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Présidentielle américaine: un scrutin électrique
Quelle que soit l’issue du scrutin du 8 novembre, peut-on d’ores et déjà qualifier la présidentielle américaine 2016 d’élection historique ?
Romain Huret1 : Historique, je ne sais pas, mais atypique, sans aucun doute. Je n’ai pas le souvenir d’une élection marquée à ce point par les invectives, les menaces, les accusations de fraude, l’étalage d’affaires privées… Lors des débats télévisés, les échanges entre les candidats, d’ordinaire, sont policés. Là, l’ambiance a été électrique, à chaque fois. Dans le passé, il y a eu de fortes tensions et des attaques très violentes sur des thèmes de campagne. En 1964, par exemple, le démocrate Lyndon Johnson a caricaturé le républicain Barry Goldwater sous les traits d’un va-t-en-guerre dangereux. La première publicité négative a alors vu le jour : une petite fille enlevait les pétales d’une fleur pendant qu’une « voix off » égrenait le compte à rebours nucléaire. Le message de ce spot publicitaire (« Daisy Ad ») était simple : si vous votez Républicain, le monde court à sa perte. Ce que je trouve étonnant dans cette campagne 2016, ce sont les attaques ad hominem (une voleuse, d’un côté et un fou, dans l’autre) et la détestation qui a suinté pendant les débats à la télévision. Cela devrait conduire à une réflexion générale sur la manière de faire de la politique dans une démocratie et les limites à ne pas franchir.
Donald Trump a remporté les primaires républicaines en terrassant une quinzaine de rivaux. Comment s’explique sa popularité auprès de l’électorat ?
R. H. : Trump a profité de la crise de confiance dont souffrent les institutions et les corps intermédiaires (Congrès, justice, police, système éducatif…) dans l’opinion, cette méfiance s’exprimant différemment selon les groupes sociaux.
et les corps intermédiaires.
Surtout, alors que les enjeux culturels (la fin des valeurs, de l’autorité et de la domination blanche et masculine, le mariage homosexuel…) étaient jusqu’ici au centre de la plate-forme électorale du Parti républicain, dont une frange très importante est favorable au libre-échange, l’homme d’affaires a fait des dommages produits par la dérégulation de l’économie, l’axe central de sa campagne.
Trump, qui se veut le candidat anti-système, n’a de cesse de dénoncer la mondialisation « qui ne profite qu’aux élites » et de rappeler que 43 millions d’Américains bénéficient de coupons alimentaires. D’où son succès, malgré ses outrances et ses remèdes simplistes, auprès des ouvriers chômeurs ou appauvris par la crise économique de 2008.
Les questions d’éducation expliquent-elles également le profond désir de changement exprimé par une grande partie de l’électorat américain ?
R. H. : Oui. Ce n’est pas un hasard si les deux candidats surprises de cette élection, le républicain Donald Trump et le démocrate Bernie Sanders, ont engrangé de multiples soutiens, l’un en se déclarant le porte-parole des « sans-diplômes », l’autre en prônant la gratuité totale des études supérieures. Pour les enfants des familles les moins riches, accéder à l’establishment grâce à l’obtention d’un diplôme universitaire est en effet devenu un véritable parcours du combattant. La plupart des étudiants doivent s’endetter lourdement pour s’acquitter de leurs frais de scolarité (le poids de la dette étudiante avoisine actuellement 1 300 milliards de dollars, soit environ 1 000 milliards d’euros). Et la panne de l’ascenseur social dans l’enseignement supérieur fait que la tranche des 30-45 ans a de moins en moins accès à la propriété, ce qui représente une grave régression sociale quand on sait à quel point être propriétaire de son logement fait partie du rêve américain.
Le populisme qu’est le « trumpisme » risque-t-il, à terme, de faire exploser le Parti républicain ?
R. H. : Le Grand Old Party ne sortira pas indemne de cette campagne électorale. Il va devoir faire son aggiornamento programmatique. Trump, en exprimant le ressentiment de millions d’électeurs contre les conséquences sociales de la mondialisation, va contraindre les Républicains à réfléchir au credo économique qu’ils défendent depuis des années.
Et, comme le pays a toujours conservé son bipartisme malgré des crises autrement plus graves que le phénomène Trump (guerre civile au XIXe siècle, guerres mondiales au XXe…), il survivra. De même, le Parti démocrate va devoir répondre d’une manière convaincante aux attentes de son aile gauche incarnée par le mouvement Occupy Wall Street lancé en septembre 2011 pour dénoncer les abus du capitalisme financier, et la candidature de Sanders. Quant à l’idée de réformer la mécanique des primaires pour empêcher l’émergence de candidats indépendants comme Trump ou Sanders, cela ne ferait que renforcer l’image de partis sourds aux revendications de leurs bases et confisquant la colère du peuple américain.
Quelle place l’appareil médiatique en général, et les dispositifs numériques (réseaux sociaux, blogs, sites Internet…) en particulier, occupent-ils dans cette élection hors normes ?
R. H. : Il faut rappeler que les médias ont été dérégulés aux États-Unis. La règle d’égalité stricte du temps de parole entre les candidats n’existe donc pas. Une chaîne de télévision peut très bien faire la promotion exclusive d’un candidat, à l’instar de la très conservatrice Fox News. Par ailleurs, le développement exponentiel d’Internet renforce la perte de légitimité des grands médias nationaux et conforte l’hyperfragmentation des sources d’information, souvent au détriment de la vérité. Par exemple, dans les États du Sud-Ouest, toute une série de médias locaux alimentent un discours anti-immigration fantasmé et la plupart du temps fallacieux.
Barack Obama quittera la Maison Blanche début 2017. Quel bilan peut-on tirer, à chaud, de sa présidence, tant sur le plan intérieur qu’extérieur ?
R. H. : À quelques mois du terme de son second mandat, le premier président noir de l’histoire des États-Unis reste soutenu par un peu plus de 50 % des Américains, ce qui constitue un record. Reste que les élections de mi-mandat, en 2010 et en 2014, ont privé les démocrates du contrôle de la Chambre des représentants, puis du Sénat. Ces revers électoraux ont posé de sérieux problèmes à l’administration Obama pour réformer, entre autres, le système d’immigration américain et le système de couverture maladie. Sans doute Obama, par ailleurs, aurait-il pu faire plus pour les Afro-Américains qui étaient 59 %, en 2008, à se dire confiants dans l’évolution des relations raciales aux États-Unis. Sur la scène internationale, il a mis un terme à l’aventurisme et l’unilatéralisme des années Bush dont les conséquences désastreuses affectent désormais le monde entier.
L’ère Obama représente-t-elle une réelle rupture ?
R. H. : Je ne crois pas aux ruptures et aux « tournants de l’histoire ». Si la première élection d’un Afro-Américain est historique, le corps social ne se transforme pas d’un coup de baguette magique. Les chantiers pour le ou la futur(e) président(e) seront nombreux. Les Afro-Américains du mouvement Black Lives Matter (« Les vies noires comptent ») et les foules en adoration devant Trump devront vivre ensemble et reposer les bases du contrat social états-unien.
Une conférence sur les élections américaines se tiendra à l'EHESS le 8 novembre à 20h30 en présence de Romain Huret (inscription et liste des intervenants ici)
LA NUIT AMÉRICAINE 2016 : REGARDS CROISÉS SUR LES ÉTATS-UNIS LA VEILLE DES ÉLECTIONS
- 1. Directeur adjoint de l'unité de recherche « Mondes américains » (CNRS/EHESS/Univ. Paris-Ouest Nanterre La Défense/Univ. Panthéon-Sorbonne) et directeur du CENA (Centre d'études nord-américaines).
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Auteur
Philippe Testard-Vaillant est journaliste. Il vit et travaille dans le Sud-Est de la France. Il est également auteur et coauteur de plusieurs ouvrages, dont Le Guide du Paris savant (éd. Belin), et Mon corps, la première merveille du monde (éd. JC Lattès).