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Numérique : le grand gâchis énergétique

Numérique : le grand gâchis énergétique

16.05.2018, par
30 % de la consommation électrique est imputable aux terminaux type ordinateur ou smartphone, 30 % aux data centers qui hébergent nos données (photo) et 40 % aux réseaux, les « autoroutes de l‘information ».
Ordinateurs, data centers, réseaux… engloutissent près de 10 % de la consommation mondiale d’électricité. Et ce chiffre ne cesse d’augmenter. S’il n’est évidemment pas question de se passer des progrès apportés par le numérique, les scientifiques pointent un mode de fonctionnement peu optimisé et très énergivore. Cet article fait partie du Top 10 des contenus les plus lus sur notre site cette année.

Nous vivons dans un monde de plus en plus dématérialisé. Nous payons nos impôts en ligne, regardons nos séries préférées en streaming, stockons nos milliers de photos dans le cloud… Dématérialisé, vraiment ? « Si l’on considère la totalité de son cycle de vie, le simple envoi d’un mail d’1 mégaoctet (1 Mo) équivaut à l’utilisation d’une ampoule de 60 watts pendant 25 minutes, soit l’équivalent de 20 grammes de CO2 émis », rappelle Françoise Berthoud, informaticienne au Gricad1 et fondatrice en 2006 du groupement de services EcoInfo – pour une informatique plus respectueuse de l’environnement. Car les mots des nouvelles technologies sont trompeurs : ils évoquent l’immatériel comme le mot « virtuel », l’éthéré comme le mot « cloud », ou encore la pureté comme l’expression de « salle blanche ». Et nous font oublier un peu vite les millions d’ordinateurs et de smartphones, les milliers de data centers et de kilomètres de réseaux utilisés pour traiter et acheminer ces données. Et la quantité considérable d’énergie qu’ils engloutissent. « Le secteur des nouvelles technologies représente à lui seul entre 6 et 10 % de la consommation mondiale d’électricité, selon les estimations – soit près de 4 % de nos émissions de gaz à effet de serre, assène Françoise Berthoud. Et la tendance est franchement à la hausse, à raison de 5 à 7 % d’augmentation tous les ans. »

Des équipements surdimensionnés

Environ 30 % de cette consommation électrique est imputable aux équipements terminaux – ordinateurs, téléphones, objets connectés –, 30 % aux data centers qui hébergent nos données et, plus surprenant, 40 % de la consommation est liée aux réseaux, les fameuses « autoroutes de l‘information ». « Beaucoup de gens pensent que les réseaux sont des tuyaux « passifs », mais ils sont constellés d’antennes et de routeurs, les aiguillages de l’Internet », explique Anne-Cécile Orgerie, chercheuse en informatique à l’Irisa (Institut de recherche en informatique et systèmes aléatoires). Tous ces équipements sont très gourmands en énergie : un simple routeur consomme 10 000 watts (10 kW), un très gros data center frise carrément les 100 millions de watts (100 MW), soit un dixième de la production d’une centrale thermique ! « Un processeur, c’est comme une résistance. Presque toute l’électricité qu’il consomme est dissipée en chaleur, détaille la chercheuse. C’est pourquoi, en plus de consommer de l’énergie pour faire tourner ses serveurs, un data center doit être climatisé afin de préserver l’intégrité des circuits électroniques. »

"Ferme de serveurs" de Facebook, aux Etats-Unis. Un gros data center consomme 100 millions de watts (100 MW), soit un dixième de la production d’une centrale thermique.
"Ferme de serveurs" de Facebook, aux Etats-Unis. Un gros data center consomme 100 millions de watts (100 MW), soit un dixième de la production d’une centrale thermique.

Autre particularité du Web, son « hyperdisponibilité » : toutes les infrastructures sont dimensionnées pour absorber les afflux de données liés aux pics d’utilisation, soit quelques heures par jour à peine, et demeurent sous-utilisées le reste du temps. « Si un routeur fonctionne à 60 % de sa capacité, c’est un maximum, estime Anne-Cécile Orgerie. Même chose pour les data centers, qui sont peu sollicités la nuit. Or, même inactifs, ces équipements sont très énergivores. » Ainsi, un serveur allumé mais inactif va consommer 100 W, contre 200 W au maximum s’il est en plein calcul. La différence entre ces deux états pour le routeur sera de quelques pourcents à peine… Pourtant, personne ne songe à éteindre – au moins en partie – ces équipements aux heures creuses.

Les infrastructures sont dimensionnées pour absorber les afflux de données liés aux pics d’utilisation, soit quelques heures par jour à peine, et demeurent sous-utilisées le reste du temps.

« Malgré de nombreuses recherches qui affirment que cela n’affecterait pas la performance du service, les data centers continuent d’être à 100 % de leur capacité jour et nuit, regrette Anne-Cécile Orgerie. Même chose pour les routeurs. » La raison ? Les administrateurs de ces équipements vivent dans la hantise que l’utilisateur puisse souffrir du moindre temps de latence – un décalage de quelques secondes – ou pire, d’une « gigue » : un débit haché qui rendrait son expérience désagréable, notamment en cas de streamingFermerVisionnage ou écoute en flux, sans nécessité de télécharger des fichiers vidéo ou audio., une pratique en croissance exponentielle.

Cette « tyrannie » de l’utilisateur se retrouve jusque dans la conception des box Internet qui ne possèdent pas de bouton d’arrêt et fonctionnent jour et nuit. « Il faut une minute trente pour rallumer une box éteinte ; les fournisseurs d’accès estiment que c’est un temps beaucoup trop long pour les utilisateurs impatients que nous sommes devenus », explique Françoise Berthoud. Résultat : les box représentent à elles seules 1 % de la consommation électrique française.

Des « obésiciels » trop gourmands

Mais le problème n’est pas que matériel : la couche logicielle qui permet à tous ces équipements de fonctionner n’est guère plus optimisée. C’est particulièrement vrai pour les terminaux que nous utilisons au quotidien. « Lorsque la mémoire était comptée, les développeurs informatiques avaient l’habitude d’écrire du code synthétique et efficace. Aujourd’hui, ces préoccupations ont disparu et l’on assiste à une véritable inflation des lignes de code, ce qui signifie des calculs plus longs et plus gourmands en électricité, raconte Anne-Cécile Orgerie. On a même inventé un mot pour ces logiciels en surpoids : les “obésiciels”. » C’est le cas des applications pour smartphones développées à la va-vite pour pouvoir être mises rapidement sur le marché, qui consomment d’autant plus d’énergie qu’elles sont toujours ouvertes.

Développées à la va-vite pour pouvoir être mises rapidement sur le marché, les "applis" pour smartphones sont bien souvent mal écrites et consomment plus d'énergie qu'elles le devraient.
Développées à la va-vite pour pouvoir être mises rapidement sur le marché, les "applis" pour smartphones sont bien souvent mal écrites et consomment plus d'énergie qu'elles le devraient.

 

35 "applis" tournent en moyenne sur un smartphone, qu’elles soient utilisées ou pas. Résultat, les batteries se vident en moins d’une journée.

« La plupart des gens ne savent pas qu’en moyenne, 35 applis tournent en permanence sur leur téléphone, qu’ils les utilisent ou pas, signale la chercheuse. Résultat, les batteries se vident en moins d’une journée, quand il suffirait de les éteindre en activant le mode économie d’énergie pour gagner jusqu’à plusieurs jours d’autonomie. » Les célèbres suites logicielles qui équipent la majorité des ordinateurs de la planète souffrent du même problème d’embonpoint : à chaque nouvelle version, des lignes de codes sont rajoutées aux versions précédentes, les alourdissant encore un peu plus.

Des laboratoires travaillent à des solutions pour optimiser le fonctionnement énergétique du numérique. Mais, si certaines de leurs propositions ont déjà été adoptées – il existe aujourd’hui des data centers refroidis par géothermie, ou alimentés grâce aux énergies renouvelables… –, les chercheurs gardent à l’esprit que dans le numérique, toute amélioration peut avoir des effets inattendus. C’est le redoutable « effet rebond », appelé aussi « paradoxe de Jevons », du nom de l’économiste britannique qui l’a théorisé à la fin du XIXe siècle : quand on augmente l’efficacité avec laquelle une ressource est employée (le charbon, à l’époque de Jevons), la consommation totale de cette ressource a toutes les chances d’augmenter au lieu de la diminution escomptée. « Réduire la consommation des voitures n’a pas permis d’utiliser moins d’essence, elle a juste permis aux automobilistes de faire plus de kilomètres, explique Anne-Cécile Orgerie. On constate la même chose depuis des années dans le secteur des nouvelles technologies : plus on optimise les systèmes – la mémoire, le stockage, etc. –, plus on favorise de nouveaux usages. » Une véritable fuite en avant. Du moins tant que l’électricité sera bon marché.  ♦

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Dans les composants, des métaux peu recyclés

La consommation énergétique des nouvelles technologies n’est qu’un aspect du défi environnemental qu’elles posent. Le nombre et la quantité de métaux utilisés dans les composants électroniques ne cessent d’augmenter à mesure qu’ils se miniaturisent et deviennent plus performants. « Nos smartphones contiennent une quarantaine de métaux et de terres rares, contre une vingtaine à peine il y a dix ans », indique Françoise Berthoud. Or, cuivre, nickel, zinc, étain, mais aussi arsenic, gallium, germanium, thallium, tantale, indium… sont extraits du sous-sol en utilisant des techniques particulièrement destructives et des produits nocifs pour l’environnement comme l’acide sulfurique, le mercure, le cyanure… Et ils sont aujourd’hui encore mal collectés et mal recyclés. En Europe, par exemple, à peine 18 % des métaux présents dans nos ordinateurs portables sont ainsi récupérés. Une partie importante des équipements en fin de vie continue d’atterrir dans des décharges sauvages, en Chine, en Inde, ou encore au Ghana, où ils sont brûlés pour récupérer l’or et polluent les nappes phréatiques.
 
 

Notes
  • 1. Grenoble Alpes Recherche – infrastructure de calcul intensif et de données (CNRS/Université Grenoble-Alpes/Grenoble INP).

Auteur

Laure Cailloce

Journaliste scientifique, Laure Cailloce est rédactrice en chef adjointe de CNRS Le journal. et de la revue Carnets de science.