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Tuberculose: la vache innocentée
Au moment de l’apparition des premiers animaux domestiques, la tuberculose était déjà une maladie humaine. Telle est la conclusion des travaux d’une équipe internationale impliquant plusieurs laboratoires de l’École pratique des hautes études (EPHE), du CNRS, de l’IRD et d’universités1. Oussama Baker, doctorant à l’EPHE, et ses collègues ont examiné des squelettes découverts sur deux sites syriens du Croissant fertile. Ils affirment, dans la revue Tuberculosis2, qu’au moins quatre d’entre eux, datant d’une époque du Néolithique ancien où les hommes de cette région étaient encore des chasseurs-cueilleurs, présentent des lésions osseuses caractéristiques de cette pathologie infectieuse. Un diagnostic qui, précisent-ils, a été confirmé par la mise en évidence de la signature biochimique et moléculaire du Mycobacterium tuberculosis !
Un bacille humain plus archaïque que celui de l’animal
Provoquée par une bactérie se transmettant par voie aérienne, la tuberculose figure parmi les maladies dites ré-émergentes. Avec la propagation de l’épidémie de Sida, cette infection extrêmement contagieuse que l’Organisation mondiale de la santé a cru, à un moment, pouvoir éradiquer a fait sa réapparition sous une forme plus résistante aux traitements. D’où une série de travaux actuels visant à comprendre ce qui détermine la virulence plus ou moins forte de cette bactérie au cours du temps et la manière dont elle a évolué durant les étapes clés de l’histoire humaine. Notamment, celle, cruciale, du Néolithique.
a mis en évidence
les plus anciens
cas démontrés
de tuberculose
humaine et ce
avant l’étape de
la domestication.
Longtemps, les scientifiques ont été persuadés qu’à l’instar d’autres maladies, comme la rougeole, la tuberculose dérivait d’une anthropozoonose, une maladie transmise du bétail à l’homme durant cette période qui vit apprivoiser puis exploiter au Moyen-Orient, vaches, chèvres, porcs et moutons. Mais, en démontrant que les formes animales du bacille sont moins archaïques que les formes humaines, une équipe coordonnée par l’Institut Pasteur travaillant sur des souches actuelles a, en 2002, complètement réfuté cette thèse3.
Des fouilles dans le berceau syrien de l’agriculture
Qu’en est-il en définitive ? À l’occasion de fouilles réalisées entre 1991 et 2010 sur le site de Dja’de el Mughara (de 10 000 à 11 000 ans) sous la responsabilité d’Éric Coqueugniot, du Laboratoire Archéorient4, et sur celui de Tell Aswad (de 9 000 à 10 000 ans), supervisé par Danièle Stordeur, du même laboratoire, Oussama Baker et ses collègues ont analysé les traces de tuberculose sur des squelettes d’humains ayant vécu avant et après la domestication. Situés en Syrie, l’un des berceaux de l’agriculture, ces anciens habitats ont été occupés pour le premier avant l’époque charnière de la domestication et pour le second après. À Dja’de el Mughara, une centaine de corps, certains regroupés dans une « maison des morts » ont ainsi été mis au jour. Quatre d’entre eux ont fait l’objet des investigations paléo-pathologiques des chercheurs.
À l’aide d’une chaîne de traitement d’imagerie numérique développée au sein du Laboratoire Pacea5 pour les besoins particuliers de l’archéologie, les chercheurs ont pu analyser, après un scan par micro-tomodensitométrie par rayons X, les images en 3D de l’intérieur d’une vertèbre lombaire provenant du plus ancien des deux sites. « L’équipe a mis en évidence des anomalies de l’os trabéculaire révélatrices d’un stade précoce de tuberculose, chez un enfant d’environ cinq ans », explique Hélène Coqueugniot, du laboratoire Pacea.
Le plus vieux cas de tuberculose humaine
S’agissait-il pour autant de la forme humaine de la maladie et non de sa forme animale (par exemple bovine) qui peut infecter l’homme, le plus souvent par le lait ou la viande ? Les chercheurs ont analysé par des techniques de biologie moléculaire les restes bactériens – lipides et ADN – présents dans les ossements concernés. Ils ont ainsi découvert les traces d’un bacille génétiquement proche de celui qui se propage actuellement chez l’homme.
« Jusqu’à présent, les seuls exemples connus de tuberculose remontant à une époque antérieure au Néolithique étaient celui, controversé, d’un Homo erectus de 500 000 ans et ceux, problématiques, de bisons morts dans le Wyoming (États-Unis), il y a 17 000 ans, explique Olivier Dutour, paléopathologiste à Pacea et directeur d’études à l’EPHE. Notre travail a donc mis en évidence les plus anciens cas démontrés de tuberculose humaine et ce avant l’étape de la domestication. Il s’agit maintenant d’aller plus loin en analysant les ossements d’animaux domestiqués et sauvages découverts, puis en procédant à des comparaisons moléculaires avec les résultats obtenus sur les restes humains. Outre qu’elle nous permettrait de tester l’hypothèse selon laquelle c’est l’homme qui aurait contaminé l’animal et non l’inverse, une telle étude pourrait s’avérer utile pour vérifier si des souches virulentes actuelles du bacille ne pourraient pas dater aussi de cette époque. »
- 1. Laboratoire d’anthropologie biologique Paul-Broca (EPHE), Laboratoire Archéorient (CNRS/Univ. Lumière Lyon-II), Mivegec (CNRS/IRD/Univ. de Montpellier), Cepam (CNRS/Univ. Nice-Sophia Antipolis), Pacea (CNRS/Univ. de Bordeaux/MCC).
- 2. « Human tuberculosis predates domestication in ancient Syria », O. Baker et al., Tuberculosis, publié en ligne le 25 février 2015.
- 3. « A new evolutionary scenario for the Mycobacterium tuberculosis complex », R. Brosch et al., PNAS, 2002, vol. 99 (6) : 3684-3689.
- 4. Un laboratoire de la MSH MOM, unité CNRS/Univ. Lumière Lyon-II.
- 5. De la Préhistoire à l’Actuel : culture, environnement, anthropologie (CNRS/Univ. de Bordeaux/MCC).