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Présidentielle 2017: dans la tête des électeurs

Présidentielle 2017: dans la tête des électeurs

28.02.2017, par
"L'enquête électorale : comprendre 2017" a commencé en novembre 2015 et se terminera en juin 2017, juste après l’élection présidentielle, soit une période de 18 mois qui déborde largement le cadre de la campagne officielle.
Quand et comment prend-on la décision de voter pour un candidat ? Alors que les électeurs semblent n’avoir jamais été aussi volatils, le Cévipof a mis en place une enquête d’une ampleur sans précédent pour saisir les ressorts intimes du vote à la présidentielle de 2017.

Brexit, présidentielle américaine, primaires des Républicains et du Parti socialiste… À chaque nouvelle élection, le choix des électeurs surprend et se joue des prédictions. En France, certains n’hésitent plus à avouer qu’ils prennent leur décision au dernier moment, avant de pénétrer dans l’isoloir… Quand et, surtout, comment se forme l’intime conviction de l’électeur ? C’est la question à laquelle tente de répondre la vaste enquête électorale menée actuellement par le Cévipof, le Centre de recherches politiques de Sciences Po1. Un dispositif d’une ampleur inédite dont Martial Foucault, son directeur, nous révèle les objectifs.

Vous avez lancé « L'enquête électorale française : comprendre 2017 ». En quoi ce dispositif est-il innovant ?
Martial Foucault :
Cela fait quarante ans que l’on fait des enquêtes électorales en France, afin de comprendre le comportement électoral des électeurs – la première remonte aux élections législatives de 1978. Pour instructives qu’elles soient, ces enquêtes menées lors de chaque grand rendez-vous électoral ne semblaient plus complètement satisfaisantes et étaient loin de fournir des données aussi complètes que les enquêtes du même type conduites en Amérique du Nord ou au Royaume-Uni, par exemple.

Avec cette enquête, nous changeons littéralement d'échelle, puisque ce sont 25 000 personnes qui sont suivies.

Avant de prendre la direction du Cévipof en 2014, j’ai été enseignant-chercheur en sciences politiques durant plusieurs années à l’université de Montréal et j’étais frustré de ne pas pouvoir interroger plus dans le détail les données issues des enquêtes françaises, faute d’un échantillon suffisamment large. En 2007, grâce à la généralisation des enquêtes par téléphone, l’enquête française comptait 3 500 personnes interrogées. En 2012, le passage sur Internet a permis de monter à 6 000 répondants, mais cela restait insuffisant pour étudier le comportement électoral de micro-univers. Avec « L’enquête électorale française : comprendre 2017 », nous changeons littéralement d’échelle, puisque ce sont 25 000 personnes qui sont suivies depuis le début de l’enquête.

Pourquoi est-ce important de disposer d’un gros échantillon ?
M. F. :
Avec un échantillon de quelques milliers de personnes, même s’il est considéré comme représentatif, certaines catégories de répondants passent « sous le radar », car leur nombre insuffisant ne permet pas d’en tirer des indications fiables. C’est le cas du vote des agriculteurs, par exemple, qui étaient à peine une trentaine dans l’enquête de 2012. Si l'on regarde le fait religieux, puisqu’on a une question sur la pratique religieuse dans l’enquête, on avait des groupes suffisamment importants pour les catholiques, mais des effectifs insuffisants pour tirer quelque enseignement que ce soit sur les individus de confession juive ou musulmane…

L’enquête suit un échantillon de 2 000 primo-inscrits – ces jeunes qui vont voter pour la première fois en 2017. Si les jeunes adultes avaient tendance à voter comme leurs parents lors de leur première élection, ce n’est plus le cas aujourd’hui.
L’enquête suit un échantillon de 2 000 primo-inscrits – ces jeunes qui vont voter pour la première fois en 2017. Si les jeunes adultes avaient tendance à voter comme leurs parents lors de leur première élection, ce n’est plus le cas aujourd’hui.

D’autres catégories vous intéressent-elles en particulier ?
M. F. :
Nous allons nous pencher en détail sur le vote des fonctionnaires. Jusqu’à une période récente, ils votaient massivement à gauche, mais les catégories B et C, toutes fonctions publiques confondues, sont aujourd’hui en train de basculer nettement vers un vote Front national. Le vote des cadres va aussi faire l’objet d’une étude fine, en distinguant notamment les cadres du public et du privé, les actifs et les retraités... Pour la première fois en France, nous allons également suivre un échantillon de près de 2.000 primo-inscrits – ces jeunes qui vont voter pour la première fois de leur vie en mai 2017. Si les jeunes adultes avaient tendance à voter comme leurs parents, et notamment comme leur père, lors de leur première élection, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Les premiers résultats de notre enquête montrent clairement qu’ils ont des attitudes différentes du reste de la population : ainsi, ils sont 31% à déclarer vouloir voter pour Marine Le Pen, quand la population générale se situe plutôt autour de 25%. Grâce à l’enquête, nous espérons mieux comprendre les nouvelles formes de politisation de ces primo-votants.

Au-delà de la taille de l’échantillon, l’enquête est aussi exceptionnelle par sa durée…
M. F. :
Elle a commencé en novembre 2015 et se terminera en juin 2017, juste après l’élection présidentielle, soit une période de 18 mois qui déborde largement le cadre de la campagne officielle. Concrètement, 20 vagues d’interrogation sont prévues, à raison d’une par mois environ. Partir sur un temps long doit nous permettre de comprendre tous les ressorts de la décision électorale : pourquoi et comment elle évolue dans le temps. Pour la première fois, nous allons par exemple nous intéresser aux accidents de la vie – chômage, maladie, divorce, deuil… – et voir en quoi ils peuvent influer sur le vote pour un candidat.

Nous nous intéressons au rôle des émotions,
peur et colère notamment,
dans le vote.

Autre aspect jusque-là négligé par les enquêtes hexagonales : le rôle des émotions, peur et colère principalement, dans le vote et notamment pour les candidats populistes. Des études menées récemment aux États-Unis et en Angleterre semblent en effet indiquer que c’est la colère, et non la peur, qui alimente le populisme... Quand on sait que les électeurs font leur choix à la toute dernière minute, il semble intéressant de se pencher sur les événements qui entourent la campagne électorale et sur la façon dont ils affectent leur ressenti.

Est-ce qu’être « de gauche » ou « de droite » a toujours un sens aujourd’hui ? En d’autres termes, y a-t-il encore des variables « lourdes » dans le vote ?
M. F. :
La sociologie politique a coutume de dire depuis quarante ans qu’il y a à la fois des facteurs de long terme et des facteurs de court terme. Les variables de long terme englobent le niveau d’éducation, la religion, la catégorie socioprofessionnelle ou encore le patrimoine matériel d’un individu ; les facteurs de court terme tournent, eux, autour des enjeux politiques du moment (chômage, retraite, environnement, sécurité…), de l’image des candidats en présence (ont-ils l’étoffe d’un président ? sont-ils honnêtes ? compétents ?) et des aléas de la campagne. Jusqu’à récemment, le long terme l’emportait sur le court terme. Cela risque d’évoluer en 2017, si l’on considère l’indécision permanente d’une part non négligeable de l’électorat. Parmi les facteurs de court terme, on va évidemment se poser la question de ceux qui auront le plus pesé dans la décision finale.

L’emploi et la sécurité sont les deux principaux enjeux cités par les Français. L’immigration n’est jamais mentionnée spontanément par les répondants comme étant un problème prioritaire.
L’emploi et la sécurité sont les deux principaux enjeux cités par les Français. L’immigration n’est jamais mentionnée spontanément par les répondants comme étant un problème prioritaire.

N’y a-t-il pas un risque, dans cette enquête, comme dans les sondages, de susciter des réponses par des questions trop directives, donc de fausser les résultats obtenus ?
M. F. :
C’est évidemment un biais auquel nous sommes particulièrement attentifs. Pour éviter de « forcer » la réponse de la personne interrogée, nous évitons au maximum les choix binaires et multiplions les possibilités de répondre sur une échelle de 0 à 10, de « Pas du tout d'accord » à « Absolument d'accord ». De même, en plus d’interroger les Français sur leur intention de vote, nous leur demandons de classer tous les candidats par ordre de préférence afin d’avoir une mesure du potentiel électoral de chacun. Nous essayons également de multiplier les questions ouvertes, même si cela donne beaucoup de travail à notre partenaire, Ipsos ! À chaque nouvelle vague d’interrogation, nous posons par exemple une question ouverte sur le problème le plus important auquel la France est confrontée, sans donner de liste de choix préétablie. Jusqu’à présent, les deux enjeux prioritaires qui ressortent systématiquement sont l’emploi et la sécurité. Il est intéressant de noter que l’immigration, si souvent abordée par les hommes politiques, ne fait pas partie des enjeux cités spontanément par les répondants.

De plus en plus d’électeurs semblent gagnés par la tentation du « vote stratège », est-ce une préoccupation de votre enquête ?
M. F. :
Le vote stratège, c’est voter dès le premier tour d’une élection pour un candidat qui n’est pas son candidat « de cœur », soit pour tenter d’éliminer de la course un candidat que l’on ne souhaite pas voir émerger au deuxième tour, soit pour peser sur le programme de son candidat préféré, en optant au premier tour pour un rival plus marqué à gauche ou, au contraire, à droite… Ce n’était pas vraiment une question chez les électoralistes français, qui l’ont mesuré seulement en 2002 (10 % des électeurs au premier tour) et en 2012 (7 % au premier tour), mais cela va évidemment faire partie de nos questionnements. Nous voulons également tester une hypothèse durant cette élection 2017 : est-on encore dans un processus d’élection, ou est-on entré dans une ère de « désélection » consistant davantage à éliminer qu’à s’enthousiasmer pour un projet ?

Notes
  • 1. Unité CNRS/Sciences Po Paris.

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