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Ludwik Leibler, inventeur européen de l’année
(Ce témoignage de Ludwik Leibler est paru dans CNRS Le journal, n° 273, juillet-août 2013.)
« L’industrie peut être une source d’inspiration pour la recherche académique en orientant vers des questions scientifiques encore inexplorées. En essayant, par exemple, d’améliorer la résistance au choc des matériaux transparents, nous avons découvert un nouveau principe de la structuration, à l’échelle nanométrique, des polymères, des macromolécules formées à partir de l’enchaînement d’un motif simple comme les plastiques, résines et caoutchoucs. Inversement, de nouveaux concepts fondamentaux peuvent être source d’espoir pour une rupture technologique. C’est ainsi qu’avec François Tournilhac, directeur de recherche au laboratoire Matière molle et chimie1, nous nous sommes mis au défi d’employer la chimie supramoléculaire, qui utilise les interactions entre les molécules plutôt que leurs liens chimiques permanents, pour concevoir des matériaux aux propriétés inédites. L’idée, au départ, a fait sourire les industriels, car la chimie supramoléculaire ne permettait de produire jusqu’alors que quelques grammes de matière.
Un caoutchouc qui s’auto-répare
En partenariat avec le groupe Arkema, nous avons ainsi conçu un caoutchouc capable de s’auto-réparer une fois endommagé. Grâce à la chimie supramoléculaire, les associations intermoléculaires rompues se reforment spontanément. La synthèse de ce caoutchouc est plutôt simple, et ses ingrédients, des acides gras et des résines époxy, sont disponibles, ce qui permet d’envisager une production industrielle si le marché des matériaux auto-réparants se développe.
Nous avons aussi mis au point une nouvelle classe de matériaux insolubles et façonnables comme le verre : le vitrimère. Constitué d’un réseau moléculaire capable, sous l’action de la chaleur, de se réorganiser sans changer le nombre de liaisons entre les atomes, ce matériau inédit passe progressivement, comme le verre, de l’état liquide à l’état solide, et inversement. Il reste léger et incassable comme le plastique. La chimie mise en œuvre et les principes physiques sous-jacents paraissent très simples. La simplicité nous tient à cœur, car une innovation est d’autant plus séduisante qu’elle s’exprime et se réalise simplement. Elle montre aussi que nous sommes arrivés à un niveau de compréhension élevé de la matière, que nous en avons compris les règles essentielles.
Valoriser la liberté de créer
Le CNRS offre la possibilité réelle d’être libre dans ses recherches et de prendre des risques. C’est ce qui favorise, au sein d’une équipe de chercheurs, initiative et créativité. La recherche industrielle, souvent très pragmatique, permet paradoxalement la rencontre de différentes disciplines – physique, chimie ou mécanique. La création, en 1996, d’un laboratoire mixte de recherche CNRS-Elf-Atochem dans le domaine des polymères a permis d’avoir une approche scientifique globale dans le cadre d’une démarche qui n’était pas très courante à l’époque.
Le laboratoire Matière molle et chimie, qui a succédé à cette unité mixte en 2004, conserve la même dynamique. Les sept chercheurs permanents entourés d’une vingtaine de thésards et post-docs forment une équipe véritablement pluridisciplinaire et mettent ainsi leur créativité au service d’une recherche fondamentale ambitieuse, ouverte aux applications permettant de faire des découvertes innovantes. La médaille de l’innovation du CNRS est pour moi une reconnaissance du caractère original de nos travaux et récompense la liberté de création que nous avons toujours tenu à conserver. Une liberté qui nous permet de précéder les modes, plutôt que de les suivre. »
À lire : Une méthode révolutionnaire pour coller les gels et les tissus biologiques
À voir, le film sur les travaux de Ludwik Leibler, réalisé à l’occasion de la remise de la médaille de l’innovation 2013 du CNRS :
Pour en savoir plus sur le Prix de l’inventeur européen et les finalistes : www.epo.org
- 1. Unité CNRS/ESPCI ParisTech.
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