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Qu’a donc le Rhône de si particulier ?
Hervé Piégay1 : La manière dont il a été transformé par l’action de l’homme. De tous les fleuves français, le Rhône est celui qui a fait l’objet du plus grand nombre d’aménagements. Entre 1840 et 1910, ses rives ont été équipées de digues, de casiers et d’épis afin de le canaliser et de le rendre navigable. Et, de 1948 à 1986, il a progressivement été doublé, dans certaines sections, d’une sorte de chenal artificiel, parallèle à son lit, qui a été utilisé pour alimenter en eau un ensemble de 19 barrages hydroélectriques : le « Rhône court-circuité », long de 160 kilomètres en tout. Ces travaux ont abouti à simplifier considérablement le cours du Rhône. D’un fleuve assez complexe, fait de nombreux bras, où l’on pouvait observer de fortes variations de courants entre l’amont et l’aval, on est passé progressivement à une voie unique présentant, sur toute sa longueur, presque les mêmes conditions d’écoulement.
L’industrialisation de la vallée du Rhône a-t-elle eu un impact sur le fleuve ?
H. P. : Oui, bien sûr. La présence de quatre centrales nucléaires a notamment contribué à augmenter la température de l’eau au niveau de son embouchure. Il ne s’agit pas ici de remettre en cause ces aménagements. Il ne fait aucun doute qu’ils ont globalement servi la collectivité nationale, notamment en matière d’énergie. Le problème est que leur mise en place s’est faite aux dépens des communautés riveraines et de l’écologie du fleuve, dont les écosystèmes se sont appauvris. Un développement durable du Rhône aurait fixé comme objectif de concilier les différents enjeux, économiques et environnementaux, dans l’intérêt général. Un cours d’eau en bonne santé est, par exemple, bien géré en matière de crue. Il est bordé de zones inondables peu vulnérables, où peuvent se maintenir des écosystèmes de qualité. Si, dès le départ, une telle approche avait été privilégiée, peut-être aurions-nous pu éviter des catastrophes comme la crue de décembre 2003, qui a causé plusieurs morts et entraîné d’importants dégâts matériels...
Qu’en est-il aujourd’hui de la situation du Rhône ?
H. P. : Depuis les années 1990, les gestionnaires se sont lancés dans une politique de restauration du Rhône. Le but est désormais de lui redonner les caractéristiques d’un fleuve alpin « vif et courant », là où les aménagements l’avaient transformé en un cours d’eau tranquille de plaine, lent et chaud. Trois mesures ont été prises. La première a été d’équiper les barrages hydroélectriques de l’aval du Rhône de passes à poissons afin de permettre la migration de certaines espèces comme l’apron. La deuxième a consisté à réduire les quantités d’eau passant par les canaux court-circuitant le Rhône afin d’augmenter le débit réservé du « vieux » Rhône. Cette disposition a été mise en œuvre en 2000, à Pierre-Bénite, à l’aval de Lyon ; puis, de 2003 à 2005, sur trois secteurs du Haut-Rhône, avant d’être étendue à des sites du Rhône moyen, notamment depuis 2014, au tronçon de Péage-de-Roussillon. Enfin, il a été décidé de remettre en eau certains des anciens bras du fleuve qui étaient à sec. Vingt-cinq sites ont déjà bénéficié de ce type d’aménagements et trente autres devraient être aménagés dans les prochaines années.
Cette politique de restauration a-t-elle été efficace ?
H. P. : Les gestionnaires ont très vite souhaité bénéficier d’un suivi scientifique afin de déterminer quelles pouvaient être les effets de ces mesures sur le plan écologique. Ils souhaitaient également savoir si les réponses positives, qui seraient éventuellement obtenues, seraient durables. C’est pourquoi, des équipes de chercheurs se sont impliquées dès le début de la restauration en travaillant sur quatre tronçons restaurés. Ce recul de vingt ans portant sur l’état écologique du fleuve avant et après aménagement a permis de démontrer que l’augmentation du débit réservé du « vieux Rhône » avait eu des répercussions positives sur les communautés de poissons vivant dans certaines zones. Là où la mesure avait été peu efficace, nous avons pu en déterminer la raison. De même, nous avons réussi à prouver que la restauration écologique des bras morts du cours d’eau serait durable. Cela n’était pas si évident au départ ! Toutes ces informations concernant la diversité piscicole, l’importance des communautés d’invertébrés ou la nature des plantes aquatiques nous ont permis de produire des modèles robustes, validés et uniques en leur genre de restauration écologique des fleuves. Même si beaucoup de travail reste à faire, il faut savoir que des suivis sur de si longues périodes sont très rares au niveau mondial. C’est tout à fait exceptionnel !
À voir :
Le Rhône, la renaissance d’un fleuve (réalisé par Claude-Julie Parisot et coproduit par Arte, CNRS Images et Cocottesminute Productions), le vendredi 23 janvier 2015, à 22 h 15, sur Arte.
- 1. Hervé Piégay est directeur de recherche CNRS au laboratoire Environnement, ville, société (CNRS/Univ. Lyon-III/Univ. Lumière Lyon-II/Univ. Jean-Monnet Saint-Étienne/Mines Saint-Étienne/ENTPE/ENS de Lyon/Insa Lyon). Il est également directeur de l’Observatoire homme-milieux (OHM) Vallée du Rhône et membre du comité de direction de la Zone atelier Bassin du Rhône.
Coulisses
Ces études sont menées au sein de l’Observatoire hommes-milieux (OHM) Vallée du Rhône, créé en 2010, l’un des observatoires mis en place dans le cadre de la Zone atelier consacrée à l’ensemble du bassin, créée, elle, en 2001. Des équipes multidisciplinaires d’une vingtaine de laboratoires du CNRS et d’Irstea y travaillent autour de grandes thématiques comme la géo-histoire, c’est-à-dire l’histoire des aménagements du fleuve et des interactions homme-milieux, les politiques de développement durable et le fonctionnement socio-écosystémique du corridor fluvial. À cela s’ajoutent trois grands programmes de recherches financés par des opérateurs. Ils concernent les sédiments, les échanges nappe-rivière et le suivi écologique de la restauration.
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