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Et si l’électricité prenait désormais sa source dans la nature grâce aux biopiles… Depuis dix ans, glucose, bactéries ou plantes inspirent les chercheurs à la quête d’une source d’énergie alternative et propre. Les biopiles fonctionnent comme des piles classiques à combustibles : elles transforment l’énergie chimique en énergie électrique. Seulement, à l’inverse de la pile chimique, qui n’est pas biodégradable, les composants de la biopile sont 100 % naturels. Au revoir donc manganèse et platine… des métaux lourds, rares et polluants. « Les piles classiques utilisent du platine, qui est un élément rare. Il serait par exemple impossible d’imaginer alimenter le parc automobile électrique avec ces piles, car on n’aurait pas assez de platine sur Terre. », explique Élisabeth Lojou1, directrice de recherche qui développe des biopiles depuis maintenant trois ans.
Du sucre de l’organisme pour produire du courant
Les avancées dans ce domaine se multiplient, et notamment pour des applications biomédicales. Des chercheurs de Grenoble et de Bordeaux ont réussi à mettre au point, en 2010, une pile uniquement alimentée par le glucose de l’organisme. Ce dispositif de quelques millimètres fait réagir l’oxygène et le sucre, présents dans le liquide physiologique du corps. C’est cette réaction qui génère des électrons, utilisés par la pile pour produire du courant. « C’est un procédé totalement naturel basé sur l’oxydation du glucose par l’oxygène, mais qui normalement prend beaucoup de temps… C’est pourquoi, pour faire fonctionner la pile et que l’énergie se forme assez rapidement, on place des catalyseurs sur l’électrode de la biopile : les enzymes », explique Serge Cosnier2, bio-électrochimiste à Grenoble. En collaboration avec des chercheurs de la faculté de médecine de Grenoble, ils sont les premiers et les seuls à avoir totalement implanté une pile à glucose dans un mammifère. Serge Cosnier et Philippe Cinquin 3(co-développeur de la pile) ont d’ailleurs été sélectionnés pour le prix de l’inventeur européen 2014. Une réussite qui ouvre la voie à de nombreuses applications thérapeutiques, et notamment pour l’alimentation des pacemakers. « La pile de pacemaker classique a une quantité d’énergie limitée, au bout de cinq à sept ans elle ne fonctionne plus et il faut opérer le malade pour la remplacer. À l’inverse, la biopile s’alimente continuellement via le sucre de l’organisme. Donc en théorie, tant que la personne est en vie, la pile est inépuisable ! », défend le chercheur.
La durée de vie de cette batterie fait cependant débat auprès des spécialistes. « La question qu’on peut se poser est comment maintenir pendant plusieurs années ce dispositif, sans que les enzymes de la biopile soient dégradées par le corps ? rétorque Nicolas Mano4, chargé de recherche spécialisé dans les biopiles et les biocapteurs. Pour ma part, je pense qu’elles ne pourraient pas dépasser de deux à cinq mois d’utilisation. » Après ce temps, les enzymes qui aident à la formation du courant pourraient donc se dégrader. « En laboratoire, nos biopiles fonctionnent au moins huit mois, répond Serge Cosnier. Nous travaillons actuellement à stabiliser ces enzymes. Une fois ce problème résolu, on pourra imaginer commercialiser le pacemaker à biopile dans une dizaine d’années. » Avec son équipe, Nicolas Mano développe, lui, plutôt des biopiles à glucose alimentant des petits dispositifs médicaux, à utilisation ponctuelle « comme des capteurs à glucose utilisés chez les diabétiques. On envisage dans l’avenir de les coupler avec des pompes à insuline… D’ici quatre ou cinq ans, cette biopile sera commercialisable et fonctionnelle », précise le chercheur. Pacemaker, capteur sanguin ou même sphincter artificiel, les applications des piles à glucoses sont immenses. Et ce parce que ces dispositifs ne requièrent que peu de puissance, 20 microwatts/cm2 en moyenne…
S’inspirer des micro-organismes
Mais le corps humain n’est pas le seul à inspirer les chercheurs en mal d’énergie verte… Ces dernières années, le développement de biopiles utilisant des capacités énergétiques des bactéries explose. Élisabeth Lojou et son équipe ont mis au point une pile, qui exploite des enzymes produites naturellement par des bactéries. « Cette biopile, basée sur la transformation enzymatique de l’hydrogène, est déjà aussi puissante que celle à glucose. Elle peut servir à alimenter des dispositifs externes, comme des capteurs de température », explique-t-elle. Et, contrairement aux composants des piles classiques, les composants de cette biopile sont naturellement inépuisables. « Les enzymes de notre pile sont présents dans de nombreux micro-organismes, et sont extrêmement efficaces… Notre batterie pourrait être très compétitive par rapport à la pile lambda », précise Élisabeth Lojou. Une pile écologique donc, qui possède l’avantage de recycler les composants des déchets organiques, lorsqu’elle est alimentée par l’hydrogène issu de la biomasse.
Mais l’utilisation des bactéries pour produire de l’électricité ne s’arrête pas là. Certaines biopiles fonctionnent uniquement grâce au travail des micro-organismes. C’est le cas par exemple de la batterie développée par Frédéric Barrière5. Elle est composée d’un mélange de matière organique (terreaux ou eaux usées par exemple) et de bactéries. Ces êtres vivants récupèrent l’énergie libérée par la matière organique pour la transférer à l’électrode de la pile. Ici, le catalyseur n’est donc plus seulement une enzyme, mais bien la bactérie entière. « Les bactéries présentes dans la pile se branchent toutes seules à l’électrode. C’est un phénomène fascinant car il n’y a pratiquement rien à faire, à part les alimenter en matière organique », précise le chercheur. En conduisant l’électricité, les bactéries permettent déjà d’allumer des diodes. « L’avantage de cette pile est qu’elle est pérenne et auto renouvelable, car les bactéries se divisent naturellement. La batterie fonctionne entre quatre à six ans au minimum », explique Frédéric Barrière. En Australie et en Belgique, cette biopile a déjà été expérimentée dans des stations d’épuration. Les bactéries du bassin, en plus de purifier les eaux usées, alimentent les locaux en électricité. « C’est un enjeu important, car en France, les municipalités emploient actuellement de 1 à 2 % de l’énergie de la ville juste pour faire tourner ces stations d’épuration », précise le chercheur.
Les biopiles, une alternative énergétique réelle ?
« La crise énergétique est la force motrice de l’explosion des recherches sur les biopiles ces dernières années. Nous sommes de plus en plus à la quête de procédés verts et durables », analyse Frédéric Barrière. Alors pourrait-on un jour imaginer recharger nos ordinateurs portables avec des biopiles ? Peut-être bien si on en croit les avancées de ces dernières années. En 2012, l’Union européenne a lancé le projet Plant Power. Un système basé sur une biopile végétale simple, où la photosynthèse, qui libère des électrons, permet la création d’électricité. « Les responsables du projet ont installé, sur leur toit, un parterre de plantes de 20 m2, relié à une prise, pour recharger les téléphones portables. Mais cette végétation produit peu d’énergie alors qu’elle s’étend sur une surface considérable… », précise Frédéric Barrière. L’obstacle majeur d’un développement à large échelle des biopiles reste donc la dimension. « Pour qu’une biopile alimente de gros appareils comme des voitures électriques, il faudrait en mettre énormément en série », commente Élisabeth Lojou. Un problème de taille, aussi constaté pour le développement des biopiles à glucose : « En 2007, Sony a commercialisé un mp3 alimenté par une pile composée de sucre et d’eau. Il fonctionnait bien, mais la pile faisait 20 centimètres de long ! », raconte Nicolas Mano. À cela s’ajoute la difficulté à stabiliser les enzymes… Néanmoins, les chercheurs restent optimistes. « Au début de nos recherches, nous sommes passés pour des naïfs… Mais finalement, plus on avance et plus on développe des biopiles miniaturisées et puissantes ! », conclut le chercheur.
À voir : cette vidéo d'un sapin de noël alimenté par une batterie à choux de Bruxelles...
- 1. Laboratoire bioénergétique et ingénierie des protéines (CNRS/Aix-Marseille Univ.).
- 2. Département de chimie moléculaire (CNRS/Univ. Grenoble-Alpes).
- 3. Techniques de l’Ingénierie Médicale et de la Complexité - Informatique, Mathématiques et Applications, Grenoble (Unité CNRS/ Université Joseph Fourier)
- 4. Centre de recherche Paul-Pascal (CNRS/Univ.de Bordeaux).
- 5. Institut des sciences chimiques de Rennes (CNRS/Univ. Rennes-I).
Auteur
Léa Galanopoulo est journaliste scientifique indépendante.
Commentaires
Oxydation du CO2 ?
Pansu le 5 Août 2014 à 17h59Si tous les humains mettent
berlherm le 16 Novembre 2014 à 10h07Connectez-vous, rejoignez la communauté
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