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Réplique de la grotte Chauvet : un chantier unique

Réplique de la grotte Chauvet : un chantier unique

11.02.2014, par
Relevé géomorphologique de la grotte Chauvet
Relevé géomorphologique de la grotte Chauvet.
Au printemps 2015, la Caverne du Pont-d’Arc, réplique de la grotte Chauvet Pont-d’Arc en Ardèche, ouvrira ses portes. Parmi les nombreux scientifiques qui s’affairent sur ce gigantesque chantier, on croise des spécialistes du relief et du paysage.

Lascaux en Dordogne, Altamira en Espagne… La grotte Chauvet, en Ardèche, où se trouvent les plus vieilles images connues de l’humanité (– 36 000 ans), soit 425 représentations animales dans un état de conservation exceptionnel, ne sera pas la première grotte préhistorique reconstituée. Pourtant, la réalisation de sa réplique sur 3 500 m2, à 7 kilomètres du site d’origine, et dont l’ouverture au public est prévue au printemps 2015, vingt ans après sa découverte, apparaît unique par bien des aspects.

Les géomorphologues au cœur du chantier de reconstitution de la grotte Chauvet

Sur place, des spécialistes de l’art pariétal, des paléontologues et des archéologues travaillent évidemment à la restitution de la majorité des panneaux ornés. Mais d’autres scientifiques, moins attendus, s’affairent également au cœur du chantier : les géomorphologues du laboratoire savoyard Environnements, dynamiques et territoires de la montagne (Edytem)1. Le rôle de ces spécialistes du relief et de l’histoire des paysages est double : aider à la compréhension et à la reproduction de cet écrin naturel de 8 500 m2, notamment durant l’ultime phase actuelle de réalisation, en contribuant à la supervision du chantier.

Leur premier défi, donc : retracer l’histoire de la grotte. « Nous apportons des clés de lecture, des éléments de datation des principales évolutions de la cavité – sa visibilité, l’état de ses parois, la nature de ses sols, la présence d’eau –, afin de restituer ce qu’elle était vraiment lorsque les hommes préhistoriques l’ont parcourue et fréquentée, explique Jean-Jacques Delannoy, directeur du laboratoire Edytem et membre de l’équipe scientifique de la grotte Chauvet, pilotée par Jean-Michel Geneste, directeur du Centre national de Préhistoire. Ces indications sont essentielles pour interpréter les aménagements de la cavité par les hommes préhistoriques, le choix de la localisation des œuvres et pour concevoir aujourd’hui sa reconstitution. »

La 3D, un outil incontournable pour l’étude des grottes préhistoriques

Pour cela, les scientifiques se sont appuyés sur de nouveaux outils comme le scan en 3D à haute résolution de la grotte réalisé par le cabinet Pérazio et ont adapté des logiciels à usage industriel aux formes complexes de la cavité. « La 3D est devenue incontournable pour l’étude des milieux naturels extrêmes et difficiles d’accès en permettant leur analyse à distance – tout sauf un détail dans un endroit comme Chauvet où rien ne peut être touché –, ainsi que la visualisation de leur genèse et de leur évolution », indique Stéphane Jaillet, chercheur dans l’équipe.

 Modélisation numérique en 3D de la grotte Chauvet
Le relevé géomorphologique a permis aux chercheurs de réaliser une modélisation numérique en 3D de la grotte Chauvet avec les différentes textures géologiques.
 Modélisation numérique en 3D de la grotte Chauvet
Le relevé géomorphologique a permis aux chercheurs de réaliser une modélisation numérique en 3D de la grotte Chauvet avec les différentes textures géologiques.

À partir de cette cartographie en 3D, les chercheurs ont pu retracer l’histoire du paysage souterrain, mais aussi extérieur ainsi que ses évolutions depuis sa fréquentation préhistorique. Ils sont, par exemple, parvenus à dater l’écroulement qui a condamné l’entrée de la grotte il y 21 500 ans. Et à fournir des indications décisives dans le débat sur l’âge de ses œuvres pariétales. Un précieux référentiel spatiotemporel a aussi pu être mis à la disposition de l’ensemble de l’équipe scientifique de la grotte.

Le modèle réduit de la grotte Chauvet réalisé grâce à la technique de l’anamorphose

Second défi, et non des moindres : participer à la fabrication du fac-similé de la grotte Chauvet. Une mission d’autant plus compliquée que, pour des raisons financières et techniques, l’ensemble de la grotte ne pouvait être dupliqué. Il fallait donc créer un modèle réduit respectueux de l’espace initial et rigoureux scientifiquement. La solution choisie par nos géomorphologues : l’anamorphose. Ce procédé mathématique, couramment utilisé en matière de trompe-l’œil, consiste à reproduire une image ou un relief en les déformant pour jouer sur la perception qu’en aura le spectateur. Grâce à lui, les chercheurs ont réussi à « replier » la vraie cavité dans un espace deux fois moins important, à l’image d’une bouteille compactée : « Nous avons conservé l’apparence des volumes originaux, l’esprit de la grotte, de ses paysages souterrains et la mise en scène des parois ornées », détaille Benjamin Sadier, un autre membre du laboratoire, qui a travaillé à la réalisation de cette anamorphose en 3D, toujours en partenariat avec le cabinet Pérazio.

Modélisation en 3D du plafond de la grotte Chauvet
Modélisation en 3D du plafond de la grotte Chauvet à partir de la réalisation du fac-similé en cours.
Modélisation en 3D du plafond de la grotte Chauvet
Modélisation en 3D du plafond de la grotte Chauvet à partir de la réalisation du fac-similé en cours.

La conception de l’anamorphose aura duré deux ans. Un travail délicat, pour lequel l’équipe d’Edytem a dû préparer le futur paysage en cohérence avec la grotte originelle, y intégrer la nature des sols, la texture, la nature et la couleur des parois ainsi que les empreintes et témoins laissés par les animaux et les hommes. « Chacune des caractéristiques de la cavité s’avère très importante : c’est à partir de leur appropriation que les hommes préhistoriques ont fait leurs choix picturaux et graphiques, en termes d’exposition ou de technique, développe Jean-Jacques Delannoy. Ils ont privilégié les endroits où la paroi calcaire était lisse, où il y avait peu d’aspérités, comme des fossiles empêchant le travail au fusain, ou encore utilisé les films d’argile présents sur certaines parois pour les mélanger à leur pâte et donner les estompes que l’on peut admirer aujourd’hui dans les dessins de la grotte. »

Réalisation du plafond de la réplique de la grotte Chauvet
Réalisation en béton sculpté et en résine du plafond de la réplique de la grotte Chauvet.
Réalisation du plafond de la réplique de la grotte Chauvet
Réalisation en béton sculpté et en résine du plafond de la réplique de la grotte Chauvet.

Alors qu’une dizaine de corps de métiers – sculpteurs, patineurs, peintres – s’attellent aujourd’hui à la réalisation en béton sculpté et en résine de l’anamorphose, sous la conduite des scientifiques et des scénographes de l’agence Scène, de nouveaux horizons de recherche s’ouvrent déjà. « C’est l’autre grand avantage de ce travail de modélisation géomorphologique en 3D : à partir de toutes ces informations mobilisées sur support numérique et bientôt reproduites sur le site de la réplique, nous allons pouvoir passer le témoin à d’autres champs disciplinaires qui n’auront pas la chance de se rendre dans la vraie grotte et leur permettre d’investiguer de nouvelles problématiques », se réjouit le chercheur.

À voir : notre film sur l’atelier du fac-similé de la Grotte Chauvet.
 

À suivre :

Seconde édition du forum du CNRS, à Grenoble.
Conférence « Quand la science révèle notre patrimoine », samedi 11 octobre 2014, de 13 h 50 à 14 h 50.

Notes
  • 1. Unité CNRS/Univ. de Savoie.
Aller plus loin

Coulisses

Les travaux de l’équipe de Jean-Jacques Delannoy ont permis d’initier une nouvelle discipline : l’anthropogéomorphologie, ou comment raconter l’histoire des hommes grâce à l’étude des formes du relief. Celle-ci vient s’ajouter aux autres disciplines de l’équipe scientifique de la grotte Chauvet financée par le ministère de la Culture et de la Communication : archéologie, paléontologie, géologie, géochimie, sciences du climat, paléogénétique… Plusieurs unités liées au CNRS (Edytem, Ibitec-S, LSCE, Pacea, Traces) et au ministère de la Culture (Centre national de Préhistoire) sont impliquées dans ce chantier d’envergure porté par le département de l’Ardèche, la Région Rhône-Alpes et l’État.

Auteur

Aurélie Sobocinski

Aurélie Sobocinski, née en 1979, est journaliste. Après un début de carrière à Paris, elle écrit désormais depuis Grenoble pour la presse nationale. Auteur d’un ouvrage sur l’innovation éducative, elle se passionne particulièrement pour l’école, l’enseignement supérieur et la recherche.

 

Suivre @a_sobo38

Commentaires

3 commentaires

Curieux cette différence d'échelle entre les premiers artistes et leurs pauvres moyens et l'équipe actuelle qui reproduit les œuvres. L'exécution de ces œuvres suppose l'aboutissement d'une longue évolution, voir le site http://paleoart.voila.net/
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du journal CNRS