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Tous les modèles sont dans la nature

Tous les modèles sont dans la nature

18.09.2020, par
Le sol forestier, avec son jardin en permaculture, est un des trois écosystèmes naturels présentés sous la serre de la Cité des sciences et de l'industrie.
Prendre le vivant comme modèle pour répondre aux défis sociaux et environnementaux du XXIe siècle : c’est l’ambition de la bio-inspiration. Décryptage de ce concept à l’occasion de l'exposition Bio-inspirée qui s'ouvre aujourd'hui à la Cité des sciences et de l'industrie à Paris, et dont le CNRS est partenaire.

Imiter le vivant, ses formes, ses matières, ses structures ou ses règles de fonctionnement pour en tirer des solutions ingénieuses n’est pas une idée nouvelle. Si la première occurrence du mot « biomimétisme » apparaît en 1969 sous l’influence du chercheur américain Otto Schmidt, la pratique est en réalité beaucoup plus ancienne. « Apprenez de la nature, vous y trouverez votre futur », préconisait déjà Léonard de Vinci, sans doute le premier des biomiméticiens. À travers ses extraordinaires machines volantes et ses bêtes animées, il s’est efforcé toute sa vie de décomposer les lois de la nature par de nombreuses observations.
 

L’étude de l’évolution nous montre que la nature ne maximise pas, elle optimise pour se protéger, s’adapter à son environnement, pour résister aux changements.

Ce n’est pourtant qu’en 1997, sous la plume de la biologiste américaine Janine Benyus – dans son ouvrage Biomimétisme, quand la nature inspire des innovations durables – que le biomimétisme va prendre sa dimension écologique. ll s’agit, pour la biologiste, d'apprendre de la nature « en émulant 3,8 milliards d'années de technologie adaptative, pour aider les innovateurs à concevoir des produits et des processus durables qui créent des conditions propices à toutes les formes de vie ».

« C’est cette démarche vertueuse, de compréhension du vivant et de durabilité, qui est au cœur de la nouvelle exposition présentée à la Cité des sciences et de l’industrie », explique Philippe Grandcolas, directeur de l’Institut de systématique, évolution, biodiversité1 et membre du comité scientifique de l’exposition. « On y comprend que la bio-inspiration n’est pas seulement une solution d’innovation industrielle, à l’image de la fleur de bardane qui a pu inspirer le scratch. Elle nous invite surtout à porter un autre regard sur notre environnement et sur le vivant, à habiter le monde autrement », ajoute-t-il.

La couleur des ailes du papillon Morpho n’est pas due à un pigment mais à une seule molécule, la chitine. C’est cette même molécule qui permet aux ailes du Morpho d’être à la fois imperméables, antibactériennes et résistantes. La chitine peut être utilisée en cosmétique par exemple pour remplacer des pigments toxiques.
La couleur des ailes du papillon Morpho n’est pas due à un pigment mais à une seule molécule, la chitine. C’est cette même molécule qui permet aux ailes du Morpho d’être à la fois imperméables, antibactériennes et résistantes. La chitine peut être utilisée en cosmétique par exemple pour remplacer des pigments toxiques.

Un parcours immersif et sensitif

C’est sous la serre de la Cité des sciences et de l’industrie que se déroule l’exposition. Immergé dans trois écosystèmes naturels – un récif corallien et son appareil de phyto-épuration, une mangrove et ses palétuviers2, un sol forestier et son jardin en permaculture –, le visiteur découvre de grandes règles de constitution ou de fonctionnement du vivant : la biosphère, régie par les innombrables interactions entre espèces, tout aussi coopératives que compétitives ; une production énergétique non polluante, la photosynthèse ; ou encore le paradoxe d’un vivant incroyablement divers et pourtant basé sur peu d’éléments, les fameux CHNOP3 qui constituent la majeure partie des organismes. Chaque visite est appelée à être unique : les écosystèmes évolueront tout au long de l’année et les saisons seront reproduites artificiellement pour respecter leur équilibre.
 

En apprentis agro-écologistes, les visiteurs peuvent transformer virtuellement une exploitation agricole en faisant varier les cultures. L’objectif : découvrir des équilibres possibles entre la préservation des sols, l’augmentation de la biodiversité et un modèle économiquement viable et résilient.
En apprentis agro-écologistes, les visiteurs peuvent transformer virtuellement une exploitation agricole en faisant varier les cultures. L’objectif : découvrir des équilibres possibles entre la préservation des sols, l’augmentation de la biodiversité et un modèle économiquement viable et résilient.

Le choix de ces écosystèmes n’a pas été laissé au hasard : aujourd’hui gravement menacés par les changements globaux et les activités humaines, ils se distinguent en tant qu’incroyables réservoirs de biodiversité. Le sol forestier, par exemple, s’étend sur près de 45 m2 dans la serre. Composé de feuillage et de bois en décomposition, sans apport d’engrais ou de pesticides, le sol s’enrichira naturellement. « Économe en énergie et en éléments, le vivant ne produit pas de déchets irrécupérables : tout y est recyclé en permanence », explique Philippe Grandcolas.
 

Face à la crise de la biodiversité, nous devons nous réapproprier toutes ces dimensions du vivant qui nous échappent, les étudier et nous en inspirer pour bâtir des sociétés plus durables.

On peut ainsi observer, dans un bac sous verre posé directement sur l’humus, des objets en décomposition ; sur l’écran à côté, un time-lapse permet de voir en accéléré le processus de dégradation : vers de terre et insectes grignotent une pomme qui devient alors la matière première d’un nouvel être vivant. « En provoquant la curiosité, l’émerveillement, la réflexion, cette exposition est une invitation à voir et mieux comprendre la nature et ses mécanismes, qui sont à la base de la pensée biomimétique, ajoute le chercheur. Face à la crise de la biodiversité, nous devons nous réapproprier toutes ces dimensions du vivant qui nous échappent, les étudier et nous en inspirer pour bâtir des sociétés plus durables. »

Penser des solutions durables et responsables

Se nourrir, penser les nouveaux matériaux, sortir des énergies fossiles, traiter l’information, développer l’économie circulaire, et même repenser notre habitat, toutes les solutions semblent être déjà dans la nature. « L’étude de l’évolution nous montre que la nature ne maximise pas, elle optimise pour se protéger, s’adapter à son environnement, pour résister aux changements », souligne Philippe Grandcolas. L'art de s’inspirer du vivant pour innover apparaît plus que jamais comme une tendance majeure et en plein essor pour les chimistes ou les spécialistes des matériaux. En France, ce sont plus de 175 équipes de recherche, transdisciplinaires, qui se mobilisent aujourd’hui autour de cette nouvelle approche4.

À chaque étape de l’exposition, des modules permettent au public de découvrir des solutions alternatives bio-inspirées. Parmi elles, la moule, reine des pots de colle : elle s’accroche aux rochers grâce à des protéines adhésives très efficaces qui conservent leurs propriétés dans l’eau. Ces solvants bio-inspirés peuvent être utilisés, par exemple, dans la confection de panneaux en contreplaqué. Du côté de la chimie douce, on s’inspire de la diatomée, une algue unicellulaire microscopique, qui abonde dans les lacs et rivières. Cet organisme est capable de se fabriquer une carapace de verre à partir de la silice dissoute dans l’eau à température ambiante alors qu’artificiellement, le point de fusion de la silice est à plus de 1 500 °C.
 

Diatomée "Surirella spiralis", une microalgue brune, en vue connective (sur le côté). La membrane cellulaire des diatomées est imprégnée de silice organique formant une enveloppe rigide composée de deux valves maintenues par un ensemble de ceintures de connexion.
Diatomée "Surirella spiralis", une microalgue brune, en vue connective (sur le côté). La membrane cellulaire des diatomées est imprégnée de silice organique formant une enveloppe rigide composée de deux valves maintenues par un ensemble de ceintures de connexion.

Face à l’explosion des données numériques, les chercheurs réfléchissent aussi à des modes de stockages révolutionnaires. Parmi les pistes les plus prometteuses : la molécule d’ADN. Bien qu’encore très complexe à mettre en place, un seul kilogramme d’ADN pourrait suffire à stocker l’ensemble de la donnée mondiale aujourd’hui présente sur les serveurs.
 

(...) la sobriété, qui règne en maître dans la nature, est la première des solutions bio-inspirées à adopter.

Dans un film que l’on peut visualiser sur le parcours de l’exposition, les travaux de Claude Grison, chimiste et lauréate de la médaille de l’innovation en 2014, sont également à l’honneur : ses découvertes sont à l’origine de douze brevets CNRS qui permettent non seulement d’utiliser des plantes pour dépolluer progressivement les sites miniers, mais aussi d’exploiter les métaux que ces plantes ont absorbés, comme le palladium, indispensable pour synthétiser de nombreux médicaments.

À la toute fin de la visite, un nouvel espace de médiation, Le Biolab, permet d’échanger et d’expérimenter autour de l’exposition et de projets de science participative. « L’objectif de ce parcours immersif est aussi de parvenir à établir et nourrir un dialogue positif entre la science et la société. Et surtout, de faire passer le message au cœur de la philosophie de la bio-inspiration : la sobriété, qui règne en maître dans la nature, est la première des solutions bio-inspirées à adopter. Si le monde vivant est une immense source d’enseignements, que l’on fasse en sorte que les solutions d’aujourd’hui ne deviennent pas les problèmes de demain », conclut Philippe Grandcolas. ♦

À voir
Exposition Bio-inspirée, une nouvelle approche, à partir du 18 septembre 2020, Cité des sciences et de l'industrie, Paris. En partenariat avec le CNRS et Inrae.

À lire sur notre site
Regard anthropologique sur le biomimétisme
La chimie douce : naturellement créative
Tous les cristaux liquides sont dans la nature
Quand l'architecture imite la nature (point de vue)
Dans les carnets de Léonard (dossier, collection Sagascience)

À voir sur notre site
Le robot inspiré d'une fourmi (vidéo)
Les ailes du futur (vidéo)

 

Notes
  • 1. Unité CNRS/MNHN/Sorbonne Université/EPHE.
  • 2. L’écosystème mangrove est cours d’installation.
  • 3. Le carbone C, l’hydrogène H, l’azote N, l’oxygène 0, le phosphore P.
  • 4. Une dynamique relayée par la MITI du CNRS qui a pu soutenir de multiples projets innovants dans ce domaine, également inscrit récemment au sein du contrat d’objectifs du CNRS.
Aller plus loin

Auteur

Anne-Sophie Boutaud

Anne-Sophie Boutaud est journaliste à CNRS Le journal.

À lire / À voir

Bio-inspirée
Une autre approche

Une exposition permanente à la Cité des sciences et de l'industrie, à Paris.

Ouvert du mardi au samedi de 10h à 18h, le dimanche de 10h à 19h. Fermé le lundi.

Toutes les infos sur le site de la Cité

 

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