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Pharmacognosie : de la nature à l’armoire à pharmacie
Vous avez reçu en 2022 la médaille de bronze du CNRS pour vos recherches sur la pharmacognosie, pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste cette discipline ?
Mehdi Beniddir1. Il s’agit d’une discipline appartenant aux sciences pharmaceutiques, qui s’intéresse aux substances naturelles et à leurs actions pharmacologiques. Étymologiquement, « pharmacognosie » signifie « connaissance des poisons ou remèdes ». Mon métier, en tant que pharmacien et chimiste, est de découvrir des molécules, sachant que la plupart sont des poisons, et faire en sorte qu’elles deviennent des médicaments. Ces molécules ont des sources variées : végétale, animale, fongique, fermentaire et marine. Leur potentiel thérapeutique est ainsi lié à la fonction qu’elles assurent dans le milieu naturel, comme par exemple des molécules qu’emploient les organismes végétaux et animaux pour se défendre.
Quel est l’intérêt de ces molécules pour l’être humain ?
M. B. Il faut savoir que près de 50 % de l’arsenal thérapeutique utilisé aujourd’hui en clinique provient de la nature. Cet arsenal comprend des antibiotiques antibactériens, antifongiques, des anti-cancéreux, ou encore des immunosuppresseurs majeurs. En ce qui me concerne, je vise à découvrir de nouvelles substances naturelles qui serviront de source d’inspiration pour concevoir les antibiotiques de demain. Toutefois, la grande majorité des industries pharmaceutiques, qui jadis ne juraient que par les substances naturelles, ont désormais abandonné leurs efforts de recherche en pharmacognosie. Cet effort de recherche est ainsi aujourd’hui dévolu aux laboratoires académiques.
Quelle est la spécificité de vos méthodes de recherche ?
M. B. Je développe des stratégies de découverte précoce de nouvelles molécules fondées sur la chimio-informatique, qui combine chimie et intelligence artificielle.
La numérisation permet notamment de sauvegarder le patrimoine historique des laboratoires en déposant les données spectrales des substances naturelles dans des bases de données accessibles à toute la communauté scientifique. Elle permet également d’améliorer le processus de découverte de substances naturelles et d’éviter le ré-isolement de substances déjà décrites.
Combinée à la mise au point de nouveaux instruments d’analyse et à l’avènement du big data, la pharmacognosie vit une véritable révolution technologique. En outre, les données spectrales jouent aujourd’hui un rôle crucial : elles procurent de précieuses bases de données permettant d’entraîner des algorithmes de machine learning (apprentissage automatique) et d’améliorer les processus qui prédisent les structures des molécules. À ce titre, les échantillons patrimoniaux et muséaux constituent de véritables trésors de données à numériser et à partager.
Comment s’articulent pharmacognosie, médecine traditionnelle et recherche en pharmacie ?
M. B. La pharmacognosie élargit la connaissance, ce qui est fondamental pour mieux connaître le vivant et la façon dont on peut l’exploiter. La pharmacie regroupe par essence beaucoup de disciplines. Mon travail de recherche permet de décrire de nouvelles molécules naturelles qui étendent le répertoire chimique dans lequel la pharmacie va tenter d’identifier le futur candidat médicament.
Par ailleurs, la pharmacognosie est intimement liée à la médecine traditionnelle car elle tire ses connaissances de savoirs ancestraux. Jusqu’à aujourd'hui, la médecine traditionnelle reste la principale source de soin pour 80 % de la population mondiale selon l’Organisation mondiale de la santé. La science moderne a tenté de rationaliser ces préparations traditionnelles, souvent constituées de mélanges de plantes et d’animaux.
L’artémisinine est un excellent exemple de principe actif découvert grâce à la médecine traditionnelle : des écrits datant de 168 avant Jésus-Christ décrivaient l’emploi de tisane d’armoise annuelle pour traiter des fièvres. L’extraction de l’artémisinine à partir de l’armoise pour traiter le paludisme a valu le prix Nobel de physiologie ou médecine en 2015 à la chercheuse chinoise Tu Youyou.
Explorer les points chauds de biodiversité (hotspot) tels que les forêts primaires, associés à un crible ethnopharmacologique permet par ailleurs de valider les observations empiriques traditionnelles. En effet, lorsqu’un tradipraticien (médecin traditionnel) attire notre attention sur l’utilisation d’une plante, on s’y intéresse particulièrement afin d’isoler la ou les substances actives et de révéler les bénéfices. Enfin, le croisement des données historiques d’emploi de certains remèdes ou poisons de flèches, de la chimie et des outils informatiques modernes, permet de tracer l’origine des plantes et des animaux qui existaient à une autre époque et à un endroit donné.
Comment vous assurez-vous que vos recherches ne nuisent pas à la protection de la biodiversité ?
M. B. La préservation de la biodiversité est au cœur de mes travaux de recherche. Ces travaux s’inscrivent dans un cadre strict d’accès aux ressources génétiques et de partage des avantages (APA) découlant de leur utilisation, réglementé par le protocole de Nagoya de 2010. Grâce au recueil du consentement préalable pour l’accès à ces ressources, l’APA contribue à promouvoir des conditions d’accès et d’utilisation respectueuses de la biodiversité qui renferme une richesse chimique inestimable. Le dispositif APA permet également l’amélioration de la sécurité juridique entre fournisseur et utilisateur, le renforcement de la traçabilité sur les ressources et la transparence sur les utilisations. De plus, nous nous référons à la liste de l’union internationale pour la conservation de la nature (IUCN) pour évaluer le statut des espèces que nous étudions.
Dans un contexte de défiance vis-à-vis de « Big pharma », rappeler que les médicaments sont issus de la nature peut-il rassurer ?
M. B. C’est un argument qui fait sens mais qui est dévoyé par le marketing qui l’utilise uniquement pour vendre. Sous prétexte que les produits sont naturels ou d’origine naturelle, les gens peuvent penser, à tort, qu’ils sont dénués de toute toxicité. Rappelons que la phytothérapie peut conduire, en association avec des médicaments « conventionnels », à des interactions médicamenteuses aux conséquences graves. N’oublions pas que les plus grands poisons de l’histoire sont naturels. Beaucoup considèrent que l’utilisation de plantes sous forme de tisane, de gélules, est forcément bénéfique. C’est effectivement possible mais pour s’en assurer, il faut au préalable pratiquer une analyse rigoureuse des bienfaits des plantes en question et une évaluation critique du rapport bénéfice/risque. C’est en partie ce que fait la pharmacognosie. ♦
Pour aller plus loin
Mehdi A. Beniddir et Erwan Poupon, « Chimie des substances naturelles et pharmacie : à la croisée des chemins », Comptes Rendus (Académie des sciences), Chimie, Online first (2023), pp. 1-15. doi : 10.5802/crchim.275.
- 1. Chimiste, pharmacien, enseignant-chercheur au sein de l'unité Biomolécules : conception, isolement, synthèse (BioCIS, CNRS/Université Paris-Saclay).
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du journal CNRS