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Des cristaux et des maths

Des cristaux et des maths

04.06.2014, par
Des yeux de mouche aux ruches d’abeilles, les structures géométriques des cristaux se retrouvent partout dans la nature. Comment l’expliquer ? La question taraude de nombreux mathématiciens, dont Mathieu Lewin, qui nous éclaire sur ce sujet intrigant.

À l’échelle microscopique, la plupart des cristaux sont constitués d’atomes qui sont arrangés sur un réseau périodique, c’est-à-dire suivant des motifs qui se répètent comme des nœuds sur un filet de pêche. Cette structure géométrique particulière au niveau atomique induit souvent un comportement singulier à notre échelle.

Or de telles structures périodiques sont présentes partout autour de nous dans la nature. Par exemple, dans les cristaux de neige, les atomes sont organisés sur un réseau hexagonal ce qui donne de belles figures à six branches. Mais cela ne concerne pas seulement les atomes. On peut aussi citer les alvéoles d’abeilles à miel, les orgues basaltiques et les cellules qui composent les yeux des insectes, qui possèdent tous la même structure hexagonale.

Cristal de glace
L’arrangement périodique hexagonal des atomes explique la forme géométrique à six branches de ce cristal de glace.
Cristal de glace
L’arrangement périodique hexagonal des atomes explique la forme géométrique à six branches de ce cristal de glace.

Percer les secrets du réseau hexagonal…

Comment expliquer l’omniprésence dans la nature de certains de ces arrangements périodiques particuliers, comme le réseau hexagonal ? La recherche sur ce sujet est très active en mathématiques. Les chercheurs tentent de répondre à cette question en étudiant les propriétés géométriques de ces agencements.

Les abeilles ont
choisi le réseau
hexagonal,
car c’est celui
qui minimise la
quantité de cire
nécessaire à
la fabrication
des alvéoles.

En 1999, un chercheur américain, Thomas Hales, a réussi à démontrer un théorème qui nous renseigne mieux sur le réseau hexagonal sur une surface plane. Imaginons que l’on désire couvrir le sol d’une pièce avec des carreaux tous identiques et de même taille. Quelle forme doivent-ils avoir pour qu’on utilise le moins de joint possible ? Dit en langage mathématique, quels sont les pavages du plan avec une tuile d’aire donnée et qui est de périmètre minimal ? Le théorème de Hales stipule que le réseau hexagonal est le meilleur possible, ce qui explique pourquoi les abeilles l’ont choisi, car c’est celui qui minimise la quantité de cire nécessaire à sa fabrication. Le théorème de Hales répond à un problème mathématique difficile qui était resté sans preuve depuis de nombreuses années, mais que beaucoup avaient anticipé avant lui.

Ce problème géométrique est, en effet, déjà mentionné dans un livre du mathématicien Pappus, au IVe siècle de notre ère. Le réseau en nid d’abeilles est par ailleurs déjà abondamment utilisé dans l’industrie, car il garantit une excellente solidité tout en minimisant la quantité de matériau utilisée, et donc le poids final.

Autre exemple en deux dimensions : si l’on cherche à placer côte à côte des disques dans un plan, le réseau hexagonal mentionné plus haut est encore la solution la plus compacte, comme le précise un théorème plus facile, démontré par Axel Thue en 1890.

Des questions similaires se posent dans l’espace à trois dimensions. Par exemple, le réseau cubique à faces centrées et le réseau hexagonal compact sont ceux qui permettent d’empiler des oranges en minimisant l’espace occupé, ce qui est un autre théorème difficile de Hales, démontré en 1998.

Exemples du caractère universel du réseau hexagonal dans la nature.
Ces trois exemples – œil de mouche drosophile, alvéoles d’abeilles à miel et motifs de basalte – témoignent du caractère universel du réseau hexagonal dans la nature.
Exemples du caractère universel du réseau hexagonal dans la nature.
Ces trois exemples – œil de mouche drosophile, alvéoles d’abeilles à miel et motifs de basalte – témoignent du caractère universel du réseau hexagonal dans la nature.

… et de l’organisation spontanée de la matière

Les mathématiciens cherchent aussi à mieux comprendre la formation des cristaux et l’organisation spontanée de la matière à l’échelle microscopique. Les résultats de Hales donnent les propriétés géométriques de certains arrangements particuliers, mais ils n’expliquent pas vraiment pourquoi les atomes ont intérêt à se placer sur un tel réseau périodique.

En effet, la matière est extrêmement complexe, composée d’un très grand nombre de constituants. Le problème est de comprendre l’émergence d’un système organisé à partir des contraintes individuelles de chaque élément. On doit imaginer que chaque atome exerce des forces sur tous les autres. Un atome n’aime pas qu’un autre atome soit proche de lui, mais aime avoir des voisins à une distance raisonnable. Il a donc tendance à repousser ceux qui sont trop proches et à attirer ceux qui sont trop loin. Pourquoi les atomes finissent-ils par se placer tous sur un réseau périodique pour former un cristal ? Cette question n’est pas encore bien comprise du point de vue mathématique.

Après avoir étudié le problème sur un plan, deux chercheurs britanniques, Florian Theil et Lisa Flatley, ont obtenu en 2013 les premiers résultats en trois dimensions. Même si les hypothèses qu’ils ont utilisées sur les forces que les atomes exercent entre eux ne sont pas encore très réalistes, c’est un premier pas important. Par ailleurs, Étienne Sandier1 et Sylvia Serfaty2 ont récemment démontré que les petits tourbillons qui apparaissent dans les supraconducteurs soumis à un champ magnétique fort se comportent comme des particules individuelles qui se placent une nouvelle fois sur un réseau hexagonal plan.

Le formalisme mathématique permet de décrire des systèmes très différents en apparence, mais dont le comportement est finalement similaire. Ainsi, la compréhension théorique de l’apparition de structures périodiques à partir du comportement individuel des atomes pourrait avoir un retentissement dans plusieurs domaines scientifiques.

Notes
  • 1. Laboratoire d’analyse et de mathématiques appliquées (CNRS/UPEC/UPEM).
  • 2. Laboratoire Jacques-Louis-Lions (CNRS/UPMC/Univ. Paris-Diderot).

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