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Quand la mécanique prend le large
L’édition 2019 du Congrès français de mécanique, organisé à Brest du 26 au 30 août par l’Institut de recherche Henri-Dupuy-de-Lôme (IDRL)1 que vous dirigez, a choisi de donner un coup de projecteur sur la thématique « Mécanique et ingénierie marine ». Quels en sont les grands axes ?
Pierre-Yves Manach : Il y a par exemple les énergies marines renouvelables, qui ont connu beaucoup de progrès. Leur développement et leur succès nécessitent cependant qu’elles restent concurrentielles par rapport à d’autres moyens de production de l’électricité, comme le nucléaire. Pour cela, nous devons concevoir des structures qui ne sont pas trop coûteuses et garantir leur fiabilité. On peut aussi citer la modélisation des chargements et des sollicitations, qui constitue presque toujours une part importante des travaux de mécanique. Or, si elles sont maintenant assez bien maîtrisées pour un moteur de voiture qui fonctionne dans des conditions fermées et connues, le milieu marin comporte des situations bien plus compliquées : houle, température, corrosion, vieillissement, éloignement… Cela vaut aussi bien pour les éoliennes que pour les bateaux.
L’ingénierie de pointe est-elle toujours en première ligne dans un domaine ancestral comme la construction navale ?
P.-Y. M. : Oui bien entendu, que ce soit pour des cargos ou des bâtiments militaires. Certains éléments mécaniques, jusque-là moulés ou conçus par déformation à chaud, sont maintenant fabriqués par impression 3D. Cette révolution doit cependant s’accompagner de vérifications quant au vieillissement et à l’usure de ces nouvelles pièces en pleine mer. La diminution de la consommation de carburant des navires est également primordiale, par exemple en les assistant avec des kites, de grands cerfs-volants faisant office de voile.
La course au large et la navigation de plaisance constituent aussi un enjeu important en ingénierie marine...
P.-Y. M. : Absolument. On y retrouve énormément de matériaux composites à base de fibre de verre, extrêmement peu dégradables. Leur remplacement par des fibres végétales devrait aider à leur recyclage ou à leur autodestruction en fin de vie. Les foilsFermerAiles profilées qui se déplacent dans l’eau et transmettent une force de portance à leur support. posent également un challenge de taille. À partir d’une certaine vitesse, ces appendices font décoller les navires et leur permettent d’accélérer davantage grâce à la diminution des frottements. Si les foils se démocratisent, ils sont encore conçus de manière très empirique. Avec des modèles numériques plus développés, ils gagneraient en stabilité, en fiabilité et en rapidité.
À quels verrous technologiques l’ingénierie marine est-elle confrontée ?
P.-Y. M. : Le passage de l’échelle de démonstrateur de laboratoire à celle du chantier naval pose problème. Mais le monitoring reste pour nous le point le plus important : comment mesurer l’évolution des propriétés de structures déployées en mer ? Si on prend l’exemple d’une voiture, celle-ci est régulièrement amenée au garage pour un contrôle technique. Pour les navires, c’est très différent. Certains parcourent les mers pendant des années en ne revenant que très rarement aux ports. Cela limite les contrôles et complique la mesure de leur vieillissement. On retrouve le même problème avec les éoliennes offshore, on ne va pas aller les inspecter tous les jours quand elles sont implantées à dix kilomètres des côtes. Alors, comment savoir quand changer une pale ? Comment vieillissent-elles ?
Et quelle stratégie pour les maintenir en fonctionnement ? La réponse à ces questions passe par l’usage de capteurs souples, directement intégrés lors de la fabrication des navires et des éoliennes. Reste à récupérer leurs signaux et leurs données, le domaine est pour l’instant encore embryonnaire.
Quelle est la place des simulations et de la modélisation dans l’institut de recherche que vous dirigez ?
P.-Y. M. : Notre activité au laboratoire s’équilibre à environ 50/50 entre l’expérimentation et la modélisation. Nous développons même certaines expérimentations afin de pousser la phase de modélisation, pour vérifier comment nous prévoyons les propriétés et les comportements des matériaux. Toutes nos études utilisent des modèles mathématiques dans le but d’améliorer la conception et surveiller le vieillissement des pièces, un problème quasiment incontournable en mécanique.
Comment avez-vous obtenu que le Congrès français de mécanique, qui se tient tous les deux ans seulement, soit organisé par l’IDRL à Brest ?
P.-Y. M. : Notre spécialité, l’ingénierie marine, a en partie conduit le choix de l’Association française de mécanique de nous confier l’organisation du congrès. Quand nous avons candidaté, nous avons bien entendu articulé notre dossier autour de celui-ci, puisque c’est l’ADN du laboratoire et qu’aucune autre unité française ne développe ce thème avec un tel volume. De plus, le congrès n’avait encore jamais eu lieu en Bretagne. Je trouve que c’est un beau clin d’œil entre la région, la mer et l’ingénierie mécanique. ♦
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Pour en savoir plus
Le Congrès français de mécanique se tient du 26 au 30 août, à Brest. En plus des sessions de chercheurs, on y retrouvera des présentations d’industriels et même d’un contre-amiral qui abordera l’importance des instruments astronomiques du XVIIIe siècle pour mesurer la longitude, une coordonnée restée longtemps bien plus difficile à obtenir que la latitude.
- 1. Unité CNRS/ENSTA Bretagne/Université Bretagne occidentale/Université Bretagne Sud/École nationale d’ingénieurs de Brest.
Coulisses
« Scientifique lié à la construction navale, né au XIXe siècle près de Lorient, député du Morbihan, Henri Dupuy de Lôme a surtout œuvré au développement de la marine française, la faisant passer de bâtiments en bois à l’utilisation du métal. En plus d’avoir conçu le premier cuirassé de l’Occident, il a permis au Napoléon d’être le premier navire de guerre du monde à fonctionner à la vapeur et à être propulsé par une hélice. Pionnier dans le domaine des sous-marins, ce qui influença les écrits de Jules Verne, ses idées novatrices en ont fait pour nous un choix parfait pour baptiser notre Institut de recherche », explique Pierre-Yves Manach.
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Auteur
Diplômé de l’École supérieure de journalisme de Lille, Martin Koppe a notamment travaillé pour les Dossiers d’archéologie, Science et Vie Junior et La Recherche, ainsi que pour le site Maxisciences.com. Il est également diplômé en histoire de l’art, en archéométrie et en épistémologie.
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