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La médecine darwinienne, un autre regard sur la santé
« Les antibiotiques, c’est pas automatique ! » La rengaine serinée depuis plusieurs années par les autorités de santé est dans toutes les têtes. Destinés à éradiquer les infections d’origine microbienne, ces médicaments, largement prescrits contre des infections d’origine virale notamment, ont eu pour effet de sélectionner les souches microbiennes les plus résistantes. Un cas d’école de la théorie darwinienne de l’évolutionFermerDu fait d’infimes mutations génétiques, chaque individu d’une espèce diffère légèrement des autres. Les mutations qui confèrent un avantage de survie à un individu, et donc une plus grande chance de se reproduire, sont transmises aux générations suivantes et finissent par se répandre au sein de l’espèce. On dit que ces caractères ont été « sélectionnés » ou encore que l’espèce s’est « adaptée ». Ce mécanisme de sélection naturelle a été exposé pour la première fois par Charles Darwin dans son livre De l’origine des espèces, paru en 1859. Lui-même n’a jamais utilisé le mot d’évolution, qui est apparu plus tardivement. appliquée à la santé ! « Les microbes qui possédaient une mutation génétique leur conférant une meilleure résistance aux antibiotiques ont bénéficié d’un avantage pour se reproduire, tandis que les autres souches succombaient au traitement », explique Frédéric Thomas, chercheur en biologie évolutive au Mivegec1, à Montpellier, laboratoire spécialisé dans les maladies infectieuses.
La fièvre, bel exemple d'adaptation darwinienne
Comme les autres espèces – animaux, végétaux, parasites… –, l’homme a été façonné par l’environnement dans lequel il a évolué. Mieux comprendre ces adaptations fournit un éclairage nouveau aux problèmes de santé auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui. C’est le postulat de la médecine darwinienne, théorisée dans les années 1990 par les biologistes américains Nesse et Williams dans leur livre Why We Get Sick. The New Science of Darwinian Medicine. « Durant des milliers d’années, l’homme a co-évolué avec quantité de parasites – flore bactérienne intestinale, vaginale, cutanée, vers intestinaux… – contre lesquels il a développé un certain nombre de défenses. Dans le même temps, ces parasites ont connu leurs propres adaptations afin de maximiser leur reproduction à nos dépens », indique Luc Perino, médecin et enseignant à la faculté de médecine de Lyon, également auteur d’un site de réflexion sur la médecine, la santé et l’évolution du système sanitaire et social.
La fièvre est l’exemple le plus connu d’adaptation darwinienne : en élevant sa température, le corps met le parasite en zone d’inconfort. Si on supprime la fièvre en prescrivant un médicament antipyrétique, on enlève à l’organisme sa capacité à lutter contre l’infection… À l’inverse, les symptômes présentés par les chiens atteints de la rage (salivation excessive, comportement agressif) relèvent clairement d’une manipulation parasitaire : pour se transmettre, le virus a besoin que d’autres individus soient infectés. « Avant de supprimer un symptôme, il peut être judicieux de savoir de quelle catégorie il relève », note Luc Perino.
Les changements brutaux d’environnement entraînent leur lot de conséquences. On parle alors de mismatch : d’inadaptation de l’individu à son nouvel environnement. C’est l’une des explications apportées par la médecine darwinienne à la recrudescence des maladies auto-immunes et des allergies ces cinquante dernières années. « Ayant évolué dans des environnements riches en parasites, nous avons développé un système immunitaire particulièrement puissant, explique Frédéric Thomas. Or, avec la vaccination, les progrès de l’hygiène, les antibiotiques, etc., celui-ci est beaucoup moins sollicité. » Sous-employé, le système immunitaire a tendance à sortir l’artillerie lourde pour des événements mineurs – quelques malheureux grains de pollens s’introduisant dans l’organisme, par exemple – voire à se retourner contre le corps qu’il était censé protéger.
Comprendre ce mécanisme a permis de mettre au point un traitement inédit contre la maladie de Crohn, maladie inflammatoire chronique intestinale. L’idée est simple, mais a conduit chez les patients qui ont participé aux essais cliniques à une rémission de longue durée : il s’agit de donner à ingérer au patient des œufs de vers intestinaux de porc. Ces œufs ne se développent pas dans l’intestin humain, mais focalisent toute l’attention du système immunitaire !
Des tolérances différentes aux aliments
Un certain nombre de désordres d’origine alimentaire peuvent s’expliquer par des changements d’environnement. Le lait est un exemple. L’homme est le seul mammifère à continuer à consommer du lait à l’âge adulte. Pour autant, nous ne sommes pas tous égaux devant cet aliment : 2 % à peine des Chinois adultes tolèrent le lait de vache, contre 98 % des Hollandais. Cette différence s’explique par la sélection d’une mutation génétique intervenue il y a plus de six millénaires, au Néolithique, aux premiers temps de l’élevage. Grâce à cette mutation, certains individus installés en Europe du Nord ont pu continuer à produire la lactase, l’enzyme qui dégrade le lactose (sucre du lait), après le sevrage. Un avantage évident pour la survie lors des périodes de disette, qui explique pourquoi ce gène s’est maintenu et répandu dans cette région du monde.
Ces adaptations des populations locales aux aliments présents dans leur environnement direct ne sont pas sans conséquences à l’heure de la mondialisation. Le quinoa, plante de consommation courante en Amérique du Sud, comporte des substances détergentes mal tolérées par certains estomacs occidentaux. Autre aliment pouvant entraîner des désordres alimentaires : le soja. Cette plante très consommée en Asie contient des phyto-oestrogènes, des hormones végétales dont les effets sont encore peu connus sur les organismes d’Européens. « C’est tout le problème de faire consommer à des individus des plantes avec lesquelles ils n’ont pas évolué », déplore Michel Raymond, chercheur à l’Institut des sciences de l’évolution de Montpellier2.
Dernier champ où l’approche darwinienne se révèle d’un précieux secours : les problèmes de santé liés au vieillissement. « Au cours de l’évolution, les mécanismes ayant pour effet de maximiser la reproduction ont été systématiquement favorisés, même s’ils ont des effets délétères sur la survie de l’individu à plus long terme », analyse Luc Perino. Ce compromis entre les différentes phases de la vie – avec un avantage systématique donné à la phase reproductive –, éclaire d’un jour nouveau les maladies de la sénescenceFermerVieillissement naturel des tissus et de l’organisme. : dégénérescence du système nerveux, dégénérescence cardio-vasculaire, cancer.
Le calcium est un bon exemple de compromis évolutif. « Le gène qui produit le calcium et favorise son dépôt dans les tissus constitue un avantage dans les premiers âges de la vie, remarque Luc Perino. Il renforce les os et produit des individus plus résistants, donc plus aptes à se reproduire. Mais il se dépose aussi dans les artères, ce qui devient un vrai problème lorsque l’homme vieillit. » Un inconvénient que la sélection naturelle ne retient pas, puisqu’il intervient après la période de reproduction, et que le gène responsable a déjà été transmis à la génération suivante.
La recherche sur le cancer pourrait bénéficier de cette approche évolutive. « Grâce à l’action de la sélection naturelle, nos défenses contre le cancer sont globalement bonnes tant que nous sommes reproducteurs, observe Frédéric Thomas. C’est la raison pour laquelle les principaux cancers (prostate, sein, colorectal) sont des maladies qui se déclenchent le plus souvent en phase post-reproductive. » Certains mécanismes favorables à la reproduction peuvent alors se retourner contre l’individu : ainsi, les hommes qui produisent énormément de testostérone ont un avantage reproductif dans leur jeune âge, mais ce sont eux qui risquent le plus de déclencher un cancer de la prostate…
La maladie elle-même, caractérisée par une croissance débridée des cellules tumorales, présente un fonctionnement typiquement darwinien. La cellule cancéreuse fait preuve d’un comportement égoïste, se reproduisant au détriment de ses voisines – un dysfonctionnement qui remonterait à l’apparition de la multicellularité, il y a un demi-milliard d’années. « Au début, la vie était unicellulaire, chaque cellule étant alors chargée de sa propre reproduction, précise Frédéric Thomas. Avec l’apparition des êtres multicellulaires, les cellules ont confié le soin de la reproduction à des cellules spécialisées, les gamètes. En théorie, elles n’assurent plus que le seul renouvellement cellulaire. Mais, en cas de dérèglement, il arrive que les cellules retrouvent leurs vieux réflexes d’organismes unicellulaires. » Un éclairage intéressant sur cette maladie, et une preuve de plus de l’intérêt de considérer nos problèmes de santé à la lumière de la pensée darwinienne.
A lire sur le même thème : Une approche darwinienne du cancer
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Auteur
Journaliste scientifique, Laure Cailloce est rédactrice en chef adjointe de CNRS Le journal. et de la revue Carnets de science.
À lire / À voir
Pourquoi tombons-nous malade ?, Randolph Nesse et George Williams, De Boeck, coll. « Plaisir des sciences », 2013, 320 p.
Cro-Magnon toi-même ! Petit guide darwinien de la vie quotidienne, Michel Raymond, Seuil, coll. « Point Sciences », 2011, 248 p.
L'Évolution des espèces. Les preuves (t. 1), Maxime Hervé et Denis Poinsot, Éditions Apogée, coll. « Espace des sciences », 2013, 64 p.
L'Évolution des espèces. Les mécanismes (t. 2), Maxime Hervé et Denis Poinsot, Éditions Apogée, coll. « Espace des sciences », 2013, 64 p.
Commentaires
Chers collègues,
Thierry Winkel le 10 Juin 2014 à 17h29très intéressant, l'approche
michel vassail le 7 Août 2016 à 18h52C'est bien.
turquie santé le 15 Juillet 2019 à 17h46Connectez-vous, rejoignez la communauté
du journal CNRS