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Bienvenue sur le blog de Cécile Michel, destiné à vous faire découvrir trois mille ans d’histoire d’un Proche-Orient aux racines complexes et multiples, à travers les découvertes et les avancées de la recherche en assyriologie et en archéologie orientale. (Version anglaise ici)

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Cécile Michel
Assyriologue, directrice de recherche au CNRS dans le laboratoire Archéologies et Sciences de l’Antiquité

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Ebla et Mari : que reste-t-il des ruines de Syrie aujourd’hui ?
22.12.2024, par Cécile Michel
Mis à jour le 22.12.2024

Le 8 décembre, nous avons appris la chute de la dictature Assad et la fuite de Bachar el-Assad en Russie. Après presque quatorze années de guerre civile, près de 500 000 morts et plus de six millions de Syriens réfugiés à l’étranger, que reste-t-il du pays et de ses vestiges archéologiques ?

Depuis l’annonce de la chute du régime de Damas, la population syrienne oscille entre soulagement, joie et inquiétude : quel avenir leur réserve la coalition menée par les rebelles islamistes ? Après l’inventaire des morts, et des besoins urgent de la population, il viendra un temps où il faudra évaluer les dégâts du conflit sur le patrimoine archéologique de la Syrie.

Pendant toutes ces années de guerre, des centaines de sites syriens ont été détruits et pillés, les plus spectaculaires et célèbres d’entre eux, tel Palmyre, ayant été la cible des djihadistes de Daesh. En tant qu’assyriologue, mon inquiétude porte en particulier les sites syriens dont l’histoire a pu être reconstruite grâce à plusieurs milliers de tablettes cunéiformes, comme Ebla, Mari ou Ougarit. Après le déclenchement de la guerre en mars 2011, les fouilles ont été stoppées, et malgré le maintien pendant quelques années d’un garde sur place, certains sites ont été largement pillés.
//syriansforheritage.org/?p=3264Etat des réserves du musée d’Idlib en février 2018.

Le site d’Ebla, moderne Tell Mardikh, dans le gouvernorat d’Idlib, à une petite soixantaine de kilomètres au sud d’Alep, est une riche cité-État au vingt-quatrième siècle av. J.-C. Les fouilles archéologiques menées par une équipe italienne depuis la fin des années 1960 ont mis au jour près de 14 000 tablettes cunéiformes administratives et littéraires, pour l’essentiel dans le palais royal (palais G), témoignant de l’importance de cette vaste capitale très éloignée des villes sumériennes du sud de l’Irak. Dès le début de la guerre en 2011, la région d’Idlib a été la cible de violents conflits ; aux mains de Daesh, Idlib a été prise par le Front al-Nusra en 2015, connu ensuite sous le nom de Hayat Tahrir al-Sham, puis bombardé par les Russes et le régime syrien.

Des images satellites d’Ebla montre de nombreuses fosses de pillages sur toute sa surface, des impacts de bombes et des zones entières dégagées au bulldozer. En outre, diverses constructions militaires ont largement contribué aux destructions du site. Les tablettes et autres trésors d’Ebla étaient conservés dans le musée d’Idlib inauguré en 1989. Après avoir été en partie détruit et pillé, le musée a rouvert ses portes en août 2018, mais le long travail d’inventaire des objets disparus, en particulier des tablettes, est toujours en cours.
//commons.wikimedia.org/wiki/File:Mari_(Tell_Hariri),_Palast_des_Zimri-Lim,_18_Jhdt.v.Chr._(24834101698).jpg FrankProtection des murs du palais de Zimri-Lim à Mari en 2006. Photo Herbert.

Mari, fouillée par une équipe française dès 1933, fut une ville prospère dès le milieu du troisième millénaire avant J.-C. Au dix-huitième siècle, c’est la capitale d’un puissant royaume, régulièrement en guerre contre Babylone. De nombreux vestiges archéologiques ont été mis au jour dans les temples et palais, dont près de quinze mille tablettes cunéiformes formant les archives des rois de Mari. Le site a été largement détruit depuis 2011, quand les archéologues ont dû quitter le terrain. Sous la coupe de Daesh, des tunnels ont été creusés au bulldozer sous les murs antiques, et le site est parsemé de trous de pilleurs à la recherche d’antiquités à vendre. Tous les efforts de préservation et restauration menés par les archéologues ont été réduits à néant.

Du temps du mandat français en Syrie, les tablettes de Mari ont été prêtées à la France pour étude. Conservées au Musée du Louvre, puis dans un château de la Loire pendant la seconde guerre mondiale, elles ont ensuite rejoint le Collège de France puis un local mis à disposition par la ville de Paris au groupe de chercheurs en charge de leur publication. L’ensemble de la collection a été photographié, et près de 9 000 tablettes publiées avant que toutes les tablettes de Mari soient restituées à la Syrie entre 1996 et 2004, pour être conservées au musée de Deir ez-Zor. Selon un rapport sur l’état des musées syriens en 2020, le musée de Deir ez-Zor, fondé en 1974 et agrandi en 1996, a été vidé de ses collections les plus importantes, celles-ci ayant été transférées à Damas en 2014. Aujourd’hui, nous ignorons où se trouvent les tablettes de Mari.

D’autres sites syriens, tel Ougarit, situé sur la côte Méditerranéenne, auraient moins souffert des conflits. Alors que les Syriens découvrent, sidérés, ce qui reste des geôles et salles de torture du clan Assad, le monde entier se pose des questions sur l’avenir du pays à reconstruire. Puisse l’année 2025 permettre au peuple syrien de retrouver paix et autonomie, et de renouer avec son patrimoine culturel.