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Les voitures moléculaires de retour sur la piste

Les voitures moléculaires de retour sur la piste

24.02.2022, par
Mis à jour le 09.06.2022
Les nanobolides des huit équipes sélectionnées pour la seconde édition de la NanoCar Race.
La NanoCar Race, plus petite course automobile au monde, est de retour à Toulouse les 24 et 25 mars. Pour l’occasion, huit équipes internationales sont au départ de la compétition. Christian Joachim, directeur de recherche au CNRS et organisateur de l’événement, en détaille les enjeux.

Cinq ans après la première NanoCar Race, cette course pour le moins singulière fait enfin son retour au Centre d’élaboration de matériaux et d’études structurales1 (Cemes). Pourquoi une si longue attente ?
Christian Joachim2.
L’organisation de la toute première course de molécule-voitures, en avril 2017, avait nécessité quatre ans de préparation. L’appel à candidature pour cette seconde édition a été lancé en mars 2018 dans la perspective d’organiser la compétition en 2020, à Toulouse. À la fin de l’année 2019, le comité international d’organisation avait retenu onze équipes sur les 23 déclarations d’intention reçues de tous les continents. Tout était prêt pour que la course se déroule au printemps 2020. Malheureusement le Covid-19 est arrivé sans crier gare, nous obligeant à mettre en stand-by l’événement jusqu’en juillet 2021. À l’issue de cette longue pause, il ne restait plus que huit équipes inscrites. Nous les avons auditionnées par visioconférence tout au long du mois de septembre 2021 avec l’appui des ambassades de France des pays concernés et des bureaux du CNRS à l’étranger pour certifier le sérieux de chaque équipe engagée. Les huit équipes sont venues à Toulouse le 23 novembre 2021 pour présenter officiellement leur voiture moléculaire durant le C’NANO 2021. Nous avons alors fixé ensemble la date de la course.

Les huit équipes sélectionnées pour la NanoCar Race II ont été présentées lors du symposium C’NANO à Toulouse, le 23 novembre 2021.
Les huit équipes sélectionnées pour la NanoCar Race II ont été présentées lors du symposium C’NANO à Toulouse, le 23 novembre 2021.

En quoi consiste le projet MEechanics with MOlecule(s) (Memo) dans lequel s’inscrit cette nouvelle édition de la NanoCar Race ?
C. J. Pour pouvoir assurer le financement de cet évènement, nous avons décidé d’en faire un livrable du projet H2020 Memo qui a démarré en octobre 2017. Ce projet européen regroupe six partenaires académiques3. Il a pour objectif de comprendre les mouvements mécaniques de rotation d’une seule molécule-machine supportée par une surface en construisant, par exemple, des engrenages d’un nanomètre (nm) de diamètre disposant d’un axe de rotation constitué d’un seul atome. Le développement de molécules-moteurs fait également partie des objectifs de Memo. Ce second volet consiste entre autres à mesurer la force motrice d’une seule molécule-moteur. Le fait d’adosser la seconde édition de la NanoCar Race à ce projet permet de diffuser plus largement les connaissances scientifiques qui découlent de la maîtrise d’une unique molécule mécanique en s’affranchissant de l’effet de moyenne des expériences en solution.

Comment fonctionne le microscope à effet tunnel qui servira à capter des images de la course et fournira le carburant aux molécules-voitures ?
C. J. Nous utilisons en premier lieu la fonction imagerie du microscope à effet tunnel ou STM pour Scanning Tunneling Microscope. La pointe extrêmement fine terminée par un seul atome de cet instrument permet de balayer la surface d’un matériau tout en maintenant ce dernier atome à moins d’un nanomètre de la surface. À cette distance, un courant dit « tunnel » de l’ordre de 1 nanoampère pour 1 volt de tension appliquée s’établit. Ce faible courant converti en une tension amplifiée permet de stabiliser la distance pointe-surface sans toucher cette surface. Il est alors possible de construire, ligne par ligne, une image de la surface observée.

Le nanodragster suisse de la première course était propulsé par les impulsions électriques du microscope STM appliquées sur son moteur situé à la queue de la molécule (en bleu). Selon la partie activée, le dragster se déplace dans des directions différentes.
Le nanodragster suisse de la première course était propulsé par les impulsions électriques du microscope STM appliquées sur son moteur situé à la queue de la molécule (en bleu). Selon la partie activée, le dragster se déplace dans des directions différentes.

Pour une meilleure précision, ces balayages doivent être réalisés à une température proche du zéro absolu – autour de -270 °C. Cela évite que les atomes qui constituent la surface de la piste ne soient chahutés par l’agitation thermique. Une fois sa molécule-voiture déposée sur la piste, le pilote utilise alors la pointe du STM pour lui apporter l’énergie qui la fera avancer. Pour ce faire, le pilote peut alors augmenter la tension entre la pointe et la surface ou bien laisser cette dernière au même endroit sur la molécule-voiture pendant un certain laps de temps, entre 100 millisecondes et quelques secondes. Dans ce dernier cas de figure, le petit effet inélastique du courant tunnel au travers de la molécule-voiture permet d’augmenter l’énergie vibrationnelle de certains de ses degrés de liberté mécanique ce qui la fait avancer pas à pas, en général de quelques centaines de picomètres par coup (1 pm = 10−12 m, Ndlr).

Pouvez-vous décrire la structure du circuit sur lequel évolueront les nanocars ?
C. J. Le circuit est élaboré à la surface d’un cristal d’or pur – ici une pastille de 8 mm de diamètre – parcourue naturellement par de petits sillons. Ces plissements, qui résultent de la minimisation de l’énergie de surface du cristal d’or, décrivent des lignes droites de 100 à 200 nm et forment de véritables glissières pour les molécules-voitures. D’une pastille d’or à l’autre, la longueur des sillons peut changer ainsi que la manière dont se répartissent les sillons de petite et de grande largeur, celle-ci variant généralement entre 4 et 10 nm.

Piste en or sur laquelle évoluent les molécules-voitures, à l’intérieur d’un microscope à effet tunnel.
Piste en or sur laquelle évoluent les molécules-voitures, à l’intérieur d’un microscope à effet tunnel.

Cet agencement dépend des méthodes de préparation employées par chaque concurrent. Au bout de chaque ligne droite d’un sillon donné, des groupes d’atomes de la surface se décalent légèrement ce qui forme un petit virage de 20 à 30° de courbure pour rejoindre la ligne droite suivante. La courbure permettant de passer d’une ligne droite à une autre mesure entre 4 et 5 nm. C’est à ce niveau que se situe la principale difficulté de la course car une molécule-voiture peut facilement se trouver bloquée dans un virage. Lors de la première NanoCar Race, les pilotes se sont aperçus que la manière la plus efficace de négocier un virage consistait à le contourner par la droite ou la gauche en passant par le sillon suivant.

En bas, image expérimentale (35 x 50 nm), obtenue en microscopie à effet tunnel, de la surface d’or avec 4 pistes complètes en parallèle enregistrée sur le LT-STM du CEMES à Toulouse. La largeur d’une piste varie entre 4 et 6 nm. En bas, image en microscopie à effet tunnel (2 x 5 nm) des atomes d’or au bord de la piste 2.
En bas, image expérimentale (35 x 50 nm), obtenue en microscopie à effet tunnel, de la surface d’or avec 4 pistes complètes en parallèle enregistrée sur le LT-STM du CEMES à Toulouse. La largeur d’une piste varie entre 4 et 6 nm. En bas, image en microscopie à effet tunnel (2 x 5 nm) des atomes d’or au bord de la piste 2.

Cette année, huit équipes prendront part à la compétition4. À quoi ressemblent leurs nanocars ?
C. J. Certaines molécules-voitures, à l’image de celle de l’Institut de chimie de Strasbourg, sont dotées de deux roues et d’un châssis central. D’autres, comme celle de l’équipe espagnole de l’Instituto Madrileño de Estudios Avanzados (IMDEA), possèdent quatre roues intégrées à un châssis. Les molécules-voitures des équipes japonaise et franco-japonaise disposent quant à elles de deux roues pourvues de pales et d’un pied situé à l’arrière pour prémunir leur châssis d’un écrasement sur la surface de la piste. Un petit groupement chimique situé à l’avant de la molécule permet en outre d’embarquer un moment dipolaire sur le châssis. Le prototype de l’université de l’Ohio est doté de deux énormes roues ancrées sur un étroit châssis. Quelle que soit la structure chimique de la nanocar, le châssis reste une structure incontournable. En rehaussant toute la structure moléculaire sur laquelle viennent se fixer les roues, les pales ou les pattes, le châssis permet ainsi de diminuer les interactions de la molécule-voiture avec la surface de la piste.

Le châssis rehausse la structure moléculaire, ici celle de l’équipe franco-japonaise Toulouse-Nara, et permet ainsi de diminuer ses interactions avec la surface de la piste.
Le châssis rehausse la structure moléculaire, ici celle de l’équipe franco-japonaise Toulouse-Nara, et permet ainsi de diminuer ses interactions avec la surface de la piste.

Si la majorité des nanocars s’appuient désormais sur le moment dipolaire pour avancer, quelques-unes misent encore sur l’effet tunnel inélastique. Qu’est-ce qui distingue ces deux solutions ?
C. J. En équipant leur nanocar d’un moment dipolaire, la plupart des équipes espèrent parvenir à l’orienter dans une direction précise en utilisant le champ électrique entre la pointe du microscope STM et la surface du circuit. Le moment dipolaire offre aussi la possibilité d’attirer la voiture avec la pointe du microscope lorsque cette dernière est placée à bonne distance.

L’obligation d’effectuer un slalom durant la course a pour objectif de montrer le haut degré de maniabilité atteint par les nouvelles générations de molécules-voitures.

L’objectif est ici de parcourir une plus grande distance à chaque impulsion de tension. L’effet inélastique est un phénomène plus délicat à maîtriser. Il consiste à viser avec la pointe du microscope une zone de la molécule avec une précision d’une dizaine de picomètres. Cette stratégie permet de contrôler de manière beaucoup plus fine la trajectoire de sa molécule-voiture. Cette année, l’obligation d’effectuer un slalom durant la course a pour objectif de montrer le haut degré de maniabilité atteint de nos jours par les nouvelles générations de molécules-voitures. 

Si cette obligation a fait l’objet de vifs débats scientifiques parmi les concurrents, elle a surtout permis de dynamiser l’amélioration des designs moléculaires. Nous avons donc hâte de pouvoir vérifier qui, du moment dipolaire ou de l’effet inélastique, sera le plus compétitif dans cette épreuve de slalom.

Quelles évolutions ont été apportées par les organisateurs de la course ?
C. J. Le règlement de cette nouvelle édition interdit tout d’abord de faire avancer sa voiture en la poussant mécaniquement directement avec la pointe du microscope. À la différence de la première édition, où quatre des six équipes sélectionnées utilisaient le microscope du Cemes constitué de quatre STM, chaque concurrent emploiera cette fois-ci son propre microscope STM qu’il pilotera à distance depuis Toulouse via internet. Les équipes devront également fournir toutes les huit minutes environ une image haute définition de leur nanocar à l’aide du microscope. Cette nouvelle règle baptisée « image par image » par le comité international d’organisation doit leur permettre de mieux négocier les virages le long d’un même sillon.

Les pilotes contrôlent les nanocars et leur avancée sur les pistes depuis des écrans de contrôle.
Les pilotes contrôlent les nanocars et leur avancée sur les pistes depuis des écrans de contrôle.

Comme en 2017, la compétition sera retransmise en direct sur Internet. Des nouveautés sont-elles au programme dans ce domaine ?
C. J. Les images expérimentales résultant de la règle « image par image » permettront à chaque équipe de réaliser un petit film d’animation pour retracer toutes les heures la trajectoire à quelques picomètres près de chaque molécule-voiture. Ces séquences vidéo seront diffusées sur la chaîne YouTube NanoCar Race de l’événement ce qui permettra au public d’apprécier la trajectoire de chaque voiture. À la fin de l’épreuve, prévue pour durer 24 heures, sera désignée vainqueur l’équipe qui aura parcouru la plus grande distance le long d’un sillon et de ses virages avec la même molécule-voiture. Comme la physionomie de la piste en or devrait varier sensiblement d’un concurrent à l’autre, un bonus sera accordé aux équipes dont le parcours comportera le plus de virages.

Après 24 heures d'épreuve, l’équipe désignée vainqueur sera celle qui aura parcouru la plus grande distance le long d’un sillon et de ses virages avec la même molécule-voiture.

Au-delà de la compétition, la NanoCar Race offre l’opportunité de faire avancer la recherche sur les machines moléculaires.
C. J. Cette course vise en effet à décrypter les phénomènes physico-chimiques qui amènent une molécule-voiture à avancer de manière contrôlée sur une surface. En 2017, lors des sessions d’entraînements de la première NanoCar Race, les équipes japonaise et allemande étaient parvenues à faire avancer leur voiture par effet tunnel inélastique sans aucune difficulté. Mais le jour de la course, leur véhicule s’est figé de manière définitive sans que l’on soit, jusqu’ici, parvenu à l’expliquer.

Quels sont justement les objectifs scientifiques de cette nouvelle édition ?
C. J. Elle pourrait apporter un éclairage moderne sur l’expérience de pensée du « démon de Maxwell ». Il s’agit d’une hypothèse émise en 1870 par le physicien écossais James Clerk Maxwell selon laquelle il serait possible de violer le second principe de la thermodynamique. Pour réussir cette prouesse, Maxwell faisait intervenir un petit être imaginaire dont la taille devait être inférieure à l’extension spatiale des fluctuations thermiques de la surface censée l’accueillir. De nos jours, ce petit être minuscule pourrait avoir la structure chimique d’une molécule-moteur qui fournirait du travail en captant exclusivement de l’énergie à partir de la surface qui lui sert de support5. Pour un mouvement de translation, il s’agirait plutôt d’une molécule-voiture empruntant uniquement de l’énergie à la surface dans la perspective d’avancer toujours dans la même direction. Quoi qu’il en soit, cette nouvelle NanoCar Race pourrait contribuer à passer de l’hypothèse du démon à l’expérimentation proprement dite en ouvrant la voie au développement de futures molécules-machines.

Par ailleurs, la course verra s’affronter pour la première fois deux types de molécules-machines : celles équipées d’un moment dipolaire reposant sur un mode de propulsion classique et d’autres dotées de moteurs à effet tunnel inélastique relevant de la physique quantique. Grâce à l’analyse détaillée des trajectoires de ces deux catégories de nanovoitures, nous devrions pouvoir vérifier si un effet quantique intrinsèque comme l’effet tunnel inélastique autorise une meilleure maniabilité sans trop consommer d’énergie. ♦

A voir (Mise à jour du 9 juin 2022) : un reportage sur la course et ses coulisses
 

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2022

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Notes
  • 1. Unité CNRS/Université Toulouse Paul-Sabatier/INSA Toulouse.
  • 2. Directeur de recherche au CNRS, Groupe NanoSciences (GNS) au Cemes.
  • 3. Outre le Cemes, le projet Memo réunit la Technische Universität Dresden (Allemagne) qui coordonne le projet, l’Agencia estatal consejo superior de investigaciones cientificas (Espagne), l’université de Graz (Autriche), l’université de Liège (Belgique) et l’université de Manchester (Royaume-Uni)
  • 4. Les huit équipes sélectionnées cette année sont : (1) l’université Toulouse Paul-Sabatier, le Cemes (France) et le Nara Institute of Science and Technology (Japon), (2) les universités de Rice et Graz (États-Unis et Autriche), (3) la Technische Universität et le Center for Advancing Electronics Dresden (Allemagne), (4) l’Ohio University (États-Unis). (5) l’Institut de chimie de l’université de Strasbourg avec l’Institut de physique et de chimie des matériaux de Strasbourg (France), (6) la Donostia International Physics Center de San Sebastian et l’Universidade de Santiago de Compostela (Espagne), (7) l’International Center for Materials Nanoarchitectonics du National Institute for Materials Science de Tsukuba (Japon), (8) l’IMDEA Nanociencia de l’université de Madrid (Espagne) et l’université de Linköping (Suède).
  • 5. Ce thème de recherche sera exploré dans le cadre du tout nouveau projet européen ESiM (Energy storage in molecules) dont Christian Joachim assure la coordination scientifique.
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Auteur

Grégory Fléchet

Grégory Fléchet est né à Saint-Étienne en 1979. Après des études de biologie suivies d’un master de journalisme scientifique, il s’intéresse plus particulièrement aux questions d’écologie, d’environnement et de santé.

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