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Clément Sanchez, la chimie comme un Lego

Clément Sanchez, la chimie comme un Lego

17.06.2014, par
Clément Sanchez
Le chimiste Clément Sanchez.
Clément Sanchez a reçu ce matin, des mains du président de la République italienne, le Grand Prix ENI 2014 « Protection de l’environnement », l’un des plus importants du monde dans ce domaine. Portrait de ce chimiste qui joue dans la cour des grands.

Clément Sanchez est un optimiste. Pas du genre à penser que le monde court à sa perte, que notre crise énergétique est sans issue. Normal : de ses recherches en chimie des matériaux hybrides, une discipline qui consiste à créer sur mesure des matériaux combinant les fonctionnalités du monde minéral aux propriétés du monde du vivant, découlent de multiples applications porteuses d’espoir.

« La chimie des matériaux hybrides consiste, par exemple, à doter un simple morceau de verre transparent de la souplesse et de l’éclatante couleur d’un pétale de fleur afin de créer un matériau possédant des propriétés mécaniques et optiques très performantes. Et le champ des possibles (en Technologies de l’information, médecine, énergie, cosmétiques, construction, transports…) n’a de limites que celles de notre imagination : dans le domaine de l’environnement, nous pouvons ainsi élaborer des cellules photovoltaïques sur substrats durs ou flexibles, des capteurs capables de détecter des matériaux toxiques, des photocatalyseurs permettant de dépolluer un liquide, des adsorbeurs ayant le pouvoir de capter le CO2, des catalyseurs permettant de transformer les hydrocarbures lourds en essence tout en dépensant un minimum d’énergie, etc. », énumère avec enthousiasme le chimiste de 65 ans, ancien directeur de recherche au CNRS1 et professeur chargé de cours à l’École polytechnique, aujourd'hui professeur au Collège de France.

Clément Sanchez
Clément Sanchez
Clément Sanchez
Clément Sanchez

Pionnier du domaine des matériaux hybrides

On comprend pourquoi il a reçu aujourd’hui, mardi 17 juin, le Grand Prix ENI 2014 « Protection de l’environnement », remis à Rome par le président de la République italienne et considéré comme le plus prestigieux du domaine. Cette distinction, qui récompense ses travaux « à l’impact international et aux nombreuses retombées sociétales » a déjà honoré deux Français experts en chimie des matériaux, dont l'un est issu de l’école de pensée des matériaux hybrides (Gérard Férey, médaille d’or du CNRS 2010). Une école dont Clément Sanchez est l’un des pionniers. « J’ai joué à la fois un rôle de moteur et de fédérateur dans les années 1980, en réalisant des recherches en rupture avec les concepts développés en chimie du solide et en organisant des colloques nationaux et internationaux afin que des chercheurs issus de différentes disciplines (chimie, biologie, physique) se rencontrent, se parlent et travaillent ensemble pour innover. Le développement d’une chimie des matériaux hybrides originale nécessitait un véritable métissage culturel et disciplinaire », explique-t-il.

Pour rassembler ainsi le monde minéral et le monde organique, il était sans doute le mieux placé de tous les chimistes de sa génération, eu égard à son parcours singulier. Celui-ci débute dans un laboratoire privé, pour lequel il fait des synthèses de matières organiques : herbicides, pesticides et autres molécules sophistiquées, ce qui lui permet d’acquérir une bonne expertise dans le domaine de la synthèse organique et du génie des procédés. Puis, il reprend le chemin des Académies en intégrant un IUT de chimie, d’où il ressort major de promo. Déjà identifié comme un futur chimiste talentueux, il se voit proposer d’intégrer l’École nationale supérieure de chimie, d’où il ressort à nouveau… major de promo. À ce stade, en 1978, il est approché par plusieurs industriels. Mais, à leurs offres d’emploi et de salaires alléchants, il préfère l’Université et entame une thèse sous la direction de Jacques Livage.

Encouragé par celui qu’il considère comme l’un de ses mentors, Clément Sanchez développe, à partir des années 1980, des recherches théoriques et expérimentales de niveau très élevé. L’époque est mûre pour la chimie des matériaux hybrides. Il en sera l’un des premiers artisans, lui qui, de la chimie, connaît aussi bien les organiques, étudiés très précocement, que la version minérale, apprise au cours de sa thèse.

Cosignataire de plus de 50 brevets

Quand on lui demande « Mais pourquoi la chimie ? », c’est avec passion qu’il répond, sans hésitation : « Parce que tout est chimie ! Notre corps, les planètes, les galaxies, nos relations amoureuses, en partie. Tout n’est qu’un assemblage de molécules, un gigantesque jeu de Lego. Et jouer au Lego de la matière, c’est extrêmement amusant ! »

Les règles du jeu sont les suivantes : les molécules font office de briques élémentaires. Pour fabriquer des matériaux hybrides, Clément Sanchez et son équipe ont recours à ce qu’ils appellent « la chimie douce », c’est-à-dire à des réactions de polymérisation (enchaînement des briques élémentaires comme des perles dans un collier) dans des conditions tempérées afin de préserver le matériel organique, beaucoup plus fragile que le minéral. Avant de construire les architectures hybrides, les chimistes sélectionnent les fonctions dont ils ont besoin, en s’inspirant très souvent des matériaux du vivant.

Nous sommes en
train de créer de
nouveaux vecteurs
thérapeutiques
capables de
cibler des cellules cancéreuses
et de les détruire  localement.

Mais comment inclure ladite fonction dans l’assemblage moléculaire ? Explication avec l’une des applications des matériaux hybrides,en cours de développement dans de nombreux laboratoires, et pour laquelle Clément Sanchez est particulièrement enthousiaste : « Nous sommes en train de créer de nouveaux vecteurs thérapeutiques (des miniparticules d’environ 100 nanomètres) capables de cibler des cellules cancéreuses, de les visualiser et de les détruire efficacement et localement. Nous équipons nos vecteurs de molécules qui reconnaissent les groupements organiques surexprimés par les cellules cancéreuses, ce qui permet de cibler la tumeur. Nous rendons également ces vecteurs magnétiquement ou optiquement actifs, en les parant par exemple de toutes petites particules d’oxyde de fer ou d’or. Ainsi, lorsqu’ils arrivent à proximité de la tumeur, nous les excitons par un champ magnétique ou optique, ce qui permet d’échauffer localement la tumeur afin de la détruire. Cet échauffement peut également avoir pour effet de libérer plus aisément le médicament logé dans les très nombreux interstices de notre vecteur que nous avons volontairement rendu poreux. La chimie des matériaux hybrides permet des architectures complexes et multifonctionnelles. »

Si complexes et originales qu’elles ont valu à Clément Sanchez de cosigner plus de 50 brevets avec les tutelles de son laboratoire (CNRS, UPMC…), le CEA, l'IFPEN et des industriels, de recevoir une quinzaine de prix, d’être élu académicien dans cinq Académies des sciences (en France et en Europe). Et d’être sollicité par de nombreux laboratoires et institutions à l’étranger. « J’ai eu de nombreuses propositions émanant de l’étranger, dont certaines allaient de pair avec un salaire bien supérieur au mien, commente-t-il. Si j’ai choisi, aujourd’hui, de rester en France, c’est parce que le système de recherche français permet encore aux chercheurs de jouir d’une très grande liberté pour mener des recherches à la fois fondamentales et appliquées et de recruter de jeunes chercheurs créatifs et excellents. » De futurs grands chimistes des matériaux hybrides... Forcément optimistes.

Notes
  • 1. Chimie de la matière condensée (CNRS/UPMC/Collège de France).

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