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Roses : sur la piste des molécules au parfum enivrant

Plante ornementale la plus cultivée du monde, prisée depuis l’Antiquité pour sa beauté et son parfum, la rose n’a pourtant pas encore livré tous ses secrets. Car, si les composants de ses effluves sont analysés depuis plusieurs décennies par les chimistes, leurs liens avec la perception de l’odeur de rose par les humains n’avaient été que très peu étudiés.
Pourquoi certaines fleurs exhalent-elles une fragrance plus typique de la rose que d’autres ? Quelles molécules rendent leurs parfums agréables ? attractifs ? floraux ? fruités ? La collaboration scientifique française interdisciplinaire qui s’est attelée à ces questions épineuses vient de publier ses résultats dans la revue iScience1.
Premier défi : identifier le nombre de composés émis par les roses. « C’est un problème extrêmement complexe, car il s’agit d’un mélange très riche de molécules », souligne Sylvie Baudino, coautrice principale de l’article et professeure émérite à l’université Jean Monnet Saint-Étienne dans le laboratoire Biotechnologies végétales appliquées aux plantes aromatiques et médicinales2. Elle précise que plusieurs centaines de composés au total ont été référencés.
Nathalie Mandairon, coautrice principale et directrice de recherche CNRS au Centre de recherche en neurosciences de Lyon3, ajoute que ces travaux représentent « une première étape pour démêler les composés du mélange afin d’identifier ceux qui provoquent l’attraction et ceux qui sont vraiment liés à la perception du parfum de rose, mais aussi en quelles proportion et quantité ils sont présents ».
Deux familles chimiques inattendues
Des roses fraîchement coupées de 10 variétés distinctes ont ainsi été soumises aux participants, qui ont noté leurs odeurs à l’aveugle. En parallèle, les fleurs de chaque variété ont été isolées sous une cloche en verre et les molécules émises ont été recueillies grâce à un matériau absorbant présent dans la cloche, puis analysées.
Résultat : dans les composés associés à l’odeur typique de rose, « nous avons retrouvé des molécules attendues, comme les phénylpropanoïdes, mais également d’autres que nous n’attendions pas, comme les ionones et les oxylipines », raconte Nathalie Mandairon.
Ces deux dernières familles sont connues des parfumeurs, mais, plutôt qu’un parfum de rose, ils leur attribuent généralement une odeur boisée ou de violette pour les ionones et une odeur fraîche pour les oxylipines. L’étude révèle également que « plus l’odeur est typique des roses, plus il y a d’ionones et d’oxylipines, plus les gens l'apprécient, la trouvent plaisante », complète Nathalie Mandairon.
Les scientifiques n’ont pas encore déniché la recette de la rose parfaite, mais montrent qu’un parfum agréable résulte d’un subtil équilibre entre ionones, oxylipines et 2-phényléthanol, tandis que les terpènes sont associés à des effluves fruités. Les oxylipines, elles, sont déjà connues pour leurs effets anxiolytiques chez l’humain et l’animal.
Le parfum de rose d’abord associé à la cosmétique et à la nature
Une vertu qui s’ajoute à la symbolique flatteuse dont jouit la fleur dans l’imaginaire collectif. « En question préliminaire, nous avons demandé aux participants de l’étude à quoi leur faisait penser l’odeur de rose. Ils l’ont associée positivement à la cosmétique, à la nature et, en dernier lieu, à l’alimentation », rapporte Nathalie Mandairon.
Les deux autrices expriment leur souhait de répéter ces tests après avoir retiré sélectivement certains composés du parfum pour comprendre plus finement le lien entre sa chimie et sa perception. Mais les premières conclusions intéressent d’ores et déjà sélectionneurs et parfumeurs.
Les humains ne sont cependant pas la seule espèce que l’odeur de rose ne laisse pas indifférente. En effet, le parfum des fleurs participe généralement à l’attraction des pollinisateurs – et, ainsi, à la reproduction –, ce qui est crucial pour les roses sauvages.

Des odeurs qui attirent… ou repoussent
Benoît Boachon, ingénieur de recherche CNRS au laboratoire Biotechnologies végétales appliquées aux plantes aromatiques et médicinales, qui a participé à l’étude sus-citée, dénombre les multiples fonctions écologiques des odeurs émises par les plantes : « Les composés organiques volatils peuvent être utilisés à des fins de communication pour attirer les pollinisateurs, mais aussi les prédateurs de certains parasites, favoriser les défenses des plantes alentour et attirer des micro-organismes mutualistes. Ils peuvent également servir à la défense contre les facteurs de stress environnementaux, les pathogènes, les ravageurs et les plantes compétitrices. »
Il cite la lavande et la menthe, qui présentent des petits poils, les trichomes, au sommet desquels se trouvent des glandes stockant des molécules odorantes. Lorsqu’un prédateur s’approche, l’ingénieux piège s’active, libère son contenu et repousse ainsi l’envahisseur.
Des composés volatils pour communiquer entre organes
Toutefois, de récents travaux ont montré que ces composés émis dans l’air par un végétal ne servent pas qu’aux échanges avec d’autres organismes, mais aussi à la communication entre ses propres organes !

« Nous nous sommes aperçus que des composés volatils étaient émis à l’intérieur même du bouton floral en développement chez le pétunia, explique Benoît Boachon. Cela permet, d’une part, de protéger la plante contre les proliférations bactériennes, mais, surtout, cela induit un signal hormonal favorisant la croissance du pistil et la production de graines. Or ce signal ne repose pas sur une molécule soluble, mais sur un composé volatil qui va pouvoir communiquer à distance. »
Ce phénomène est dénommé « fumigation naturelle ». La découverte de son mécanisme a fait l’objet d’une publication dans la revue Science4 l’année dernière. Reste à le rechercher chez d’autres espèces… ♦
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- 1. https://doi.org/10.1016/j.isci.2024.111635
- 2. BVpam, unité CNRS/Université Jean Monnet Saint-Étienne.
- 3. CRNL, unité CNRS/Inserm/Université Claude Bernard Lyon 1.
- 4. https://www.science.org/doi/10.1126/science.adl4685