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Comment les dinosaures couvaient-ils leurs œufs?
Leur mauvaise réputation remonte aux années 1920, lors de la découverte d’ossements de dinosaures au-dessus d’un nid rempli d’œufs, en Mongolie. À l’époque, les chercheurs pensaient que les œufs appartenaient à des protocératops mais que les ossements provenaient d’une autre espèce qu’on supposait voleuse d’œufs : l’oviraptorosaure, dont le nom d’origine latine témoigne du crime supposé. L’accusation envers ce dinosaure, qui pouvait mesurer jusqu’à deux mètres de long, a tenu jusqu’aux années 1990, lors d’une autre expédition en Mongolie. Celle-ci révéla que les embryons contenus dans les œufs d’un autre nid couvert par des ossements d’oviraptorosaures étaient en fait des embryons de cette même espèce. L’image du voleur prédateur commença à laisser la place à celle d’un parent nourricier couvant ses petits. Une image qui se confirme aujourd’hui grâce au procédé géochimique mis au point par une équipe franco-chinoise pour déterminer la méthode d’incubation des oviraptorosaures, qui met au jour des similitudes entre cette espèce éteinte de dinosaures et les oiseaux actuels1.
Une méthode fondée sur la température d'incubation
Depuis longtemps, les scientifiques s’interrogent sur la façon dont les différentes espèces de dinosaures couvaient leurs œufs. Les enterraient-ils, comme les tortues ? Ou bien les recouvraient-ils, ainsi que le font certains crocodiles, sous un monticule de plantes qui produisent de la chaleur par décomposition ? Ou bien encore, les couvaient-ils comme des oiseaux ? Jusqu’ici, les chercheurs s’appuyaient sur des indices indirects, tels que la morphologie des coquilles d’œufs et leur disposition dans les nids, pour comprendre les stratégies de chaque espèce. Chercheur au Laboratoire de géologie de Lyon2 (LGLTPE), Romain Amiot, coordinateur de l’équipe de paléontologues, géochimistes et biologistes français et chinois3, a développé une nouvelle technique pour déterminer la source de chaleur utilisée par certains dinosaures pour incuber les œufs, basée sur le calcul de la température d’incubation elle-même.
La température, explique le chercheur du LGLTPE, peut être calculée grâce à la relation existant entre les compositions isotopiques de l’oxygène contenu dans les os de l’embryon et les fluides de l’œuf à partir desquels ces os se sont formés. En se basant sur ce principe, Romain Amiot a eu l’idée de mesurer la composition isotopique de l’oxygène de l’os de l’embryon en développement, ainsi que dans le liquide contenu dans l’œuf.
Dans ce but, l’équipe a analysé au spectromètre de masse les os d’embryons préservés dans sept œufs d’oviraptorosaures provenant de la province de Jiangxi au sud-est de la Chine et datés d’environ 70 millions d’années, en vue d’obtenir leur composition isotopique. Or, si des os fossilisés d’embryon étaient bien présents dans les échantillons, le liquide contenu dans les œufs avait, lui, disparu depuis longtemps. Les chercheurs ont ingénieusement contourné le problème : ils ont mesuré la composition isotopique de fragments de coquille. Une transposition possible, précise Amiot, parce que « le liquide contenu dans l’œuf produit par la mère avait également servi à former la coquille ». Une fois dressées les compositions isotopiques des os d’embryon et du liquide, tout ce qui restait à faire était de résoudre les équations qui donnaient la variable manquante : la fameuse température d’incubation.
Un rôle clé dans la transition dinosaures-oiseaux
Selon le modèle établi à partir des données de l’étude, les oviraptosaures maintenaient leurs œufs à une température comprise entre 35 et 40 °C – beaucoup plus élevée que les températures ambiantes –, qui ne pouvait être maintenue que par la couvaison des parents dinosaures. Romain Amiot ajoute qu’on ne retrouve de telles températures d’incubation « que chez les oiseaux qui couvent leurs œufs », soulignant ainsi le rôle clé des oviraptorosaures dans la transition dinosaures-oiseaux.
Romain Amiot est à présent impatient d’étendre l’application de cette méthode aux autres vertébrés pondeurs d’œufs. Car l’un des avantages de ce modèle est que ses paramètres peuvent être ajustés « pour définir les températures d’incubation des œufs de différents animaux ». Le géochimiste s’intéresse en particulier aux sauropodomorphes – un groupe de dinosaures à long cou et longue queue avançant sur quatre pattes, qui ont laissé des restes fossiles partout dans le monde – dont le fameux Diplodocus d’Amérique du Nord. « Avec son poids de plusieurs tonnes et sa longueur de plusieurs dizaines de mètres, avance le chercheur, on imagine difficilement un diplodocus se couchant sur ses œufs. Dès lors, quelle technique de couvaison employait-il ? Si nous parvenons à trouver des échantillons de ses œufs avec l’embryon préservé à l’intérieur, alors nous pourrons définir sa température d’incubation et en savoir plus sur les stratégies de reproduction de cet animal extraordinaire sur lequel nous savons si peu de choses. »
- 1. «δ18O-derived incubation temperatures of oviraptorosaur eggs », Romain Amiot et al., Palaeontology, 28 juin 2017. http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/pala.12311/full
- 2. Laboratoire de géologie de Lyon : terre, planètes, environnement (CNRS/ENS/Université Lyon 1).
- 3. Représentant, pour la France, le laboratoire Biométrie et biologie évolutive (CNRS/Université Lyon 1/VetAgro Sup/Hospices civils de Lyon/Inria), le Laboratoire d’écologie des hydrosystèmes naturels et anthropisés (CNRS/Université Lyon 1/ENTPE/Inra) et, pour la Chine, l’Académie des sciences chinoise, l’Université normale de la capitale (Pékin), le Natural History Museum of Guangxi, et le Geological Museum of China.
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Auteur
Fui Lee Luk est journaliste et traductrice indépendante pour différents médias dont CNRSNews. Elle est titulaire d'un doctorat en littérature française (Paris III / Université de Sydney).