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Le changement climatique, mauvais pour la santé ?
Multiplication des événements extrêmes, hausse globale de la température atmosphérique, augmentation du régime des précipitations : les effets du changement climatique sont nombreux et mobilisent quantité de chercheurs sur la planète. Ses conséquences pour la santé sont, en revanche, largement méconnues. La canicule de 2003 et ses milliers de morts sont un premier aperçu de ce qui pourrait nous arriver… Les maladies saisonnières en sont une autre illustration. De la grippe aux coups de soleil en passant par le rhume des foins, celles-ci se manifestent à certaines périodes de l’année, caractérisées, entre autres, par une météorologie particulière. Qu’adviendra-t-il si le changement climatique venait à bouleverser ces cycles ? D’autres pathologies pourraient-elles émerger sous nos latitudes ? Les chercheurs du Groupement d’intérêt scientifique (GIS) « Climat, environnement, société » tentent d’apporter des réponses à ces questions (Lire Coulisses ci-dessous). Et leurs travaux, qui vont souvent à l’encontre des idées reçues, permettent déjà de mettre en lumière l’extraordinaire complexité d’un sujet jusqu’ici à peine défloré.
L’apparition du moustique tigre en France, vecteur du chikungunya, une maladie jusqu’ici cantonnée aux zones tropicales, préfigure-t-elle l’apparition de nouveaux pathogènes en Europe, et plus particulièrement en France ? « L’arrivée du moustique tigre en France n’a rien à voir avec le changement climatique, assure d’emblée Jean-François Guégan, directeur de recherche à l’IRD au sein de l’unité Mivegec1, à Montpellier, et membre du conseil scientifique du GIS. Elle est due à la densification des transports, maritimes, aériens, au niveau mondial, qui a permis l’arrivée des larves jusqu’en Europe. »
Une chose est sûre, en revanche : les cycles saisonniers que nous connaissons aujourd’hui empêchent bon nombre de pathogènes de sévir dans la durée. Mais la donne pourrait changer si le changement climatique signifiait des saisons moins marquées en Europe. « Les pathogènes n’apprécient ni les extrêmes – froid des pôles ou fournaise des déserts –, ni les fortes variations de température. C’est pourquoi la grippe hivernale ne survit pas à l’arrivée du printemps dans nos contrées, alors que le virus grippal est présent à longueur d’année dans les zones tropicales où les températures sont relativement constantes… », explique Jean-François Guégan.
Autre variable à prendre en considération : l’humidité, favorable à de nombreux agents pathogènes. Ainsi, les champignons parasites des plantes ont besoin d’un taux d’humidité important pour se propager, et certains insectes vecteurs de maladies infectieuses, comme le moustique porteur du paludisme, demandent de six à neuf semaines de pluie pour que leurs larves éclosent. Or qui dit changement climatique, dit hausse globale des températures, donc augmentation de l’évaporation et des précipitations… « Des températures plus douces, plus constantes, couplées à des périodes de pluie plus longues sous nos latitudes pourraient, à terme, signifier une expansion jusqu’au sud de l’Europe de l’aire de distribution du paludisme qui sévit aujourd’hui en Afrique », indique Jean-François Guégan. Mais qu’on ne s’y trompe pas : le devenir des pathogènes ne dépendra pas des seules conditions climatiques. « Les politiques de prévention mises en place (ou non), la situation économique des pays concernés, la modification des habitats naturels par le développement de l’agriculture, la hausse et la concentration des populations sont autant de facteurs qui jouent sur leur développement », insiste le chercheur.
Des risques d’allergies accrus
Des spécialistes comme Nicolas Viovy, du LSCE2, à Saclay, se sont eux attaqués3 aux risques liés aux pollens en Europe. Leur réponse laisse peu de place au doute : « Le développement des végétaux, et donc des végétaux allergènes comme le bouleau ou l’ambroisie, devrait être favorisé par le changement climatique », affirme le chercheur. La hausse des températures, notamment au printemps, devrait favoriser une croissance et une floraison plus abondantes, ce qui signifie que davantage de pollen sera produit. L’augmentation de la teneur en CO2 de l’atmosphère, à l’origine du changement climatique, joue elle aussi en faveur du monde végétal, en permettant une photosynthèse plus efficace - soit plus de production végétale avec moins de pertes en eau. La hausse globale des précipitations a, elle, des effets plus compliqués à déterminer. « Une augmentation des apports en eau est a priori une bonne nouvelle pour les végétaux, explique le chercheur. Mais en réalité, leur situation va beaucoup dépendre de la région où ils se trouvent – les modèles climatiques prévoient en effet davantage de précipitations dans le nord de l’Europe et des sécheresses plus importantes dans le sud. »
La nature du végétal est aussi à prendre en considération. Le bouleau étant un arbre, sa multiplication et sa croissance seront forcément plus lentes que celles de l’ambroisie, qui est une plante herbacée ; par conséquent, les effets du réchauffement climatique seront plus longs à se faire sentir sur les allergies au bouleau, même si la floraison de chaque arbre sera sensiblement plus généreuse au printemps. L’ambroisie, quant à elle, est une plante invasive qui risque de voir son territoire s’étendre fortement d’ici à 2050. « Cela s’explique en partie parce que cette plante, introduite accidentellement en France dans les années 1960, n’a pas encore conquis tout son territoire naturel, et en partie parce que le réchauffement climatique va déplacer plus vers le nord la limite d’expansion de la plante », explique Nicolas Viovy.
L’épineuse question des UV
D’autres scientifiques se penchent sur l’évolution du rayonnement UV : avec le changement climatique, allons-nous être exposés à de plus grands risques de coups de soleil (les érythèmes), coupables, on le sait, de favoriser les cancers de la peau ? Pour le savoir, il faut considérer tous les facteurs qui font barrière aux UV et empêchent une partie de ces rayons émis par le soleil d’arriver jusqu'au sol : les nuages, les aérosols – ces gouttelettes invisibles en suspension dans l’air –, ou encore l’ozone de l’atmosphère, le plus important.
« Aborder le rayonnement UV en termes de santé est toujours délicat : quand il diminue, c’est une bonne nouvelle pour les coups de soleil (et donc les cancers de la peau), mais une mauvaise nouvelle pour la synthétisation de notre vitamine D, indispensable pour fixer le calcium sur les os… Et inversement, lorsqu’il augmente », indique Sophie Godin-Beekmann, directrice de recherche au CNRS, responsable de l’Observatoire Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, qui a coordonné ces travaux sur le rayonnement UV. Prédire l’évolution des paramètres qui l’influencent l’est tout autant. Ainsi, s’il est avéré que les précipitations vont augmenter de manière globale avec le changement climatique, les scientifiques sont bien en peine de dire aujourd’hui comment la couverture nuageuse va évoluer dans tel ou tel endroit de la planète. Même incertitude pour la quantité d’ozone qui sera effectivement présente dans les prochaines décennies. « D’après les estimations, la couche d’ozone devrait être complètement restaurée au-dessus de l’Europe d’ici à 2060, grâce à la réglementation anti-CFC (les chlorofluorocarbures anciennement utilisés dans les bombes aérosols et les réfrigérateurs), indique la chercheuse. Mais la modification attendue de la circulation des masses d’air dans la haute atmosphère pourrait changer la donne, en transportant plus d’ozone des régions tropicales vers les latitudes plus élevées... » Auquel cas, c’est un super-bouclier d’ozone qu’on pourrait voir se former au-dessus de nos têtes d’Européens – ce qui présagerait d’inquiétantes carences en vitamine D l’hiver –, tandis que les régions tropicales se mettraient à souffrir d’un déficit d’ozone. Rien n’est jamais simple en matière climatique.
À lire :
5e Rapport du groupe II du Giec « Changement climatiques 2014 : incidences, adaptation et vulnérabilité. Résumé à l’intention des décideurs » : www.ipcc.ch
- 1. Maladies infectieuses et vecteurs : écologie, génétique, évolution et contrôle (unité CNRS/IRD/UM1/UM2).
- 2. Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (CNRS/CEA/UVSQ).
- 3. D’abord dans le cadre du projet PAC (Pollen, allergène, climat) du GIS, puis au sein du projet européen Atopica.
Coulisses
Le GIS « Climat, environnement, société » a été lancé en 2007 par le CNRS, le CEA, l’université Pierre-et-Marie-Curie, l’université Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, l’École polytechnique et l’Ademe avec le soutien des ministères chargés de la recherche et de l’environnement. Ce groupement de 17 laboratoires est consacré « à l’étude des conséquences du changement climatique par le développement d’approches interdisciplinaires, explique Sylvie Joussaume, sa directrice. Il compte parmi ses cinq thématiques de recherche celle de la santé ». Les 2 et 3 octobre 2014, il organisait, au centre du CNRS à Meudon, une conférence dédiée à la présentation des résultats d’une dizaine de projets réalisés dans ce domaine par le GIS et en dehors du GIS (www.gisclimat.fr).
Commentaires
Bonjour, pour info:
Armelle Maguer le 16 Février 2015 à 14h24Connectez-vous, rejoignez la communauté
du journal CNRS