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La dégradation des algues, enjeu majeur du cycle du carbone
16.10.2023, par Martin Koppe
Mis à jour le 16.10.2023

À la Station biologique de Roscoff, François Thomas étudie les relations entre les bactéries marines et les algues. Ces interactions influencent la circulation du carbone au sein des écosystèmes côtiers, mais aussi entre la mer et l'atmosphère.

Si les algues forment la base des chaînes alimentaires marines, ce n’est pas leur seul rôle. Elles captent en effet, grâce à la photosynthèse, une partie du carbone de l’atmosphère. « Au niveau mondial, la surface couverte et la quantité de carbone assimilée par les algues sont équivalentes à la forêt amazonienne », avance François Thomas. Ce microbiologiste, chargé de recherche CNRS au Laboratoire de biologie intégrative des modèles marins1, scrute la dégradation par les bactéries des macroalgues, désignées ainsi par opposition au phytoplancton.
« On sait que ces algues accumulent du carbone dans leurs tissus, notamment sous forme de sucres, mais on connaît beaucoup moins bien les processus qui mettent ce carbone à disposition du reste des communautés marines, poursuit François Thomas. Certains herbivores, comme les oursins, peuvent manger des algues, mais ce sont les bactéries qui, en les dégradant, rendent la majeure partie de ce carbone accessible à l’écosystème. Ce faisant, elles libèrent également du CO2, qui va ensuite rejoindre l’air libre. Pour ces différents cas de figure, nous ne disposons que de très peu de données. »

Des algues pleines de sucres
Des travaux ont en effet été menés en laboratoire sur la dégradation de composés solubles extraits des algues. Il s’agit notamment de sucres complexes, des polysaccharides, pouvant représenter jusqu’à la moitié de la masse sèche d’une algue. Mais dans les faits, les bactéries n’interagissent jamais avec un seul composé à la fois. « Davantage de voies métaboliques sont impliquées lors de l’attaque de tissus d’algues entières », souligne François Thomas.
La première étape de ses travaux consiste à identifier quelles communautés de bactéries interagissent avec telle espèce d’algue. François Thomas distingue deux grands cas de figure : quand les algues sont saines et quand elles sont mortes. Cette seconde option connaît également deux possibilités : des algues échouées dans les fonds marins ou sur la plage, à l’air libre.

Une liste de bactéries
« Nous voulons comprendre les spécialités de chaque espèce de bactéries, mesurer leur abondance et leur activité en fonction des tissus de l’algue, de sa santé, de la saison… développe François Thomas. Certaines fonctionnent comme des pionnières, elles sont les premières à dégrader l’algue et à permettre le relargage de composés solubles, rendus alors accessibles à d’autres microbes, puis au reste de la chaîne alimentaire. Différentes niches écologiques sont en effet impliquées. »
Des laminaires, de longues algues brunes, ont été cultivées sur des substrats riches en carbone 13, un isotope stable, mais rare dans la nature. Celui-ci passe dans les polysaccharides qui sont isolés, puis mélangés à des échantillons d’eau de mer. Les bactéries qui se retrouvent avec des taux anormaux de carbone 13 sont celles qui ont réussi à assimiler les extraits d’algues. Le phénomène a également été étudié en immergeant, dans des cages, des morceaux de laminaires par dix mètres de fond et en suivant les communautés bactériennes qui s’y sont développées pendant six mois.

Souches bactériennes
Une grande diversité de bactéries marines peut être cultivée à partir de la surface des macroalgues. Ici, chaque boîte de Petri contient une souche bactérienne différente. © Nolwen Le Duff, SBR

Une bataille entre algues et bactéries
Ensuite, François Thomas et ses collègues explorent les enzymes employées par les bactéries pour attaquer la paroi des macroalgues, ainsi que les gènes impliqués dans leur fabrication. « Différentes voies permettent de dégrader les polysaccharides, précise le chercheur. En retour, les algues ne sont pas démunies et possèdent des moyens de défense, comme la production d’eau oxygénée ou de composés iodés. Or certaines bactéries ont développé des stratégies pour les contrer, nous avons affaire à une véritable bataille métabolique ! »
L’espèce bactérienne Zobellia galactanivorans, isolée à la Station biologique de Roscoff dans les années 90, a ainsi montré une grande capacité à dégrader les polysaccharides des algues et à contourner leurs défenses. Son génome a été entièrement séquencé, en faisant un organisme modèle dont les gènes peuvent être désactivés afin de vérifier s’ils sont impliqués dans la détérioration des algues. C’est le cas pour 10 % d’entre eux. « Les Zobellia ne sont pas les bactéries les plus abondantes à la surface des algues ou dans l’eau, mais elles connaissent des pics de population lors des phases de dégradation, précise François Thomas. De telles bactéries jouent un rôle écologique essentiel dans la dégradation et la recirculation du carbone contenu dans la biomasse des algues. »

Macroalgues en dégradation
Accumulation sous-marine de macroalgues en dégradation. © Wilfried Thomas, SBR

L’impact du changement climatique
Pour leurs prochains travaux, François Thomas et ses collègues vont scruter les relations entre les bactéries pionnières et secondaires, un équilibre qui pourrait être perturbé par le changement climatique. Les scientifiques vont d’ailleurs étudier l’impact d’une hausse des températures sur l’activité de ces bactéries, si centrales dans le cycle du carbone marin.
Outre la question des puits de carbone, ces travaux ont des implications dans la bioraffinerie. Les algues produisent en effet des composés qui intéressent les industries pharmaceutiques, cosmétiques et agroalimentaires. Les enzymes utilisées par les bactéries pour dégrader les algues pourraient faciliter l’accès à ces molécules, simplifiant et assainissant des procédés industriels souvent basés sur l’usage de solvants. Les algues et leur dégradation ont ainsi encore bien des projets de recherche à inspirer.

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Ces recherches ont été financées en partie par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) au titre du projet ANR-ALGAVOR (Stratégies écologiques et métaboliques de bactéries spécialistes de la dégradation des macroalgues). Cette communication est réalisée et financée dans le cadre de l’appel à projets Sciences Avec et Pour la Société - Culture Scientifique Technique et Industrielle.
 

Notes
  • 1. LBI2M, au sein de la Station biologique de Roscoff (CNRS/Sorbonne Université)

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