous croyons cependant fermement que les Cubesats ont toute leur utilité dans un grand nombre de domaines scientifiques, pour peu que ces domaines acceptent la miniaturisation. Le problème de l’astronomie, c’est que si l’on veut observer les étoiles de très faible intensité, il nous faut de très grands miroirs. De ce point de vue, nous ne ferons jamais ce qu’une grande mission pourra faire. Mais pour des expériences compactes sur l’ionosphère ou la physique fondamentale (théorie de la gravitation), qui admettent la miniaturisation, les Cubesats peuvent devenir un outil de choix. Pour notre mission avec PicSat, nous avions choisi Beta Pictoris parce qu’elle est très brillante. Et même si nous avons manqué le passage de cette exoplanète cette année, nous allons commencer à nous préparer à une prochaine mission et donc un prochain Cubesat – qui sera fabriqué plus rapidement grâce à notre expérience déjà acquise dans le domaine. En matière d’observation, nous resterons dans le domaine des exoplanètes, et nos regards semblent déjà nous amener vers Alpha Centauri, un système de trois étoiles qui pourrait cacher plusieurs exoplanètes.
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- 1. Sylvestre Lacour est astrophysicien au Laboratoire d’études spatiales et d’instrumentation en astrophysique (CNRS/Observatoire de Paris-PSL/Univ. Paris-Diderot/UPMC/Univ. Versailles-Saint-Quentin/Cnes). Il est responsable de la mission PicSat, financée dans le cadre d’une bourse ERC (European Research Council) « starting grant »..
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