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Le plagiat à l’ère du copier-coller
Si l’on s’en tient à sa définition, le plagiat est l’appropriation d’un contenu (idée, texte, image, tableau, graphique…) sans l’attribuer à son auteur. Résultant d’une simple négligence ou d’une vraie malhonnêteté scientifique, il se pratique sous de multiples formes, qui vont de l’auto-plagiat, très répandu mais dont les conséquences ne portent que sur l’auteur lui-même, jusqu’au véritable pillage intellectuel, qui constitue une fraude aussi grave que la fabrication ou la falsification de données. Des pratiques que les nouvelles technologies permettent de combattre en même temps qu’elles les favorisent : d’un côté, Internet met à disposition tout un tas de données faciles à copier-coller, de l’autre, les logiciels anti-plagiat dont ont commencé à s’équiper les établissements et les éditeurs permettent une détection des cas les plus grossiers. Mais ils sont incapables de tout déceler, tant les algorithmes de détection sont simples à tromper : en usant et abusant de synonymes et de périphrases, en ajoutant des espaces insécables, des coquilles ou en citant de manière inappropriée ses sources.
D’étonnantes coïncidences…
L’affaire Forget/Pangou1, est un cas récent et particulièrement pervers de plagiat. Trouvant familier un manuscrit qui lui était envoyé pour évaluation, Patrick Jansen, un chercheur néerlandais, s’est rendu compte que le texte plagiait à 90 % un article qu’il avait coécrit en 2007 avec Pierre-Michel Forget, professeur au Muséum national d’histoire naturelle et spécialiste des écosystèmes forestiers tropicaux. L’article original décrivait les conséquences de la chasse des frugivores sur la dispersion des graines d’un arbre amazonien. Le plagiaire, lui, évoquait une autre région, un autre arbre, mais décrivait mot pour mot le même mécanisme, avec les mêmes tableaux et schémas à l’appui, omettant simplement de citer sa source… Le pillage se conjuguait donc ici avec la falsification de données. Après ce flagrant délit, il s’est avéré que le même auteur avait publié les années précédentes de nombreux articles eux aussi glanés ailleurs. Toutes ces publications fautives ont finalement été rétractées.
Les plagiés mal protégés
Le simple copier-coller de texte sans citation de la source originale n’est toutefois que la manifestation la plus grossière, et la plus facile à combattre, du plagiat. Le vol d’idée qui le caractérise peut en effet s’effectuer de manière beaucoup plus sournoise, notamment quand la source n’est pas publique : projets de recherche présentés en comité restreint, résultats encore non soumis à publication mais évoqués au cours de séminaires informels, etc. L’un des plus scandaleux exemples de cette forme de plagiat fut la publication, en 1953, de l’article dans lequel James Watson et Francis Crick2 révélaient la structure en double hélice de l’ADN. Or ces deux chercheurs devaient cette découverte aux clichés d’ADN que Rosalind Franklin avait obtenus par diffraction aux rayons X. Ces derniers seront utilisés à son insu et sans la citer dûment. Watson et Crick obtiendront le prix Nobel de médecine en 1962, alors que Franklin était décédée, et sa contribution réelle à la découverte ne sera finalement révélée que par Maurice Wilkins, le troisième lauréat.
à la recherche
dans son ensemble
qui est grave,
par l’immobilisme
qu’il induit et
par la suspicion
qu’il jette sur
les chercheurs.
« De fait, l’impact de ces malversations dépasse largement le préjudice fait à l’individu plagié : c’est le tort porté à la recherche dans son ensemble qui est grave, par l’immobilisme qu’il induit et par la suspicion qu’il jette sur les chercheurs », estime la juriste Geneviève Koubi, membre du Centre d’études et de recherches de sciences administratives et politiques3. Ancien maître de conférences à l’université Paris-VIII, Jean-Noël Darde traite depuis 2009 dans un blog des cas emblématiques de plagiat. Son constat est amer : « Même pour les thèses où le plagiat est avéré, l’institution universitaire – y compris ses commissions de déontologie et d’éthique – est à la fois juge et partie ; que ce soit par solidarité confraternelle, ou simplement pour éviter de nuire à l’image de l’université. En pratique, le plagié reste très mal protégé, surtout dans le cas où le plagiaire est soutenu par son administration. »
La trop forte interdépendance dans des domaines de recherche pointus favorise les complicités passives. La nature collective de la recherche scientifique et le processus même d’évaluation par les pairs rendent en effet la dénonciation difficile, notamment quand il s’agit d’emprunts d’idées en projet, donc non publiées et non protégées. D’autant que, si le plagiaire encourt des sanctions disciplinaires, voire juridiques – annulation de thèse et rétractation d’article –, ce sont souvent les dénonciateurs du plagiat qui se retrouvent eux-mêmes sur la sellette. Le temps perdu à la détection des plagiats, les frais éventuels et la complexité des procédures encouragent ainsi la résignation des victimes. Le site Web Plagiat et fraude scientifique, tenu depuis dix ans par Michelle Bergadaà, professeure à l’université de Genève et experte internationale en matière de plagiat académique, recense de nombreux cas : « Heureusement, une cinquantaine de cas annuels soumis à notre site se résolvent par une conciliation. Seuls entre cinq et dix cas chaque année impliquent le montage d’une commission ad hoc d’experts. »
Une responsabilité individuelle et collective
L’un des problèmes est que la gravité du plagiat n’est pas formalisable par des lois de propriété intellectuelle. Étonnamment, la justice française passe par le registre commercial : le plagiat doit être qualifié de « contrefaçon » pour être sanctionné… Faudrait-il donc inventer une nouvelle loi ?
encore en France
un dispositif
académique
incontestable
de détection
et de sanction
du plagiat.
« Pas si simple ! », répondent les juristes Geneviève Koubi et Gilles J. Guglielmi, auteurs en 2012 d’un ouvrage collectif4 et d’un colloque à l’origine du site www.plagiat-recherche.fr. Ils préfèrent en appeler à la responsabilité individuelle et collective, considérant que la déontologie et les bonnes pratiques devraient être plus efficaces que des lois ajoutées au mille-feuille juridique déjà existant. Quelle place alors pour le préjudice moral dans une profession aussi particulière que celle de chercheur et quelle place pour le « délit intellectuel » dans les textes juridiques ?
Pour Michelle Bergadaà, « il manque encore en France un dispositif académique incontestable de détection et de sanction du plagiat, clairement identifié, comme il en existe, par exemple, au Luxembourg et en Suisse ». Pour Lucienne Letellier, experte auprès du comité d’éthique du CNRS, « c’est l’ensemble de la structure de la recherche qu’il faudrait reconsidérer, la pression à la publication engendrant mécaniquement ce phénomène, et revoir le niveau d’interdépendance et de vulnérabilité des carrières. Mais, depuis quelques années, une prise de conscience des institutions a permis des actions préventives et répressives ». Reste que le malaise subsiste, touchant à la représentation sociale même du rôle de la recherche. Les guides de bonne conduite peuvent amorcer une prise de conscience, mais suffiront-ils à changer les usages ?
Sur le même sujet :
« Fraude : mais que fait la recherche ? »
« Sept cas célèbres de scientifiques accusés de fraude »
« Osons parler de la fraude scientifique »
« De l’importance de l’intégrité en recherche »
- 1. « Predatory Publishers and Plagiarism Prevention », P. A. Jansen et P.-M. Forget, Science, 2012, 336 (6087) : 1380.
- 2. « Molecular Structure of Nucleic Acids », J. D. Watson et F. H. C. Crick, Nature, 1953, 171 : 737–738.
- 3. Unité CNRS/Univ. Paris-II.
- 4. Le Plagiat de la recherche scientifique, Gilles J. Guglielmi et Geneviève Koubi (dir.), LGDJ, Lextenso éditions, 2012.
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Auteur
Lydia Ben Ytzhak est journaliste scientifique indépendante. Elle travaille notamment pour la radio France Culture, pour laquelle elle réalise des documentaires, des chroniques scientifiques ainsi que des séries d’entretiens.
À lire / À voir
Le Plagiat de la recherche scientifique, Gilles. J. Guglielmi et Geneviève Koubi (dir.), LGDJ, Lextenso éditions, 2012, 232 p., 41 €
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