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La chimie douce : naturellement créative
La diatomée est un organisme fascinant. Abondante dans les lacs et rivières, cette algue unicellulaire microscopique dont la structure avait déjà séduit Charles Darwin en son temps, est capable de se confectionner une carapace de verre à partir de la silice dissoute dans l’eau. Et contrairement à nos verriers, elle réalise cela à température ambiante.
L'émergence des procédés sol-gel
Cet exemple a largement inspiré Jacques Livage, membre de l’Académie des sciences. Dès la fin des années 1970, il devient l’un des principaux contributeurs au développement scientifique des procédés sol-gel (contraction des termes solution-gélification) dont le principe de base n’est pas différent de celui de la diatomée. Prenez de la silice – principal constituant du sable –, dissolvez-la dans l’eau puis procédez à une simple opération de polymérisation en présence de catalyseurs et en jouant sur le pH. Vous obtiendrez du verre dans des conditions beaucoup plus douces que celles traditionnellement utilisées par l’industrie, qui consistent à chauffer du sable à 1 500 °C pour le faire fondre. « Un procédé breveté en 1939 par l’entreprise Schott, mais curieusement ignoré par le monde académique jusque dans les années 1980 ! », souligne Jacques Livage.
Ainsi est née la première déclinaison de la chimie douce. Le terme est inventé par Jacques Livage lui-même en 1977. Dès cette époque il plaide pour une chimie « qui s’intègre de façon plus harmonieuse dans les processus naturels ». Le chercheur en livre une définition plus précise : « Il s’agit d’un ensemble de méthodes d’élaboration de matériaux inorganiques ou hybrides mettant en jeu des réactions de polycondensation à des températures peu élevées – de 20 °C à 200 °C. Le tout à partir de particules en suspension dans un milieu aqueux ou organique. »
Des matériaux hybrides fabriqués sur mesure
L’avantage d’opérer à basse température est évident en termes d’économie d’énergie. Mais ce n’est pas le seul. Comme les particules en suspension s’agrègent petit à petit, le procédé permet un contrôle très fin de la structure créée. En clair, il donne la possibilité de fabriquer des matériaux sur mesure en fonction de l’application désirée ! « Les procédés sol-gel ne permettent pas d’obtenir un produit massif car on travaille en solution, et l’évaporation totale de l’eau conduit à une poudre, précise Jacques Livage. En revanche, ils sont particulièrement adaptés au dépôt de films minces. »
du textile à l'automobile, ces matériaux ont envahi notre quotidien.
Et les applications s’accumulent depuis les années 1980. Ainsi, les verriers ont développé ce procédé pour déposer des revêtements anti-reflets sur les vitrages des bâtiments ou les pare-brise d’automobiles. Même les secteurs de haute technologie comme l’industrie spatiale en ont bénéficié, notamment les tuiles réfractaires de la navette Columbia, qui sont élaborées à partir de fibres céramiques obtenues par un procédé sol-gel.
Mais il y a mieux. Les chercheurs ont poussé plus loin la possibilité d’opérer à basse température et avec précision en créant des matériaux inédits : les matériaux hybrides organo-minéraux.
Ces matériaux, qui combinent parties minérales et organiques, seraient inenvisageables par les voies chimiques traditionnelles. Ainsi, les films en oxyde de titane (Ti02) ont permis de mettre au point des vitres autonettoyantes, comme celles équipant la toiture du Grand Théâtre national de Pékin. Les particules d’oxyde de titane ont pour propriété de décomposer les particules organiques (comme les saletés) par photocatalyse, tandis que la microstructure, hydrophobe, permet de chasser l’eau. Parfait exemple d’un matériau sur mesure ! Aujourd’hui, les matériaux hybrides ont envahi notre quotidien, depuis la semelle de nos fers à repasser jusqu’aux textiles, en passant par l’optique et l’automobile.
Encapsuler les bactéries pour mieux les exploiter
Pas étonnant donc que le concept de chimie douce ait fait école. À tel point que la littérature internationale cite la plupart du temps le terme en français dans le texte ! Mais outre les applications passées, elle continue d’élaborer des matériaux répondant aux enjeux futurs, au premier rang desquels les biomatériaux et des matériaux « vivants ». « Tout comme la diatomée se recouvre de verre, on parvient maintenant à encapsuler des micro-organismes vivants », explique Jacques Livage. De nombreux micro-organismes tels que des bactéries, des champignons, des micro-algues, des cellules végétales et même des cellules animales ont ainsi été immobilisés au sein de gels de silice, tout en conservant leur activité biologique.
allant de la médecine jusqu’à l’environnement.
En contrôlant finement la porosité de cette capsule, les chercheurs parviennent à conserver les échanges du micro-organisme avec le milieu extérieur. Avec à la clé des applications allant de la médecine jusqu’à l’environnement.
Grâce à ce procédé, des bactéries sensibles à certaines espèces chimiques sont utilisées comme capteurs antipollution, ou comme tests immunitaires pour les analyses médicales, tandis que d’autres sont exploitées pour leur capacité à éliminer certaines substances ou produire des molécules médicaments. Des équipes développent donc des réacteurs sol-gel fixant ces micro-organismes afin d’augmenter leur productivité.
En médecine, l’encapsulation peut également servir à protéger certaines cellules. Des chercheurs sont ainsi parvenus à injecter chez des diabétiques des cellules de pancréas impliquées dans la production d’insuline. La carapace protège alors ces cellules étrangères contre le système immunitaire du patient ! Une voie prometteuse concerne enfin les nanomédicaments, assez petits pour pénétrer des cellules malades, notamment cancéreuses, et les détruire de l’intérieur. Grâce à l’encapsulation, les chercheurs peuvent doter ces nanomédicaments de fonctions de furtivité et de ciblage qui vont leur permettre d’atteindre plus directement les cellules visées. D’où l’espoir de thérapies mieux ciblées et plus efficaces.
Produire des nanomatériaux
Autre grand espoir de la chimie douce : les nanomatériaux. Dans ce domaine, les chercheurs se sont inspirés des éponges. Certaines d’entre elles élaborent des fibres de silice, appelées spicules, pour s’ancrer aux fonds marins. L’équipe de Franck Artzner, chercheur à l’Institut de physique de Rennes1, a tenté de reproduire la protéine qui, au cœur de ces spicules, a la faculté d’agréger des couches successives de silice en suspension dans l’eau. Ils ont ainsi obtenu des nanofibres de silice capables de s’auto-assembler ! En modifiant les propriétés de cette protéine, d’autres équipes sont parvenues à fixer des films d’oxyde de cobalt sur ces nanofilaments. Créant de cette manière des électrodes qui permettent de doubler la capacité énergétique d’une batterie au lithium !
Éponges, algues… Notre environnement constitue une banque d’idées inépuisable. « La chimie douce est avant tout une chimie bio-inspirée », insiste Jacques Livage. Cette approche biomimétique, basée sur l’observation de procédés naturels jusqu’ici insoupçonnés, rejoint d’ailleurs une autre discipline d’avenir : la chimie verte. Toutes deux dessinent les contours d’une chimie d’avenir, à la fois respectueuse de l’environnement et porteuse des matériaux de demain. Signe des temps, en mars 2015, Ségolène Royal a inauguré le Centre européen d’excellence en biomimétisme de Senlis (CEEBIOS). La chimie douce n’a pas fini de faire l’actualité !
- 1. Unité CNRS/Univ. Rennes 1
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