Sections

Roses : sur la piste des molécules au parfum enivrant

Roses : sur la piste des molécules au parfum enivrant

11.04.2025, par
Temps de lecture : 7 minutes
Triage des roses, femme assise dans des millions de pétales © Tuul et Bruno Morandi / Hémis.fr
Triage des roses dans la ville de Kannauj, dans l’Uttar Pradesh (Inde), qui s’est fait une spécialité de la distillation des fleurs pour l’industrie du parfum.
Pourquoi une fleur de rose sent-elle… la rose ? Des scientifiques ont analysé la composition chimique de parfums de fleurs, dont les composés volatils servent à plaire, mais aussi à se défendre.

Plante ornementale la plus cultivée du monde, prisée depuis l’Antiquité pour sa beauté et son parfum, la rose n’a pourtant pas encore livré tous ses secrets. Car, si les composants de ses effluves sont analysés depuis plusieurs décennies par les chimistes, leurs liens avec la perception de l’odeur de rose par les humains n’avaient été que très peu étudiés.

Pourquoi certaines fleurs exhalent-elles une fragrance plus typique de la rose que d’autres ? Quelles molécules rendent leurs parfums agréables ? attractifs ? floraux ? fruités ? La collaboration scientifique française interdisciplinaire qui s’est attelée à ces questions épineuses vient de publier ses résultats dans la revue iScience1.

Apis mellifera sur une rose © Solvin Zankl / NaturePL / EBPhoto
Une abeille domestique (Apis mellifera) en train de butiner une rose, en Allemagne.
Apis mellifera sur une rose © Solvin Zankl / NaturePL / EBPhoto
Une abeille domestique (Apis mellifera) en train de butiner une rose, en Allemagne.

Premier défi : identifier le nombre de composés émis par les roses. « C’est un problème extrêmement complexe, car il s’agit d’un mélange très riche de molécules », souligne Sylvie Baudino, coautrice principale de l’article et professeure émérite à l’université Jean Monnet Saint-Étienne dans le laboratoire Biotechnologies végétales appliquées aux plantes aromatiques et médicinales2. Elle précise que plusieurs centaines de composés au total ont été référencés.

Nathalie Mandairon, coautrice principale et directrice de recherche CNRS au Centre de recherche en neurosciences de Lyon3, ajoute que ces travaux représentent « une première étape pour démêler les composés du mélange afin d’identifier ceux qui provoquent l’attraction et ceux qui sont vraiment liés à la perception du parfum de rose, mais aussi en quelles proportion et quantité ils sont présents ».

Deux familles chimiques inattendues

Des roses fraîchement coupées de 10 variétés distinctes ont ainsi été soumises aux participants, qui ont noté leurs odeurs à l’aveugle. En parallèle, les fleurs de chaque variété ont été isolées sous une cloche en verre et les molécules émises ont été recueillies grâce à un matériau absorbant présent dans la cloche, puis analysées.

test de capture des parfums émis, réalisé par Nathalie Mandairon et Sylvie Baudino © Dr Corentin Conart
Les molécules odorantes d’une fleur fraîche peuvent être capturées grâce à une sonde (technologie Headspace dynamique).
test de capture des parfums émis, réalisé par Nathalie Mandairon et Sylvie Baudino © Dr Corentin Conart
Les molécules odorantes d’une fleur fraîche peuvent être capturées grâce à une sonde (technologie Headspace dynamique).

Résultat : dans les composés associés à l’odeur typique de rose, « nous avons retrouvé des molécules attendues, comme les phénylpropanoïdes, mais également d’autres que nous n’attendions pas, comme les ionones et les oxylipines », raconte Nathalie Mandairon.

Les scientifiques n’ont pas encore déniché la recette de la rose parfaite, mais montrent qu’un parfum agréable résulte d’un subtil équilibre.

Ces deux dernières familles sont connues des parfumeurs, mais, plutôt qu’un parfum de rose, ils leur attribuent généralement une odeur boisée ou de violette pour les ionones et une odeur fraîche pour les oxylipines. L’étude révèle également que « plus l’odeur est typique des roses, plus il y a d’ionones et d’oxylipines, plus les gens l'apprécient, la trouvent plaisante », complète Nathalie Mandairon.

Les scientifiques n’ont pas encore déniché la recette de la rose parfaite, mais montrent qu’un parfum agréable résulte d’un subtil équilibre entre ionones, oxylipines et 2-phényléthanol, tandis que les terpènes sont associés à des effluves fruités. Les oxylipines, elles, sont déjà connues pour leurs effets anxiolytiques chez l’humain et l’animal.

Le parfum de rose d’abord associé à la cosmétique et à la nature

Une vertu qui s’ajoute à la symbolique flatteuse dont jouit la fleur dans l’imaginaire collectif. « En question préliminaire, nous avons demandé aux participants de l’étude à quoi leur faisait penser l’odeur de rose. Ils l’ont associée positivement à la cosmétique, à la nature et, en dernier lieu, à l’alimentation », rapporte Nathalie Mandairon.

Les deux autrices expriment leur souhait de répéter ces tests après avoir retiré sélectivement certains composés du parfum pour comprendre plus finement le lien entre sa chimie et sa perception. Mais les premières conclusions intéressent d’ores et déjà sélectionneurs et parfumeurs.

Les humains ne sont cependant pas la seule espèce que l’odeur de rose ne laisse pas indifférente. En effet, le parfum des fleurs participe généralement à l’attraction des pollinisateurs – et, ainsi, à la reproduction –, ce qui est crucial pour les roses sauvages.

Vu au microscope de trichomes et glandes à la surface d’une feuille de lavande © Power and Syred / Science Photo Library
À la surface d’une feuille de lavande – vue ici au microscope électronique à balayage, en fausses couleurs –, on distingue des trichomes (sorte d’épines ramifiées) et des glandes (sphères blanches) qui stockent les molécules odorantes.
Vu au microscope de trichomes et glandes à la surface d’une feuille de lavande © Power and Syred / Science Photo Library
À la surface d’une feuille de lavande – vue ici au microscope électronique à balayage, en fausses couleurs –, on distingue des trichomes (sorte d’épines ramifiées) et des glandes (sphères blanches) qui stockent les molécules odorantes.

Des odeurs qui attirent… ou repoussent

Benoît Boachon, ingénieur de recherche CNRS au laboratoire Biotechnologies végétales appliquées aux plantes aromatiques et médicinales, qui a participé à l’étude sus-citée, dénombre les multiples fonctions écologiques des odeurs émises par les plantes : « Les composés organiques volatils peuvent être utilisés à des fins de communication pour attirer les pollinisateurs, mais aussi les prédateurs de certains parasites, favoriser les défenses des plantes alentour et attirer des micro-organismes mutualistes. Ils peuvent également servir à la défense contre les facteurs de stress environnementaux, les pathogènes, les ravageurs et les plantes compétitrices. »

Il cite la lavande et la menthe, qui présentent des petits poils, les trichomes, au sommet desquels se trouvent des glandes stockant des molécules odorantes. Lorsqu’un prédateur s’approche, l’ingénieux piège s’active, libère son contenu et repousse ainsi l’envahisseur.

Des composés volatils pour communiquer entre organes

Toutefois, de récents travaux ont montré que ces composés émis dans l’air par un végétal ne servent pas qu’aux échanges avec d’autres organismes, mais aussi à la communication entre ses propres organes !

bouton floral de pétunia en développement © Benoît Boachon
Des composés volatils sont émis dans le bouton floral en développement – ici, celui d’un pétunia. Cela permet à la plante de se protéger contre les proliférations bactériennes et de créer un signal hormonal favorisant la production de graines.
bouton floral de pétunia en développement © Benoît Boachon
Des composés volatils sont émis dans le bouton floral en développement – ici, celui d’un pétunia. Cela permet à la plante de se protéger contre les proliférations bactériennes et de créer un signal hormonal favorisant la production de graines.

« Nous nous sommes aperçus que des composés volatils étaient émis à l’intérieur même du bouton floral en développement chez le pétunia, explique Benoît Boachon. Cela permet, d’une part, de protéger la plante contre les proliférations bactériennes, mais, surtout, cela induit un signal hormonal favorisant la croissance du pistil et la production de graines. Or ce signal ne repose pas sur une molécule soluble, mais sur un composé volatil qui va pouvoir communiquer à distance. »

Ce phénomène est dénommé « fumigation naturelle ». La découverte de son mécanisme a fait l’objet d’une publication dans la revue Science4 l’année dernière. Reste à le rechercher chez d’autres espèces… ♦

Consultez aussi :
Mieux comprendre les troubles de l’odorat 
Pharmacognosie : de la nature à l’armoire à pharmacie 
Claire de March, une chercheuse qui a du nez

Notes