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L’excès d’hygiène protège-t-il des allergies ?
Dis-moi où tu habites et je te dirai combien de bactéries, moisissures et acariens vivent chez toi. C’est, en résumé, le premier résultat de la récente étude1 réalisée par Steffi Rocchi, sous la direction de Gabriel Reboux, tous deux chercheurs au laboratoire Chrono-environnement2. La carte qu’ils ont obtenue (voir ci-dessous), la première réalisée à l’échelle de la France avec un si grand échantillon (3 193 familles), ne laisse aucun doute : l’Ouest est plus contaminé que l’Est. Le but ? Peut-être enfin réussir à prévoir dans quel type d’environnement les enfants ont le plus de risque de développer une allergie respiratoire et notamment de l’asthme, une pathologie qui toucherait plus de 3 millions de personnes en France3. « Mais, pour cela, nous devons attendre l’an prochain, quand les enfants suivis dans notre étude auront plus de 4 ans, explique Steffi Rocchi. Car ce n’est qu’aux environs de cet âge-là que se déclarent les premiers cas d’asthme allergique. » Viendra alors le moment fatidique : on saura si les enfants qui sont devenus allergiques sont aussi ceux qui ont été le plus exposés aux moisissures et autres micro-organismes. Ou l’inverse…
18 000 enfants suivis depuis leur naissance
« Depuis une vingtaine d’années en effet, deux théories opposées s’affrontent », reprend Steffi Rocchi. Selon l’hypothèse dite hygiéniste, un excès d’hygiène, limitant le contact avec les micro-organismes, modifie le système immunitaire des enfants provoquant chez eux une hyper-réactivité : les défenses de l’organisme se mettent alors en branle même face à des éléments inoffensifs comme du pollen. À se demander s’il ne vaut pas mieux laisser les petits ramper dans la poussière de la moquette et lécher le lino de la cuisine… La seconde hypothèse, dite classique, soutient le contraire : ce serait une exposition excessive dès le plus jeune âge qui provoquerait une « hyper-réponse » immunitaire et donc l’allergie.
de mesurer
l’exposition aux
micro-organismes
sur une cohorte d'une ampleur
sans précédent.
« Nos mesures, qui évaluent pour la première fois l’exposition aux micro-organismes sur une cohorte d’une ampleur sans précédent, vont peut-être permettre de trancher », commente la post-doctorante en biologie. Cette cohorte appartient à l’étude Elfe (Étude longitudinale française depuis l’enfance), première étude tricolore qui suit 18 000 enfants depuis leur naissance jusqu’à leurs 18 ans. Une occasion unique pour un bataillon de 150 chercheurs de comprendre ce qui perturbe ou favorise le développement des enfants en scrutant leur santé, leur scolarité, leur alimentation, leur vie familiale et sociale ainsi que leur lieu d’habitation.
Plusieurs cohortes d’enfants suivis depuis la naissance portant sur des mesures similaires ont déjà été réalisées, notamment aux États-Unis, en Irlande, en Écosse, aux Pays-Bas, au Canada et en Australie. Mais « le contexte socio-économique, le degré d’exposition aux risques environnementaux et l’organisation du système de soins varient beaucoup d’un pays à l’autre. C’est pourquoi il était important que la France lance elle aussi une grande cohorte d’enfants afin d’éclairer nos décideurs dans le domaine des politiques sociales et de santé et d’offrir des pistes pour une prévention précoce », expliquent les communiqués d’Elfe. Grâce à des prélèvements réalisés sur les mères avant accouchement, puis des visites médicales à domicile sur les nouveau-nés et un vaste questionnaire de 200 pages sur les habitudes de vie de toute la famille, l’étude française Elfe, dont les bébés sont nés en avril 2011, a déjà livré de premiers résultats. Elle a notamment permis d’apprendre que 70 % des mères allaitent à la maternité, un chiffre « en forte progression depuis les années 1970 ». Et, grâce à l’analyse d’urine, de cheveux, de sang de cordon, etc., l’étude Elfe a aussi montré que l’exposition des femmes enceintes et de leurs futurs bébés à des polluants de l’environnement (plomb, mercure, bisphénol A) était en baisse.
Côté allergies et micro-organismes, Steffi Rocchi et ses collègues ont distribué à des familles de la cohorte un capteur à poussières : une simple lingette électrostatique, identique à celles utilisées pour nettoyer les meubles, stérilisée et collée dans un boîtier DVD. Le tout est resté ouvert pendant dix semaines dans la chambre des bébés, avant fermeture et renvoi par la poste aux chercheurs. Pourquoi se limiter à la pollution intérieure ? « Simplement parce que les jeunes enfants passent 90 % de leur temps à la maison », répond Steffi Rocchi. Les chercheurs ont ensuite étudié les poussières collectées avec la technique qPCR (Quantitative Polymerase Chain Reaction) qui permet de détecter tel ou tel micro-organisme déjà connu en quantifiant son ADN spécifique dans l’échantillon.
« D’autres études de ce type ont déjà été menées sur des cohortes, commente Steffi Rocchi, mais les investigateurs se déplaçaient aux domiciles pour constater la présence de moisissures sur les murs, ou en apprécier l’odeur, sans réaliser de mesures pour identifier et dénombrer les micro-organismes. » Il pourrait pourtant y avoir un lien entre la dose de micro-organismes présente et la réponse immunitaire déclenchée chez l’enfant… « Notre approche ainsi qu’une étude similaire menée en Finlande et une autre menée aux États-Unis (sur les moisissures uniquement) sont les seules à pallier ce manque. Mais notre cohorte est la plus vaste et la mieux documentée sur la santé des enfants grâce à des visites médicales et des prélèvements très réguliers », insiste la jeune chercheuse.
L’Ouest de la France beaucoup plus contaminé que l’Est
Qu’a mesuré l’équipe française sur les poussières collectées ? « Nous avons choisi de cibler dix micro-organismes connus pour leurs effets néfastes ou protecteurs vis-à-vis du risque allergique selon la littérature scientifique », poursuit Steffi Rocchi. Parmi eux, six moisissures, trois types de bactéries et un acarien4. « La prise en compte de cette multi-exposition est un autre avantage de notre étude, car l’asthme résulte vraisemblablement de l’exposition à un cocktail de plusieurs types de micro-organismes », précise Steffi Rocchi.
de résidents
au mètre carré,
plus les bactéries
prolifèrent
dans le logement.
En croisant ces mesures avec les réponses aux vastes questionnaires distribués aux familles, les chercheurs ont montré trois choses : plus il y a de résidents au mètre carré, plus les bactéries prolifèrent dans le logement ; il y a plus de moisissures dans les maisons que dans les appartements, mais l’acarien préfère ces derniers ; et la présence d’animaux domestiques favoriserait la présence de moisissures et de bactéries filamenteuses particulières, les Streptomyces.
Enfin, résultat le plus important, les chercheurs ont pu identifier six profils différents de contamination des logements (voir carte ci-dessous) résumant le cocktail de micro-organismes tapis dans les chambres des enfants. On constate qu’en moyenne l’Est de la France est peu contaminé, tandis que le Sud-Ouest est très contaminé par les bactéries et l’acarien ciblés dans l’étude, et que le Nord-Ouest est riche de l’ensemble des dix types de micro-organismes. « Par ailleurs, cette répartition géographique se superpose à 85 % avec une carte indiquant le sifflement pulmonaire, symptôme commun de l’asthme, obtenue grâce à une récente étude menée auprès de 20 000 enfants de 3 et 4 ans dans les maternelles 5 », commente Steffi Rocchi. Mais il est bien trop tôt pour en tirer une conclusion…
Quant à l’étonnant contraste entre l’Ouest et l’Est de la France, il demeure un vrai casse-tête pour les chercheurs qui se sont d’abord penchés, en vain, sur les données climatiques, et notamment sur la proximité de l’océan. « Par le biais des questionnaires de notre prochaine campagne, prévue en octobre 2015, nous chercherons donc d’autres explications, notamment des liens avec les types d’alimentation des familles et les matériaux de construction de leur habitation », indique Steffi Rocchi. De nouveaux capteurs à poussières seront déposés dans la chambre des mêmes enfants, alors âgés de 4 ans et demi. Et dix nouveaux micro-organismes ou antigènesFermerSubstance étrangère à l’organisme et capable de déclencher une réponse immunitaire visant à l’éliminer., notamment liés à la présence de chats, de chiens et de blattes, seront quantifiés, aussi bien sur ces nouveaux échantillons que sur les précédents. Et, à plus long terme, exit la qPCR, technique qui ne permet de trouver que ce que l’on cherche : « Nous procéderons au séquençage en masse de l’ADN des micro-organismes collectés, sans en cibler certains en particulier, afin d’avoir une vision plus exhaustive », ajoute Steffi Rocchi. Si les prochains résultats permettent de trancher entre l’hypothèse hygiéniste et l’hypothèse classique, ils pourraient être à l’origine de campagnes de prévention inédites et permettre peut-être de réduire les rhinites, conjonctivites et crises d’asthme.
- 1. « Microbiological characterization of 3193 French dwellings of Elfe cohort children », S. Rocchi et al., Sci Total Environ, 1er février 2015, vol. 505 : 1026-35.
- 2. Unité CNRS/Univ. de Franche-Comté.
- 3. www.sante.gouv.fr/l-asthme-en-quelques-chiffres.html
- 4. Les moisissures : Alternaria alternata, Aspergillus fumigatus, Aspergillus versicolor, Cladosporium sphaerospermum, Penicillium chrysogenum, Stachybotrys chartarum. Les bactéries : Enterobacteriaceae, Mycobacteriaceae, Streptomyces spp. L’acarien : Dermatophagoides pteronyssinus.
- 5. « Prévalence et contrôle de l’asthme chez le jeune enfant en France », M.-C. Delmas et al., Revue des maladies respiratoires, mai 2012, vol. 29 (5) : 688–696.
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Auteur
Journaliste scientifique, autrice jeunesse et directrice de collection (une vingtaine de livres publiés chez Fleurus, Mango et Millepages).
Formation initiale : DEA de mécanique des fluides + diplômes en journalisme à Paris 7 et au CFPJ.
Plus récemment : des masterclass et des stages en écriture...
Commentaires
Cet article est trop
newoxaf Newoxaf le 22 Mai 2020 à 03h12Mon chien a trouvé une truffe
newoxaf Newoxaf le 22 Mai 2020 à 03h14Connectez-vous, rejoignez la communauté
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