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Victor Malka, virtuose du laser
Comme en attestent les trois distinctions obtenues cette année à quelques semaines d’intervalle, les travaux de Victor Malka, directeur de recherche au CNRS, ont le vent en poupe. Après le prix Julius Springer de la Société allemande de physique reçu en avril, ce spécialiste de la physique des plasmas1 au Laboratoire d’optique appliquée2 (LOA) de Palaiseau, s’est vu remettre en mai le prix Holweck de la Société française de physique et de l’Institute of Physics, ainsi qu’un prix de la Société européenne de physique : « Convaincre la communauté des physiciens de la pertinence de l’approche laser pour accélérer des particules à travers un plasma ne fut pas chose facile, mais cette récente succession de récompenses prouve que notre démarche suscite aujourd’hui un véritable engouement », reconnaît le physicien.
La perspective d’utiliser un laser pour accélérer des électrons ou des protons remonte au début des années 1990. À l’époque, Victor Malka étudie la fusion thermonucléaireFermerPhénomène, à l’œuvre dans le soleil, par lequel des noyaux atomiques s’unissent pour former un noyau plus lourd. au Laboratoire pour l’utilisation des lasers intenses3 (Luli). Confronté à l’inertie de cette recherche de très haute volée, nécessitant un dispositif expérimental complexe autour duquel gravitent pléthore de scientifiques, le jeune physicien a du mal à trouver ses marques.
« J’ai fini par prendre conscience que la fusion nucléaire offrait trop peu de prise sur mon propre travail d’investigation, ce qui allait à l’encontre de l’idée d’autonomie que je me faisais du métier de chercheur », se souvient Victor Malka dont la carrière prend un tour nouveau vers 1994. Cette année-là, au Laboratoire Rutherford Appleton (Grande-Bretagne), avec une équipe de l’Imperial College London et de l’université de Californie à Los Angeles, il parvient à générer pour la première fois des faisceaux d’électrons de grande énergie.
Expériences fondatrices
Dans la foulée de ces résultats inédits, le chercheur français décide de réorienter ses travaux vers la thématique naissante des accélérateurs laser-plasmaFermerInstruments permettant d’accélérer des particules de façon compacte et efficace grâce à l’interaction entre une impulsion laser de très grande intensité et un gaz produisant un plasma.. À l’époque, la plupart des lasers sont encore de véritables mastodontes qui permettent de réaliser, au mieux, un tir toutes les 40 minutes. Victor Malka est toutefois persuadé que l’emploi d’appareils plus compacts et fonctionnant à une cadence plus élevée va permettre d’accroître les performances des accélérateurs laser-plasma. Le tout nouveau laser du LOA, qu’il rejoint au début des années 2000, va lui offrir l’outil idéal pour relever ce défi. Au sein de l’équipe « Sources de particules laser » qu’il met immédiatement sur pied, les résultats marquants ne vont pas tarder à se succéder. En 2002, les scientifiques parviennent tout d’abord à produire des faisceaux d’électrons à haut niveau d’énergie en faisant traverser un plasma par une impulsion laser de très grande intensité. Ces travaux, qui feront l’objet d’un article dans la revue Science, démontrent la possibilité de développer des accélérateurs de particules à la fois performants et compacts à partir de cette technologie. Ils offrent en outre à Victor Malka la reconnaissance de la communauté scientifique des plasmas : « Peu de temps après la diffusion de cet article, j’ai reçu un coup de téléphone du responsable du Cern (l’actuelle Organisation européenne pour la recherche nucléaire, NDLR) qui tenait à me féliciter pour la qualité de ces travaux tout en m’invitant à rejoindre ce grand projet européen. » Deux ans plus tard, le groupe de chercheurs obtient – en même temps que deux autres équipes de l’université de Californie à Berkeley et de l’Imperial College London – des faisceaux de particules dont la qualité avoisine celle des faisceaux délivrés par les accélérateurs traditionnels, mais avec une distance d’accélération bien inférieure. Au fil du temps, d’autres travaux ne feront que confirmer le fort potentiel de l’accélération laser-plasma de particules.
Des applications à portée de main
La montée en puissance de cette recherche d’avant-garde, Victor Malka l’attribue à une certaine propension à entretenir la motivation au sein de son équipe. « Après seulement une journée d’expérimentation sur une ligne laser, un doctorant obtient bien souvent des résultats suffisamment remarquables pour qu’ils fassent l’objet d’une publication scientifique, constate-t-il. Quant aux applications concrètes, elles sont plus que jamais à portée de main. »
Cette technologie pourrait en effet être employée d’ici peu dans le secteur de la sécurité industrielle pour visualiser en trois dimensions et à haute résolution les défauts sur des matériaux à la fois denses et épais comme les carlingues d’avions ou les cuves de réacteurs nucléaires.
La capacité d’un laser-plasma à produire des rayons X très intenses et cohérents offre par ailleurs la possibilité de développer l’imagerie médicale par contraste de phase.
« Contrairement à l’imagerie par rayons X conventionnelle, cette méthode permet d’obtenir des résolutions très fines, de l’ordre de quelques micromètres, ce qui autoriserait par exemple la détection de tumeurs cancéreuses à un stade très précoce », explique le chercheur. À plus long terme, elle pourrait en outre contribuer à démocratiser la radiothérapie par protons employée pour le traitement de certains types de tumeurs. Alors qu’un centre de protonthérapie comme celui d’Orsay s’appuie sur un accélérateur de particules à la fois très encombrant et très coûteux pour déposer des protons au plus près de la tumeur, Victor Malka et son équipe envisagent de faire de même à partir d’un accélérateur laser-plasma. « Cela aurait l’avantage de rendre l’appareil moins cher et plus compact afin de proposer ce traitement non plus dans un centre de recherche mais directement à l’hôpital. »
Pour l’ancien étudiant féru de mécanique quantique, qui applique volontiers le principe d’incertitude d’Heisenberg à ses propres travaux, l’émergence d’une innovation de ce genre n’est qu’une question de temps et d’énergie : « Plus on consacre de moyens au développement d’une technologie et plus courte sera la durée nécessaire pour obtenir des résultats probants. » Un principe que Victor Malka aura l’occasion de mettre en pratique dans un proche avenir à travers la création d’un laboratoire international associé entre le CNRS et l’Institut Weizmann des sciences, en Israël.
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Auteur
Grégory Fléchet est né à Saint-Étienne en 1979. Après des études de biologie suivies d’un master de journalisme scientifique, il s’intéresse plus particulièrement aux questions d’écologie, d’environnement et de santé.