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Sur le chemin de l’école, comment les enfants se déplacent en ville
Quel est l’objet du programme de recherche « Mobi’Kids »1?
Sandrine Depeau2. L’idée est de comprendre comment les enfants se déplacent et deviennent autonomes en ville. C’est un sujet sur lequel je travaille depuis ma thèse, soutenue en 2003. À l’époque, j’ai observé que cet apprentissage ne dépendait pas seulement de la taille d’une ville, de ses aménagements ou du type de lieu fréquenté par exemple. Ces paramètres sont certes importants, mais l’environnement familial, social ou encore les modes de vie jouent aussi un rôle. Ce que nous tentons de définir dans le programme sous la notion de « cultures éducatives urbaines ».
Dans cet esprit, nous avons voulu montrer que l’acquisition de l’autonomie dépendait de multiples facteurs, tout en évaluant le poids de chacun de façon aussi fine que possible. À terme, l’ambition est de mieux comprendre comment les enfants grandissent et peuvent investir une ville. L’enjeu est aussi sanitaire, puisque nous constatons qu’on peut les inciter à choisir des modes de transports actifs – comme le vélo – pour lutter contre la sédentarité et les risques associés, par exemple le surpoids.
Comment avez-vous étudié leurs parcours ?
S. D. Pendant près de deux ans, nous avons scruté les déplacements d’écoliers et de jeunes collégiens dans près de quatre-vingt-dix familles, habitant le centre-ville de Rennes ou la petite commune d’Orgères, à 20 kilomètres au sud. Équipés de capteurs GPS puis interrogés sur leurs traces quotidiennes à l’aide de tablettes, parents et enfants ont offert une fenêtre inédite sur les déplacements quotidiens et les trajets scolaires en particulier. Certains ont même participé à des « parcours commentés » munis d’appareil photo puis de caméras, car il était d’important d’appréhender la réalité de leurs déplacements, au-delà des comportements enregistrés et déclarés.
D’autres facteurs ont fait l’objet d’une attention particulière, comme le passage de l’école primaire au collège, le rôle des cultures éducatives urbaines ou encore les incitations à faire plus de vélo. Les données recueillies confirment que l’acquisition de l’autonomie dépend tout à la fois de cultures et de normes éducatives, que d’aménagements territoriaux ou encore de la politique de la ville. Des familles peuvent par exemple interdire les trajets seul avant un certain âge pour des questions d’éducation, mais aussi parce que la dépendance à l’automobile est très présente dans leur environnement.
Que peuvent apporter ces résultats aux acteurs de la politique de la ville et de la mobilité ?
S. D. Notre comparaison entre Rennes et la petite ville d’Orgères confirme que le réseau automobile reste dominant à mesure que l’on s’éloigne des grandes métropoles. À Rennes, les écoliers sont plus rapidement amenés à se déplacer seuls et en marchant. À Orgères, en semaine, ils vont souvent à l’école en voiture avec leurs parents, principalement pour des raisons pratiques. Dans le détail cependant, la réalité est moins clivée qu’elle ne le paraît, en particulier lors du passage en classe de sixième. D’une part, pour les jeunes orgerois, l’accompagnement en voiture diminue fortement, beaucoup optent plus souvent pour les transports en commun.
D’autre part, quand on leur a proposé d’expérimenter un trajet à vélo, les familles d’Orgères ont paradoxalement été plus nombreuses à accepter, tandis que celles de Rennes trouvaient les voies insuffisamment sécurisées. Il y a donc bien une forte imbrication entre les cultures familiales, l’aménagement de la mobilité en ville et le degré d’autonomie auquel les enfants peuvent accéder. Du côté des décideurs publics, les enjeux de sécurisation des trajets et de démotorisation des villes apparaissent comme majeurs.
Du côté des parents, comment favoriser l’autonomie de leurs enfants ?
S. D. Tout dépend de ce que l’on entend par là. Si l’on considère que c’est « faire un trajet seul », les écoliers de Rennes semblent spontanément plus autorisés dans cette indépendance de déplacements. Mais notre étude montre que c’est plus compliqué que ça : ne pas pouvoir choisir d’autres modes de transports peut être considéré comme une forte restriction. De ce point de vue, les jeunes d’Orgères font certes beaucoup de trajets dans la voiture de leurs parents, mais dans d’autres circonstances ils ont le droit de les faire seul, à pied, en transports en commun ou à vélo. Il n’est donc pas absurde de penser que cette autonomie s’apprend dans l’expérience d’une diversité de modes. Par ailleurs, l’autonomie c’est aussi pour l’enfant savoir faire face à des situations inattendues, inconnues. Et de manière générale, les parents peuvent être incités à prendre un minimum de risques si leur écosystème s’avère adapté et rassurant.
Cette latitude évolue-t-elle d’une génération à l’autre ?
S. D. Oui bien sûr, il est d’ailleurs relativement récent de considérer qu’un « bon parent » n’accompagne pas ses enfants s’il peut leur permettre de faire le trajet seul. Dans les années 2000 par exemple, il était plus souvent mal vu de laisser seuls des jeunes enfants dans l’espace public. Dans certains pays, comme l’Italie, certaines réglementations interdisaient même encore récemment aux écoles de les laisser partir sans un adulte. Si on remonte encore plus loin en France, dans les années 1980 par exemple, il n’était pas rare que des petits citadins soient mis dans un train et fassent un trajet seuls, ou que ceux habitant les campagnes sillonnent leur département à vélo. La culture parentale s’inscrit toujours dans un environnement fait de normes et de valeurs, de règles formelles et informelles, qui ont une influence sur l’autonomie accordée aux enfants.
Quels seront vos prochains axes d'étude ?
S. D. De manière générale, les déplacements autonomes des enfants tendent à se réduire au fil des générations depuis la fin des années 1970. On observe cependant une prise de conscience récente et une sensibilisation aux déplacements actifs et autonomes. À l’avenir, l’équipe de Mobi’Kids aimerait poursuivre la compréhension des cultures éducatives associées à la mobilité des enfants et, à plus court terme, évaluer les effets de quelques caractéristiques d’aménagement de la ville : la végétalisation des quartiers, les formes d’isolement de l’enfant dans l’espace public, et enfin la forme des aménagements routiers – principale source d’angoisse des parents. ♦
- 1. Programme financé par l'Agence nationale de la recherche (Projet de recherche collaboratif/Entreprise - PRCE). Il implique plusieurs partenaires publics (UMR ESO, UMR PACTE, UMR AAU, le LIFAT) et privés (les PME Alkante et RF Track)
- 2. Sandrine Depeau est chargée de recherche en psychologie environnementale, membre du laboratoire Espaces et société (Unité CNRS/Institut Agro/Le Mans Université/Nantes Université/Université d’Angers/Université de Caen-Normandie/Université de Rennes 2).
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Auteur
Formé à l’École supérieure de journalisme de Lille, Fabien Trécourt travaille pour la presse magazine spécialisée et généraliste. Il a notamment collaboré aux titres Sciences humaines, Philosophie magazine, Cerveau & Psycho, Sciences et Avenir ou encore Ça m’intéresse.