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Valoriser la recherche par le logiciel libre
Firefox, OpenOffice, VLC, Ubuntu… À l’image de ces quelques exemples célèbres, les logiciels libres – ceux dont la licence permet à tout un chacun de les utiliser, de les modifier et de les redistribuer – jouent souvent les premiers rôles dans nos écosystèmes numériques. On les retrouve sur nos serveurs, dans nos téléviseurs, sur nos téléphones, nos ordinateurs… Bonne nouvelle : cela devrait se poursuivre encore longtemps. En effet, grâce à la loi pour une République numérique de 2016 et au deuxième plan national pour la science ouverte, les logiciels issus de la recherche financée sur fonds publics doivent être diffusés par défaut sous licence libre.
Il faut dire que le monde académique et celui du logiciel libre sont intimement liés : le projet de système d’exploitation GNU a été créé par Richard Stallman en 1983, lorsqu’il était chercheur au MIT, le noyau Linux a été développé par Linus Torvald en 1991 quand il était étudiant à l’université d’Helsinki… Et c’est toujours d’actualité puisque de nombreux logiciels libres sont développés ou améliorés dans nos laboratoires. Le 5 février dernier, le premier prix « Science ouverte du logiciel libre de la recherche », organisé par le Comité pour la science ouverte du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, en a apporté la preuve en venant récompenser dix logiciels issus du monde de la recherche française, parmi 129 candidatures de très grande qualité. Plusieurs de ces candidatures concernaient des logiciels développés depuis plus de 30 ans !
Des utilisateurs contributeurs
Un logiciel est en quelque sorte de la « connaissance exécutable ». En permettant sa diffusion sous licence libre, on lève toute entrave à son utilisation, et on favorise l’adoption de cette connaissance dans le monde académique et dans l’ensemble de la société. De plus, le monde du logiciel étant dématérialisé, cette diffusion peut se faire à très faible coût unitaire. Le principe d’ouverture par défaut est ainsi une opportunité de valorisation supplémentaire des activités de nos laboratoires. Cette valorisation peut revêtir plusieurs formes : l’adoption dans la société, dans des contextes différents de ceux pour lesquels le logiciel a été conçu, ou encore le partage de l’effort de maintenance.
Dans le monde de la recherche, les logiciels sont créés pour répondre à un besoin particulier, ou comme preuve de concept de nouvelles avancées scientifiques. Or dans le monde du logiciel libre, les utilisateurs peuvent aussi être contributeurs : rapporter des dysfonctionnements, suggérer des améliorations, modifier directement le code pour corriger ou améliorer le logiciel. Augmenter la visibilité des logiciels libres de la recherche revient donc à augmenter le nombre de contributeurs potentiels, améliorer leur maintenance et accroître leur périmètre fonctionnel et technique. C’est ainsi une source d’innovation, en permettant d’utiliser des logiciels dans un contexte très différent de celui pour lequel ils ont été initialement créés.
Le logiciel libre, une histoire de communautés
L’ensemble des développeurs, des utilisateurs et des contributeurs forment la communauté du logiciel libre. Quand la communauté d’un logiciel devient importante, il faut trouver un moyen de l’organiser et de développer son modèle économique. S’il est possible d’animer une petite communauté avec des moyens limités, une communauté importante nécessite de la structuration et des moyens humains dédiés. Il ne suffit évidemment pas de mettre en ligne le code d’un logiciel sous une licence libre pour que se crée spontanément une communauté. Un logiciel peut mettre du temps à trouver son public. Décider de diffuser un logiciel sous licence libre, c’est considérer que ce logiciel qui nous a été utile pourrait aussi être utile à d’autres, et dès lors disposer d’un moyen d’interagir avec ses utilisateurs. Du point de vue de l’utilisateur, adopter un logiciel reste une histoire de confiance : l’utilisateur considère que le logiciel fait bien ce qu’il doit faire, qu’il est développé dans les règles de l’art ; l’utilisateur espère aussi qu’il trouvera de l’aide en cas de problème, notamment face à un bug. Dans le cas de logiciels libres, cette confiance repose notamment sur l’examen du code lui-même ou les interactions avec d’autres utilisateurs ou contributeurs.
Toute démarche de valorisation devra donc envisager l’interaction avec les utilisateurs et les contributeurs, l’ouverture du processus de développement ainsi que la transparence de l’évolution du logiciel et de sa gouvernance. Le cadre le plus simple est le développement ouvert, à l’aide d’une forge logicielle (comme Github ou une instance Gitlab, par exemple). Ces forges fournissent un accès au code, à la gestion des retours des utilisateurs et des contributions, ce qui permet de facilement suivre son évolution et de participer à son développement.
Une autre solution est d’intégrer une communauté libre déjà structurée (FSF, Apache, Eclipse, OW2). Ces communautés, bénéficiant de financements récurrents, fournissent plus de services (listes de diffusion, forums, sites web), dans un cadre plus réglementé (gouvernance, pratiques de développement, gestion des droits d’auteur, etc.). Il existe deux communautés européennes de logiciels libres qui peuvent accueillir des logiciels libres de la recherche : OW2 et Research @ Eclipse. Ces communautés apportent aussi leur savoir-faire sur la gouvernance du logiciel libre dans les organisations (voir par exemple OSPO.zone pour OW2/Eclipse).
Des codes à respecter
La valorisation par le logiciel libre doit respecter les us et coutumes du monde du logiciel libre. Si individuellement de nombreux membres des laboratoires les connaissent, il faut les intégrer de manière plus structurelle pour diminuer l’effort nécessaire à ce type de valorisation. Notamment, au niveau des laboratoires, il faut simplifier les démarches de déclaration des logiciels, mettre en place des stratégies de diffusion sur des forges publiques ou institutionnelles, promouvoir ces logiciels en utilisant les canaux propres à chaque communauté (langage, domaine).
Il y a donc une étape à franchir entre la mise à disposition d’un logiciel sous une licence libre dans le cadre de la science ouverte et sa valorisation effective sous forme de logiciel libre. Cette étape clé est l’acceptation d’une interaction avec la société, et nécessite la mise en œuvre de moyens pour le permettre. Cette activité nécessite des compétences particulières, qu’il faut développer dans les laboratoires. ♦
Les points de vue, les opinions et les analyses publiés dans cette rubrique n’engagent que leur(s) auteur(s). Ils ne sauraient constituer une quelconque position du CNRS.
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