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En 2015, alors que débutait ce blog en réaction aux destructions menées par Daesh en Irak et en Syrie, je consacrais un billet à Kültepe et à son potentiel comme site pilote pour la recherche interdisciplinaire. En ce début du mois d’août, le site archéologique a rassemblé près de quatre-vingts chercheurs venant des cinq continents pour son sixième colloque international.
Kültepe, l’ancienne Kanesh, est l’un des plus importants sites de l’Âge du bronze d’Anatolie centrale. Fouillé en continu depuis soixante-seize ans, il présente d’importants niveaux d’occupation datant de la deuxième moitié du IIIᵉ millénaire et des premiers siècles du IIᵉ millénaire avant J.-C. C’est un site d’une richesse extraordinaire, alliant une importante architecture monumentale et domestique à un abondant matériel archéologique.
Au milieu du IIIᵉ millénaire, Kültepe, qui s’étend sur près de 200 hectares, est déjà un centre culturel et commercial majeur entre la Méditerranée et la Syrie. Les bâtiments monumentaux mis au jour sur la colline renferment un riche répertoire céramique, mais aussi des centaines d'idoles en albâtre à caractère cultuel.
Idole de Kültepe, IIIᵉ millénaire av. J.-C. © Mission archéologique de Kültepe.
Un grand bâtiment en pierres dégagé sur la partie sud-ouest de la citadelle et datant de la seconde moitié du 18e siècle contenait des jarres de deux mètres de haut permettant de stocker plus de 2000 litres de céréales, ainsi que de nombreux récipients évoquant des festins. Des squelettes de lions et d'ours trouvés à proximité témoignent de chasses royales. Parmi les découvertes spectaculaires de ces dernières années, de nombreux fragments d’une grande jarre montrent des décors appliqués en argile : un joueur de lyre au masque d’oiseau, des danseurs nus, un lion et des cervidés.
Fragments de pithos avec un joueur de lyre portant un masque d’oiseau et des danseurs. © Mission archéologique de Kültepe.
Dans la ville basse les marchands assyriens commerçaient et vivaient en bonne intelligence avec la population locale. Les archéologues ont mis au jour près de 23 000 tablettes cunéiformes en argile formant leurs archives privées. Ces sources uniques, classées en 2015 au registre Mémoire du Monde de l’Unesco, nous permettent de pénétrer dans l’intimité des familles et de reconstruire la vie de certains quartiers il y a quatre mille ans !
Archive de Kültepe en cours de fouilles. © Mission archéologique de Kültepe.
Des analyses de l’ADN et des isotopes des squelettes enterrés sous le sol des maisons ont permis d’identifier les membres d’une même famille et de préciser leur statut. Dans une tombe du 21e siècle, un homme d’une quarantaine d’années était le fils d’une immigrante. De nombreux objets enterrés avec lui provenaient de Mésopotamie du sud : bijoux en or et argent, récipients et armes en bronze, poids en hématite et un sceau-cylindre. Des étrangers étaient donc déjà installés à Kültepe dès cette époque.
Vers 1700, la ville, en partie détruite par un incendie, fut désertée, en raison d'un environnement inondable impropre à l’agriculture. Mais elle est restée dans les mémoires car un texte hittite de Hattusha retrace la vie légendaire d’une reine de Nesha (Kanesh) qui donna naissance à trente fils, qu’elle livra au fleuve. Les garçons furent sauvés et élevés loin de chez eux. Quelques années plus tard, elle donna naissance à trente filles et décida de les élever. Les garçons devenus adultes revinrent au pays et épousèrent leurs sœurs, commettant un crime d’inceste puni par les lois hittites.
Au 8e siècle av. J.-C., Kültepe apparaît sous le nom de Tabal dans les inscriptions des rois assyriens. Enfin, le site est occupé pendant la période hellénistique sous le nom d’Anisa.
Alors que le colloque s’achevait à Kültepe, Le Monde publiait une série de cinq articles consacrés à Kültepe : Les lettres de Kanesh, parus entre le 5 et le 9 août. Avec beaucoup de finesse, Stéphane Foucart y a développé les faits saillants apportés par les tablettes de Kanesh, montrant la richesse de cette documentation unique et faisant des rapprochements judicieux avec l’époque contemporaine.
Pour ceux qui aimeraient se plonger dans l’atmosphère de Kanesh il y a quatre mille ans, le film documentaire, Ainsi parle Tarām-Kūbi. Correspondances Assyriennes (France, 2020), donne la voix à l’une des Assyriennes à travers sa correspondance.
Commentaires
Brèves mésopotamiennes
Jacques Pelegrin le 13 Septembre 2024 à 17h33Connectez-vous, rejoignez la communauté
du journal CNRS