Donner du sens à la science

La cristallographie, de Platon à nos jours…

La cristallographie, de Platon à nos jours…

06.02.2014, par
L’historien Denis Guthleben nous conte l’épopée de la cristallographie, de l’Antiquité jusqu’en 2014, Année internationale consacrée à la discipline.

À l’initiative de l’Assemblée générale des Nations Unies, « consciente que la compréhension que l’humanité a de la nature matérielle du monde repose, en particulier, sur la connaissance de la cristallographie », une Année internationale vient couronner un événement primordial pour la discipline : le centenaire du prix Nobel de Max von Laue pour « sa découverte de la diffraction des rayons X par les cristaux ». L’immense mérite de ces rendez-vous œcuméniques est de promouvoir la science, de mieux la faire connaître du public, voire d’encourager son essor en stimulant enseignement et recherche… Les cristallographes, mobilisés comme un seul homme à travers le monde, ne s’y sont pas trompés ! L’inconvénient est d’emmurer la discipline dans une chronologie parfois conventionnelle : 100 ans de cristallographie… Pourquoi se montrer aussi frileux ?

Un siècle, deux siècles, trois siècles… de cristallographie

Un siècle, c’est bien. Mais trois, c’est encore mieux ! Cela permet de rendre aux pères de la cristallographie l’hommage qu’ils méritent. À Maurice Antoine Capeller celui d’avoir proposé le nom de ce champ d’études. À René-Just Haüy, celui d’avoir eu l’intuition des lois géométriques présidant à la nature profonde des cristaux. À Jean-Baptiste Romé de L’Isle, celui d’avoir énoncé la loi de constance des angles… Voilà pour la Lumières. Et l’on pourrait poursuivre sur la lancée, en citant, au XIXe siècle, le nom d’Auguste Bravais pour ses réseaux cristallins, voire celui de Louis Pasteur, cristallographe de son état. Le point commun de tous ces savants ? En pleine Année internationale, on ne peut pas s’empêcher de pousser un petit « cocorico » : ils sont d’admirables représentants de la science française et incarnent ce qu’elle a souvent de meilleur.

Mais, en creusant davantage, on aurait tout aussi bien pu augmenter la mise jusqu’à… 2 400 ans ! Retour au IVe siècle avant notre ère : « Ce qu’il me faut essayer maintenant, c’est de vous faire voir la structure et l’origine de chacun de ces éléments… » L’invitation, formulée dans Le Timée de Platon, introduit un sublime exercice de pensée sur la structure des éléments. La méditation a traversé les siècles. En écrivant les premières lignes très inspirées des Atomes, paru en 1913, Jean Perrin lui fait encore écho : « Il y a vingt-cinq siècles peut-être, sur les bords de la mer divine, où le chant des aèdes venait à peine de s’éteindre, quelques philosophes enseignaient déjà que la matière changeante est faite de grains indestructibles… »

Une Terre promise

Alors, de Platon à Perrin, même combat ? Évidemment pas. Mais un point commun relie le philosophe au physicien : ni l’un ni l’autre n’ont pu distinguer la structure de ces « grains ». Dans le cas de Platon, on le comprendra aisément. Idem pour Haüy et Romé de L’Isle, ou pour Bravais et le jeune Pasteur, dont les instruments, on s’en doute, étaient encore bien éloignés de ceux qu’utilisent aujourd’hui nos laboratoires. Jean Perrin, quant à lui, a joué de malchance : à quelques mois près, il a écrit son ouvrage trop tôt. Pierre-Gilles de Gennes l’a constaté a posteriori : « Il y a dans ce livre quelque chose qui se termine comme la vie de Moïse : avant l’entrée dans la Terre promise. »

En pénétrant
la structure
des matériaux,
la cristallographie
a ouvert un
champ immense
de connaissances.

Les portes du pays de Canaan commencent en effet à s’ouvrir en 1912. En Allemagne, Max von Laue met en évidence que les rayons X, découverts en 1895 par son compatriote Wilhelm Röntgen, sont diffractés par les cristaux. L’année suivante, en Angleterre, les Bragg, un père – William Henry – et son fils – William Lawrence –, entreprennent l’exploration de certaines structures cristallines telles que le diamant. Leurs travaux débouchent sur une loi de mesure des distances entre les plans atomiques, à laquelle ils ont laissé leur nom. La cristallographie moderne prend ainsi son envol, et ses précurseurs connaissent une consécration immédiate : le prix Nobel de physique est attribué à Laue dès 1914, aux Bragg en 1915… et ils ne sont que les premiers d’une longue liste.

Pourquoi un tel engouement ? Avant tout parce qu’il s’agit d’une avancée scientifique aussi considérable que stimulante : en pénétrant la structure des matériaux, la cristallographie a ouvert un champ immense de connaissances. Et ce champ n’a fait que s’élargir à mesure de l’amélioration des générateurs de rayons X, puis de la découverte de nouvelles méthodes pour l’étude de structures toujours plus complexes. En effet, dans le catalogue de la diffraction, il n’y a pas que les rayons X : les physiciens constatent dans les années 1930 qu’il y a aussi les électrons – nouveau prix Nobel, pour George Paget Thomson et Clinton Davisson – et, dans les années 1940, les neutrons – avec un autre Nobel à la clé, pour Bertram Brockhouse et Clifford Shull.

De la médecine à l’histoire

Depuis 100 ans, dans cette France qui a vu naître la cristallographie, et ailleurs à travers le monde, des chercheurs diffractent donc à tire-larigot avec des instruments toujours plus onéreux. Et, quand ils ont fini, ils vont à Stockholm récolter honneurs et récompense. Ah !Elle est belle, la cristallographie ! Eh bien oui, justement, elle est belle. Belle parce qu’elle se préoccupe de comprendre ce qui se passe jusqu’aux confins de la matière et de répondre à des questions qui se posaient déjà lorsque résonnait le chant des aèdes.

Mais belle aussi quand elle tente d’alléger le fardeau qui pèse sur nos épaules. Car qui dit cristallographie dit aussi, et de plus en plus au cours des dernières décennies, nouveaux matériaux, environnement, traitements médicaux, électronique… et même connaissance du passé. Car la cristallographie est également une précieuse auxiliaire de l’histoire – les historiens n’ont jamais froid aux yeux – en offrant par exemple un autre regard sur les découvertes archéologiques. Ne serait-ce que pour cette raison, elle méritait bien son Année internationale !

 

Sincères remerciements à Olivier Pérez, chercheur au Laboratoire de cristallographie et sciences des matériaux, à Caen, pour ses conseils énergiques et sa relecture attentive.

 

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