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Amarna, la cité disparue d'Akhenaton
Mystique selon certains, rusé politique pour les autres, le pharaon Amenhotep IV, aussi appelé Akhenaton, a bouleversé profondément l’Égypte du Nouvel Empire durant son règne (1350-1334 avant notre ère) : non content de provoquer un véritable séisme religieux en imposant le culte unique du disque solaire, Aton, contre la pluralité de divinités habituellement adorées par les pharaons précédents, il a initié une véritable révolution architecturale et artistique. « Puisque le disque solaire, Aton, devenait le seul dieu avec lequel dialoguer, on a décidé de construire des temples sans toit et baignés par les “divins” rayons », explique Robert Vergnieux, commissaire de l’exposition « Akhenaton » qui s'est tenue au printemps à Bordeaux1 et ancien directeur du laboratoire Archéovision2.
Les murs ne devant plus supporter de lourdes dalles de toit de dix à vingt tonnes, une nouvelle norme architecturale s’est imposée : au lieu des gros blocs de pierre utilisés jusqu’alors dans la construction des temples et des édifices royaux, les murs étaient montés à l’aide de briques de pierre de taille standard – les talatat – qui présentaient l’avantage de pouvoir être rapidement assemblées.
Une capitale entièrement rasée
Cette technique a d’abord été testée à Karnak, le complexe religieux situé au nord de Thèbes, avant d’être déployée à grande échelle dans la nouvelle capitale construite par Akhenaton : Amarna. Problème pour les spécialistes : il ne reste rien des édifices construits à Karnak et à Amarna… C’est qu’Akhenaton ne s’est pas fait que des amis avec ses « lubies » religieuses et architecturales. « Dès sa mort, les autres clergés, le clergé d’Amon notamment, qui était très puissant avant Akhenaton, n’ont eu de cesse d’effacer toute trace de son règne », raconte Robert Vergnieux. Amarna, sa capitale, a été entièrement rasée, les tombeaux royaux, détruits, et une grande partie des briques en calcaire ont été utilisées pour fabriquer de la chaux… À Karnak, les blocs de grès ont subsisté, mais ils ont été réutilisés dans des constructions ultérieures, notamment dans les fondations de pylônes.
C’est donc à la reconstitution d’un véritable puzzle que les scientifiques d’Archéovision ont dû se livrer pour imaginer la physionomie des temples, palais et maisons de dignitaires sous le règne d’Akhenaton. Ils ne partaient pas de rien : « Des reconstitutions en 2D de plusieurs édifices, notamment à Karnak, avaient déjà été proposées, et j’avais moi-même formulé des hypothèses lors de ma thèse sur Amarna », précise Robert Vergnieux. L’équipe avait surtout à sa disposition une base documentaire fournie, quoique très hétérogène : si Amarna a été détruite, les stèles qui bordaient la ville et décrivaient son organisation spatiale ont été retrouvées, et toutes les fondations des édifices subsistent, sans compter les scènes décorant les tombes des particuliers… À Karnak, ce sont près de 12 000 talatat portant des fragments de décor sur une face qui ont été retrouvées, permettant de reconstituer des centaines de fragments de scènes représentées sur les murs des temples.
L'iconographie égyptienne à la rescousse
« Sous Akhenaton, l’iconographie des temples a été profondément modifiée, explique Robert Vergnieux. Jusqu’alors, on y trouvait essentiellement des scènes représentant pharaon face à la divinité, à divers moments du culte. Avec le culte d’Aton, le disque solaire, Pharaon s’est progressivement confondu avec cette divinité unique et ce sont des scènes représentant la vie quotidienne de Pharaon que l’on s’est mis à représenter sur les murs. » Une source précieuse d’information pour le laboratoire Archéovision : on y voit en effet des édifices, des temples…, qui fournissent des renseignements sur la physionomie desdits bâtiments.
Car Robert Vergnieux en est convaincu : l’iconographie égyptienne, si elle paraît brouillonne aux yeux d’un homme du XXIe siècle habitué à la représentation en perspective – on voit par exemple des portes « flotter » au-dessus des murs –, est en réalité extrêmement précise. Mais elle obéit à des codifications radicalement différentes, qu’il a fallu décrypter. « Le dessinateur égyptien représente chaque élément de la scène sous son meilleur angle, afin de donner le maximum d’informations, indique Robert Vergnieux. Il y a donc différents points de vue dans une même scène : on verra par exemple une porte de profil laissant apercevoir des pièces en enfilade, même si ces pièces ne sont pas directement visibles par un observateur situé à l’extérieur du bâtiment. »
La 3D comme outil de recherche
Plus qu’un simple outil de représentation, les usages 3D développés par Archéovision se sont révélés de réels outils de recherche dans ce travail de reconstruction. « Pour chaque bâtiment, plusieurs versions ont été proposées et soumises aux égyptologues partenaires du projet », raconte Loïc Espinasse, ingénieur 3D à Archéovision. L’opération a réservé quelques surprises. C’est ainsi que la cour du Gem-pa-Aton, un temple d’Aton construit à l’est du complexe de Karnak, a subi de profondes modifications. « Il était communément admis dans la littérature que c’était une cour bordée d’un péristyle. Mais des incohérences de structure mises en évidence par la 3D ont permis de montrer que ce que l’on pensait être les bases de colonnes étaient en réalité les socles de colosses représentant Akhenaton », confirme Robert Vergnieux. Ce qui change sacrément l’allure dudit temple !
Grâce à la 3D, le petit temple et le grand temple d’Amarna ont également pu être reconstitués, ainsi que deux maisons de dignitaires. Des bâtisses imposantes de près de 4 000 m2 au sol, dotées d’un étage et d’un luxuriant jardin. L’une d’elles, qui n’est pas visible dans l’exposition actuellement présentée à Bordeaux, appartenait à Touthmose, le sculpteur ayant réalisé le célèbre buste de Néfertiti, la première épouse d’Akhenaton, conservé au Neues Museum de Berlin. Une vue aérienne de la ville nouvelle, plaçant les temples, palais mais aussi les quartiers d’habitation et les entrepôts, a également été réalisée.
Le projet est cependant loin d’être terminé : il reste encore une dizaine de milliers de talatat, retrouvées dans les fondations du 9e pylône de Karnak, à assembler afin de reconstituer de nouvelles scènes décoratives. Pour y arriver, le laboratoire Archéovision vient de lancer un vaste projet de crowdsourcing faisant appel à la bonne volonté du public3. Amateurs de puzzle, bienvenus ! Les plus motivés pourront également déchiffrer les relevés effectués à la main par les archéologues ayant recensé les milliers de talatat à Karnak dans les années 1970 et 1980, et taper ces chiffres dans une immense base de données. Ces données de dispersion, qui indiquent à quel endroit précis chaque talatat a été retrouvée, pourraient réserver encore de belles surprises aux archéologues.
- 1. Du 4 au 29 avril 2016 dans le hall du conseil régional d’Aquitaine, à Bordeaux.
- 2. Unité CNRS/Univ. de Bordeaux/Univ. Bordeaux Montaigne. Le laboratoire Archéovision est dirigé depuis fin 2015 par Jean-François Bernard.
- 3. Toutes les informations sur l’exposition et le projet de crowdsourcing sont disponibles sur le site www.aton-num.fr
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Auteur
Journaliste scientifique, Laure Cailloce est rédactrice en chef adjointe de CNRS Le journal. et de la revue Carnets de science.