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Bienvenue sur le blog de Cécile Michel, destiné à vous faire découvrir trois mille ans d’histoire d’un Proche-Orient aux racines complexes et multiples, à travers les découvertes et les avancées de la recherche en assyriologie et en archéologie orientale. (Version anglaise ici)

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Cécile Michel
Assyriologue, directrice de recherche au CNRS dans le laboratoire Archéologies et Sciences de l’Antiquité

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Chez Sîn-nada et Nuttuptum à Ur en 1850 av. J.-C.
25.07.2024, par Cécile Michel
Mis à jour le 29.08.2024
Depuis 2015, les archéologues sont de retour sur le site de Tell Muqayyar, dans le sud de l’Irak, qui correspond à l’antique Ur. C’est au sud de la ville qu’une équipe allemande a récemment mis au jour la maison de Sîn-nada et Nuttuptum, permettant de pénétrer dans l’intimité d’un couple aisé de cette cité au dix-neuvième siècle avant J.-C.

La ville d’Ur, un port sur le Golfe Persique fouillé au lendemain de la première guerre mondiale par une mission américano-britannique dirigée par Leonard Wolley (1880-1960), connaît une très longue occupation depuis le Ve millénaire jusqu’à l’époque hellénistique. Woolley met au jour les tombes des rois d’Ur datant du milieu du IIIe millénaire, avec un matériel particulièrement riche en bijoux faits de métaux et pierres précieuses. Il dégage aussi les ruines de la ville à la fin du IIIe millénaire, avec sa muraille enfermant les quartiers urbains et l’espace sacré dédié au Dieu Lune Nanna / Sîn. Détruite à la chute d’Ur III, la muraille est reconstruite au début du IIe millénaire par les rois de Larsa.
Les fouilles de Katharine et Leonard Woolley à Ur. Les fouilles de Katharine et Leonard Woolley à Ur (source).

L’une des découvertes importantes de l’archéologue britannique réside dans les quartiers d’habitation datant du début du IIe millénaire, à une époque où l’on s’intéresse avant tout à l’architecture monumentale. Il donne aux rues antiques des noms inspirés de celles de la ville d’Oxford, tels Quiet Street ou Quality Lane.

Les fouilles sont interrompues avant la seconde guerre mondiale, et le site fait l’objet de restaurations par les Irakiens avant d’être occupé par l’armée américaine entre 2003 et 2009, causant des dégâts importants. C’est en 2015 qu’une équipe d’archéologues américano-irakiens dirigée par Elizabeth Stone et Abdulamir Hamdani reprend les fouilles à Ur, rejointe pour trois campagnes en 2017, 2019 et 2022 par une petite équipe allemande sous la direction d’Adelheid Otto. Cette dernière choisit de fouiller, avec toutes les techniques modernes, une maison privée située au sud du site, à proximité du mur d’enceinte (zone 5).

La maison de Sîn-nada et Nuttuptum en cours de fouilles. La maison de Sîn-nada et Nuttuptum en cours de fouilles (source LMU Munich, https://www.en.vorderas-archaeologie.uni-muenchen.de/research/ur1/index.html).

Les archéologues dégagent une grande maison bâtie vers 1860 avant J.-C. comportant 16 pièces organisées autour d’une cour centrale et occupant une surface de 236 m2. L’entrée donne sur la rue principale et à l’arrière se trouve un jardin. D’après les tablettes qui y ont été découvertes, la maison est habitée par Sîn-nada, son épouse Nuttuptum et leurs enfants qui y ont laissé des jouets, des hochets et un plateau de jeu. C’est un couple vraisemblablement aisé qui a pu se construire une vaste demeure dans cette zone encore à moitié en friche, et l’a habitée jusqu’en 1835 avant J.-C.

La cour ouvre sur une salle de réception et une salle principale à l’ouest, sur une cuisine et un garde-manger où l’on conservait de la viande séchée, et du côté est, à l’opposé de l’entrée, sur les appartements privés. Dans ces derniers, le sol était carrelé de briques cuites recouvertes de nattes en roseaux et une salle de bain équipée de système d’écoulement ajoutait au luxe de la maison. Dans un coin, un autel avec une statuette d’une déesse dans une niche permettait au couple de se recueillir, Sîn-nada ayant pour tâche d’organiser la réparation du temple de Ningal.

Reconstitution 3D de la maison de Sîn-nada et de Nuttuptum.Reconstitution 3D de la maison de Sîn-nada et de Nuttuptum (original material by Dr. Adelheid Otto & Dr. Berthold Einwag, LMU, 3D model by Maya Czupo, LRZ - https://www.youtube.com/watch?v=ZuKjOhhw854).

Dans un recoin de la cuisine, sous l’escalier montant à l’étage où la famille dormait, Nuttuptum gardait quelques trésors : des cornes de taureaux, un panier, une petite plaquette en terre représentant un dieu et des lettres de son époux l’informant qu’elle n’avait pas à s’inquiéter et qu’il allait bien. Dans une petite pièce située non loin de la cuisine, des tablettes scolaires étaient à l’origine conservées sur des étagères. Selon Adelheid Otto, pendant les longues absences de son époux, Nuttuptum apprenait à lire et à écrire à ses enfants. Trouvés dans le bureau, des documents administratifs de livraison de céréales et de drêches de brasserie suggèrent que Nuttuptum élevait quelques bêtes, cochons et moutons, dans une partie du jardin. Le long de la maison, le couple avait bâti un tombeau refermant les ossements des membres défunts de la famille.
Tablette scolaire Tablette scolaire issue de l’enseignement de Nuttuptum à ses enfants (source LMU Munich, https://www.en.vorderas-archaeologie.uni-muenchen.de/research/ur1/index.html).

Lors de la dernière campagne de fouilles, les archéologues ont dégagé dans le niveau inférieur un bâtiment datant de la fin du IIIe millénaire et les résultats de leurs travaux ont été présentés dans un congrès au début de ce mois. En surface de ce niveau, ils ont découvert une tablette avec un plan partiel de bâtiment et un bol rempli d’une dizaine de tablettes comportant de rapides notes relatives au travail de maçons rémunérés par des denrées alimentaires. Il y a aussi la mention d’une nouvelle maison et le calcul de quantité d’argile et de poutres nécessaires à sa construction. Le plan coïncide parfaitement avec une partie de la maison de Sîn-nada et Nuttuptum, bâtie sur les fondations du bâtiment plus ancien, et serait même, fait rare, à l’échelle.

Grâce aux efforts combinés des archéologues, des anthropologues, des philologues et historiens, il est possible d’écrire des micro-histoires comme celle de Sîn-nada et Nuttuptum. Cette découverte inspirera certainement d’autres chercheurs travaillant dans la région.

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