Sections

La grotte Chauvet vue par ses copistes

Dossier
Paru le 06.09.2024
Le tour du patrimoine en 80 recherches

La grotte Chauvet vue par ses copistes

24.04.2015, par
Atelier de Gilles Tosello à Toulouse.
Gilles Tosello dans son atelier. Les copies des panneaux ont été réalisées au charbon de bois de pin sylvestre, exactement comme les originaux.
À l’occasion de l’ouverture, samedi 25 avril, de la réplique de la grotte Chauvet-Pont d’Arc, les plasticiens Alain Dalis et Gilles Tosello, à l’origine des copies de ces œuvres vieilles de 36 000 ans, décryptent quatre panneaux de la grotte.

Le panneau des chevaux

Par Gilles Tosello, plasticien et préhistorien1.

Le panneau des chevaux de la caverne du pont d'Arc
La superposition des tracés indique dans quel ordre les animaux ont été dessinés. Le cheval au centre a été réalisé en dernier, ce qui suggère une composition pensée en amont.
Le panneau des chevaux de la caverne du pont d'Arc
La superposition des tracés indique dans quel ordre les animaux ont été dessinés. Le cheval au centre a été réalisé en dernier, ce qui suggère une composition pensée en amont.

« Ce panneau de 2,5 m d’envergure est extrait d’une fresque qui compte une cinquantaine d’animaux. Il a été exécuté au charbon de bois dans un vaste mouvement circulaire, dont on connaît la chronologie grâce à la superposition des tracés. Les artistes ont commencé par les rhinocéros en bas à droite, puis ont dessiné les aurochs et, enfin, les chevaux. La composition a été pensée : la ligne de ventre du dernier cheval, en bas, est recoupée très exactement par la corne du rhinocéros, ce qui montre que l’emplacement de l’équidé ne doit rien au hasard : il a été réservé au centre du panneau. Le support a été préparé à l’avance : la couche d’argile brune qui recouvre en partie les parois calcaires de la grotte a été raclée. À certains endroits, cependant, des résidus d’argile ont été laissés en l’état ; mélangés au charbon, ils donnent des nuances différentes tirant vers le brun, le vert… On est là face à un véritable comportement d’artiste : ces hommes intègrent les obstacles et les utilisent à leur profit.

L’objectif n’était
pas d’obtenir une
copie scolaire, il
fallait retrouver
l’émotion du panneau original.

Pour reproduire ce panneau, j’ai collé au plus près aux techniques de l’époque. J’ai dessiné les animaux exactement dans le même ordre, avec le même pigment : du charbon de bois de pin sylvestre que j’ai fabriqué moi-même en faisant brûler des branches. J’ai tracé les lignes au charbon, puis j’ai estompé au doigt pour donner des gris et des volumes, comme les hommes de l’époque. Pour rajouter des détails expressifs comme les yeux ou les oreilles, les artistes ont légèrement gratté le charbon avec une pointe de silex – ce qui permet de faire ressortir le blanc de la paroi calcaire.

J’ai dû, moi, m’adapter et utiliser des outils métalliques, car la résine utilisée pour les panneaux de la réplique est beaucoup plus dure que le calcaire de la grotte. Afin de rester le plus proche possible de l’original, j’ai « décalqué » au maximum les images à reproduire sur la paroi en m’aidant de la vidéoprojection. Mais j’ai ensuite travaillé de manière plus libre, en me servant de la documentation photo prise dans la grotte, afin de retrouver l’énergie du geste… L’objectif de la reproduction n’était pas d’obtenir une copie « scolaire », il fallait retrouver l’émotion qui se dégage des panneaux originaux. »
 

Le panneau des lions

Par Gilles Tosello.

Le panneau des lions de la Caverne du Pont d'Arc
Toute la complexité de la copie a résidé dans le regard des lions. L’intensité et la direction de chaque regard reposent exclusivement sur l’équilibre noir/blanc.
Le panneau des lions de la Caverne du Pont d'Arc
Toute la complexité de la copie a résidé dans le regard des lions. L’intensité et la direction de chaque regard reposent exclusivement sur l’équilibre noir/blanc.

« Ce panneau extrait de la vaste fresque des lions, située dans le fond de la grotte, figure le plus redoutable chasseur de la Préhistoire. Les artistes se sont focalisés sur les regards et les têtes des lions, auxquels ils ont donné des profils anthropomorphes ; de là à dire que c’était eux-mêmes qu’ils représentaient sous les traits de ces animaux… Alors que la scène se lit de droite à gauche, on sait d’après la superposition des traits que les artistes ont dessinés de gauche à droite, en commençant par les bisons – ce qui renforce l’idée qu’il s’agit d’une composition. Les lions arrivent par la droite et poursuivent les bisons qui semblent s’enfuir vers nous, qui regardons la scène. C’est un triangle visuel, une façon sophistiquée d’inclure le spectateur ou l’artiste, c’est selon, dans la scène.

Ces dessins ont
été faits d’un seul jet,
par des gens qui
savent où ils vont
et enchaînent les
gestes de manière rapide.

Toute la complexité de la copie a résidé dans le regard des lions. L’intensité et la direction de chaque regard reposent exclusivement sur l’équilibre noir/blanc. J’ai dû faire beaucoup de réglages et de retouches afin de restituer l’intention d’artistes qui, eux, ont tracé ces traits de manière totalement spontanée ! Pour moi, il n’y a aucun doute : ces dessins ont été faits en un seul jet, par des gens qui savent où ils vont et enchaînent les gestes de manière rapide et professionnelle. Il faut avoir travaillé, s’être beaucoup entraîné pour avoir une telle maîtrise à main levée.

Combien sont-ils à avoir travaillé sur cette fresque des lions et sur celle des chevaux ? J’aurais tendance à dire pas beaucoup, deux-trois peut-être – un seul, c’est trop lourd de conséquences ! Il y a une unité de style, mais aussi des détails communs à certains animaux des deux panneaux – la façon de dessiner un œil, l’angle d’une joue, un menton… – qui trahissent en tout cas la présence de la même personne en différents endroits. »
 

Les trois lionnes

Par Alain Dalis, plasticien.

Silhouette de trois lionnes dans la Caverne du Pont d'Arc
On voit bien ici comment les artistes préhistoriques ont exploité les reliefs de la paroi, utilisant volontairement un creux de la roche pour figurer la hanche des lionnes.
Silhouette de trois lionnes dans la Caverne du Pont d'Arc
On voit bien ici comment les artistes préhistoriques ont exploité les reliefs de la paroi, utilisant volontairement un creux de la roche pour figurer la hanche des lionnes.

« La grotte Chauvet a été fréquentée par les ours, avant et après le passage des hommes préhistoriques. Les plantigrades suivaient les parois pour se guider dans le noir et urinaient tout contre. On le voit bien sur ce panneau, dont la partie inférieure est comme polie et piquetée de milliers de petits trous. Reproduire ces détails était aussi un des enjeux de la copie ! Pour dessiner ce panneau, qui figure les silhouettes de trois lionnes – deux en noir et une dont on n’aperçoit que la ligne de dos en rouge –, j’ai utilisé du charbon de pin sylvestre que j’ai fabriqué moi-même et de l’oxyde de fer. On voit bien ici comment les artistes préhistoriques ont exploité les reliefs de la paroi, utilisant volontairement un creux de la roche pour figurer la hanche des lionnes. Il y a une tension dans la courbe du dos des félins… On les sent prêts à bondir ! Pour tracer des traits continus sur ce panneau de 2,50 m de long, il faut faire au moins trois pas – cela trahit une incroyable maîtrise de ces hommes. Pour moi, ce panneau des lionnes est l’un des plus grands chefs-d’œuvre de la grotte Chauvet. Il est très contemporain, épuré : un trait, et tout est dit ! On peut le comparer à du Matisse. Soit on a affaire à un Michel-Ange, soit à des gens qui ont beaucoup travaillé avant d’arriver à un tel dépouillement…

À la différence
de Lascaux, on devine
ici une observation
fine de la nature
et une grande
proximité avec
ces animaux.

Je connais bien Lascaux pour avoir participé à la restauration de Lascaux 2, la réplique de la grotte, il y a quelques années. Entre les fresques de Chauvet (36 000 ans), et les peintures de Lascaux (18 000 ans), on constate une vraie évolution. À Lascaux, les pigments ont été soufflés, on a pris le temps d’utiliser des caches pour avoir des traces nettes… À Chauvet, les artistes ont travaillé au fusain, directement sur la roche, dans un mouvement très dynamique.

On sent également que le rapport à la nature est différent. À Lascaux, les animaux sont très stylisés, proches du logo parfois, il y a une distance entre l’homme et la nature. On sent poindre le Néolithique et la sédentarisation. À Chauvet, on devine une observation fine de la faune – dans les attitudes et les regards – qui suggère que ces hommes étaient extrêmement proches de la nature et voyaient ces animaux quasiment comme leurs égaux. »
 

Le panneau du cheval gravé

par Alain Dalis.

Panneau du cheval gravé
Ces gravures ont été réalisées soit directement au doigt, c’est le cas du ventre, de la queue et du museau du cheval, soit au moyen d’outils tels que bâton ou os cassé.
Panneau du cheval gravé
Ces gravures ont été réalisées soit directement au doigt, c’est le cas du ventre, de la queue et du museau du cheval, soit au moyen d’outils tels que bâton ou os cassé.

Avant de découvrir
Chauvet,
on pensait qu’il
y avait une
progression de
l’art. En réalité,
tout était là
depuis le début.

« L’une des particularités de Chauvet, c’est que la paroi est molle, notamment aux endroits où le calcaire est recouvert d’une couche d’argile. Il suffit d’appuyer légèrement dessus pour que le blanc apparaisse. Ici, les gravures ont été réalisées soit directement au doigt – c’est le cas du ventre, de la queue et du museau du cheval figuré sur ce panneau –, soit au moyen d’outils tels que bâton ou os cassé. En griffant l’argile, le doigt (ou l’outil) a créé de part et d’autre du trait des petits bourrelets de matière de quelques millimètres qui n’ont pas bougé depuis 36 000 ans…

Pour recréer ces amas de matière et cette impression de fraîcheur, j’ai utilisé une résine très souple, qui sèche au bout de quelques jours. Au niveau du ventre du cheval, on peut noter les cinq traits parallèles créés par les artistes eux-mêmes : ils imitent vraisemblablement les griffades d’ours que l’on retrouve un peu partout dans la grotte.

Avant de découvrir Chauvet, on pensait qu’il y avait une progression de l’art, des origines à nos jours. Cette grotte apporte la preuve éclatante du contraire. Tout était là, dès le début : l’utilisation du trait, plus ou moins appuyé, les techniques de perspective, la figuration réaliste ou non… Si on fait abstraction des 36 000 ans, on est devant une œuvre d’art à part entière, dans un style très contemporain. »

Le site Web de la Grotte Chauvet 2 Ardèche : https://www.grottechauvet2ardeche.com

Sur le même sujet :
- « Grotte Chauvet : dans l'atelier du fac-similé »
- « Réplique de la grotte Chauvet : un chantier unique »

 

Notes
  • 1. Membre associé du laboratoire "Travaux et Recherches Archéologiques sur les Cultures, les Espaces et les Sociétés" (Unité CNRS/ Université de Toulouse Jean Jaurès/ Ministère de la culture et de la communication/ EHESS/ Inrap)

Auteur

Laure Cailloce

Journaliste scientifique, Laure Cailloce est rédactrice en chef adjointe de CNRS Le journal. et de la revue Carnets de science.