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Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le sexe
(Cet article a été publié dans CNRS Le Journal n°242 mars 2010)
Ce n’est pas un secret : tout le monde le fait (ou presque). Mais pas n’importe où, ni n’importe comment. Des esprits pudibonds ont beau déplorer aujourd’hui un inquiétant relâchement, la sexualité chez les humains obéit depuis toujours à un strict encadrement, absolument unique dans la nature. Mais il ne s’agit pas de l’interdit de l’inceste, pratique que les primates prennent aussi souvent soin d’éviter. Non, c’est ailleurs que nous marquons notre différence. « Contrairement aux animaux, les êtres humains connaissent en effet des comportements de pudeur au sujet de tout ce qui concerne le sexe », commente Marie-Élisabeth Handman, du Laboratoire d’anthropologie sociale1, à Paris, où elle a dirigé l’équipe de recherche « Altérité, sexualités, santé » pendant quinze ans.
Premier point : les organes génitaux. Il convient généralement de les cacher. Même chez les populations des zones tropicales, qui vivaient pratiquement nues jusque récemment, la pudeur est là. C’est pourquoi, même si le sexe était montré, suprême obscénité à nos yeux d’Occidentaux, la manière de s’asseoir, de se présenter devant autrui, faisait de toute façon toujours l’objet d’une extrême attention. Second point : nous ne nous accouplons pas ordinairement en public, comme les chiens, en pleine rue et sans états d’âme ; ou pour un oui, pour un non, avec le ou la première venue, comme les singes bonobos à la vie sexuelle aussi intense que débridée.
De l’instinct au désir
Pourquoi les humains ont-ils eu ainsi besoin de contrôler et d’organiser leur sexualité ? « Parce que quelque chose a transformé radicalement notre rapport au sexe comparé aux autres espèces, reprend Marie-Élisabeth Handman, c’est la perte de l'œstrus chez la femme », à un moment de l’évolution qui n’est pas daté par les paléontologues.
a radicalement changé notre rapport au sexe.
L’œstrus, c’est cette période dite de chaleurs, durant laquelle une femelle mammifère est fécondable et recherche clairement l’accouplement en vue de la reproduction. Qu’elle creuse son dos, comme chez les félins, ou que ses fesses rougissent, comme chez les singes, c’est donc madame qui donne le signal à monsieur, pas libidineux pour deux sous, mais plutôt tout entier guidé par son instinct de mâle reproducteur. Et chez nous ? Tout se complique. En l’absence de période de rut et des signaux clairs qui l’accompagnent, la sexualité n’est plus soumise aux rythmes saisonniers de la nature. Et les femmes deviennent « disponibles » en permanence. Ajoutons à cela une vertigineuse augmentation du volume du cortex cérébral comparé à nos ancêtres poilus, et voilà que, grâce au « centre du langage et de l’expression des sentiments, une partie de l’instinct se change en désir », poursuit l’anthropologue, qui travaille depuis vingt-cinq ans sur les rapports sociaux de sexe.
Gérer socialement sa sexualité
Une troublante scission apparaît alors entre la sexualité-désir et la sexualité-reproduction. « Comme l’a montré Maurice Godelier2, dont les travaux font référence, les risques d’affrontements et de désunions qu’entraînent le désir et la poursuite des satisfactions sexuelles ont alors mis en péril la coopération entre les sexes, invention humaine qui s’est développée avec la domestication du feu et la division du travail », poursuit Marie-Élisabeth Handman.
entre les sexes.
Comment assurer la reproduction de la société dans un contexte aussi tendu ? C’est pour enrayer cette menace que l’humanité est devenue la seule espèce de primates à avoir entrepris de gérer socialement sa sexualité. Ensuite, bien entendu, à chaque société ses rites, qu’il s’agisse de prêter sa femme à un hôte de passage, comme chez les Inuits du Groenland, ou bien qu’une femme reçoive tous les hommes qu'elle souhaite3 durant des visites furtives, la nuit, comme chez les Na de Chine. Mais, dans tous les cas, affirment les anthropologues, l’encadrement de la sexualité – et donc de ses représentations – constitue la base de la condition humaine.
Le poids de la religion
À cela, les religions sont également venues ajouter leur grain de sel. Dans la Genèse de l’Ancien Testament figure la célèbre injonction « Croissez et multipliez ». « Mais si, pour y répondre, faire l’amour est selon le judaïsme un acte qui plaît à Dieu puisqu’un ange est là pour l’apprécier, tout semble changer avec les débuts du christianisme, commente Marie-Élisabeth Handman, car c’est alors un démon qui devient spectateur ! ».
Le plaisir est désormais banni, il faut renoncer à la chair pour ne pas céder au péché. « Selon saint Paul, pour ceux qui ne peuvent rester chastes, la solution est le mariage. Mais il valait tout de même mieux éviter de faire du zèle en étant trop actif avec son conjoint… », poursuit l’anthropologue. D’où vient cette recherche de la chasteté ? « Il semble qu’elle remonte aux origines hellénistiques du christianisme, avec le mépris du monde matériel, reprend Marie-Élisabeth Handman. Surtout, c’est l’époque où la perspective de l’Apocalypse est très présente, la recherche de la pureté maximale pour se rapprocher de Dieu devenait donc primordiale. » Se reproduire devient ainsi la seule raison de tolérer la sexualité. De tout cela découle ensuite logiquement une condamnation féroce de l’homosexualité, qui serait quant à elle liée au seul plaisir. Désir, pudeur, péché : ils sont désormais bien loin nos ancêtres primates !
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Auteur
Journaliste scientifique, autrice jeunesse et directrice de collection (une vingtaine de livres publiés chez Fleurus, Mango et Millepages).
Formation initiale : DEA de mécanique des fluides + diplômes en journalisme à Paris 7 et au CFPJ.
Plus récemment : des masterclass et des stages en écriture...
À lire / À voir
Au fondement des sociétés humaines, Maurice Godelier, Albin Michel, coll. « Bibliothèque Idées », 2007, 304 p., 20,30 €
Commentaires
Bonjour,
c.francois le 12 Août 2014 à 13h31Bonjour, merci pour cet
MEP le 13 Août 2014 à 01h21Moi, je vois les choses comme
berlherm le 18 Août 2014 à 09h31Connectez-vous, rejoignez la communauté
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