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Un algorithme pour éviter les débris spatiaux
Depuis 1957 et le lancement du premier satellite Spoutnik, la conquête spatiale a révolutionné nos modes de vie. Mais elle a dans le même temps transformé la banlieue de la Terre en un immense dépotoir de débris de toutes sortes et de toutes tailles : satellites inactifs, étages de fusée, boulons, outils perdus par des astronautes...
Ces débris, relâchés pendant les missions ou issus de fragmentations provoquées par une explosion ou une collision, encombrent essentiellement deux régions autour de notre planète : les orbites basses – entre 200 et 2 000 kilomètres d’altitude – et l’orbite géostationnaire, à 36 000 kilomètres d’altitude. Cette accumulation atteint aujourd’hui des proportions inquiétantes : on estime à 36 000 le nombre d’objets de plus de 10 centimètres – parmi lesquels quelques milliers seulement de satellites encore actifs –, 1 million mesurant entre 1 et 10 cm et 130 millions de moins de 1 cm.
Autant de débris qui font planer sur les satellites en activité et les missions habitées, du fait de leur vitesse très élevée, la menace de collisions potentiellement catastrophiques. Celle-ci s’est d’ailleurs avérée bien réelle à plusieurs reprises, comme en 1996 quand un débris d’une fusée Ariane a mis hors service le satellite français Cerise, ou en 2009 lorsque le satellite américain Iridium 33 s’est totalement désintégré après être entré en collision avec un vieux satellite russe, Kosmos 2251, qui l’a percuté à 42 000 km/h !
Mieux anticiper pour moins slalomer
Aujourd’hui, le danger des débris spatiaux est pris très au sérieux par les agences spatiales et les opérateurs de satellites. Des équipes dédiées surveillent en permanence les satellites et en cas de risque de collision trop important, elles modifient la trajectoire de leur engin afin d’éviter le débris. Ces manœuvres sont devenues fréquentes. Un seul exemple : plusieurs fois par an, la Station spatiale internationale doit être manœuvrée pour éviter une collision potentielle. Et la situation n’est pas près de s’arranger, tant les satellites sont chaque année plus nombreux, tout comme les débris, et qu’aucune solution immédiate ne paraît envisageable pour réduire leur nombre. « Dans ce contexte, il est devenu crucial d’évaluer le plus finement possible le risque de collision de manière à prévenir de tels rapprochements, tout en évitant au maximum les fausses alertes car les manœuvres d’évitement sont des opérations longues et coûteuses », note Florent Deleflie de l’Institut de mécanique céleste et de calcul des éphémérides1.
Les travaux de chercheurs du CNRS vont précisément dans ce sens. Des équipes du Laboratoire d’analyse et d’architecture des systèmes (Laas-CNRS), en collaboration avec le Laboratoire de l’informatique du parallélisme2, ont mis au point un algorithme à la fois très fiable et très rapide pour calculer les risques de collision. Développé en 2016, cet algorithme est désormais utilisé par le Centre national d’études spatiales (Cnes) pour évaluer le risque sur ses satellites et il a fait la preuve d’une grande efficacité.
Modéliser des trajectoires incertaines
Mais comment s’y prend-on exactement pour mesurer un risque d’impact ? À partir d’un catalogue, constitué essentiellement par le réseau de surveillance spatiale des États-Unis, repérant la position des débris les plus gros, ceux de plus de 10 cm – les plus dangereux –, on peut prolonger leurs orbites et prédire où ils se situeront dans le futur, et ainsi identifier un danger de collision à venir avec un satellite. « Les trajectoires des débris comme des satellites ne peuvent pas être connues avec exactitude longtemps à l’avance du fait des erreurs de mesure par les radars et les télescopes au sol, et aussi à cause de la difficulté de bien modéliser toutes les perturbations qui affectent l’environnement spatial, tel le frottement atmosphérique pour les orbites basses », explique Denis Arzelier, du Laas, coauteur de l’algorithme.
Dit autrement, cela signifie que la trajectoire d’un objet spatial est comprise dans un tube, qui est d’autant plus large que ces incertitudes sont grandes. Évaluer un risque de collision revient alors à calculer la probabilité que les deux tubes se croisent sur leur chemin à un moment donné. « Mathématiquement parlant, cette probabilité est ainsi définie comme une intégrale en deux dimensions d’une distribution gaussienne – la fameuse courbe en cloche représentant un jeu de données aléatoires – sur un disque », précise Mioara Joldes, du Laas, coauteure des travaux. Les acteurs du spatial se sont tous entendus sur cette définition et ont établi un seuil pour cette probabilité au-delà duquel il convient d’effectuer une manœuvre d’évitement : 1 sur 10 000.
Un algorithme plus fiable, plus rapide et plus précis
Dès que le risque franchit cette valeur pour un satellite donné, c’est le réseau de surveillance américain qui lance le premier une alerte à l’opérateur du satellite en question. La plupart du temps, au fur et à mesure que les trajectoires des deux objets sont mises à jour avec des observations plus récentes, l’alerte est levée. Mais si le risque reste important, les équipes d’analystes se mettent à pied d’œuvre pour calculer plus en détail la probabilité de collision. « Il faut que le calcul de cette probabilité, c’est-à-dire de cette intégrale, soit le meilleur possible pour ne pas introduire d’erreur supplémentaire. Et c’est là que nous avons apporté une contribution majeure : notre algorithme améliore nettement la précision du calcul et qui plus est, il nécessite moins de temps de calcul que la plupart des autres méthodes », se félicite Mioara Joldes. Les tests menés au Cnes sur une base de données d’un très grand nombre de cas réels ont pu le démontrer.
Pour mettre au point leur algorithme, les chercheurs ont utilisé des techniques mathématiques de calcul dit symbolique-numérique, un domaine de recherche qui vise à améliorer l’efficacité et la fiabilité des calculs numériques sur ordinateur. Contrairement aux autres méthodes utilisées jusqu’ici, plus compliquées à mettre en œuvre, l’algorithme consiste à effectuer une série d’opérations simples sur une suite de nombres. Résultat : le calcul offre une meilleure garantie de précision – au sens du nombre de chiffres corrects – et il est plus facile à implémenter sur une machine.
Une simulation encourageante
Cette dernière caractéristique a d’ailleurs valu à l’algorithme d’être récemment embarqué sur un satellite. Depuis 2021, en effet, il a été intégré au logiciel de vol Astéria développé par le Cnes, à bord du mini-satellite expérimental de l’Agence spatiale européenne (ESA), OPS-SAT. Les tests, menés non pas en conditions réelles mais sur des cas simulés de collisions potentielles, ont là encore prouvé la fiabilité du programme informatique. « Sur le satellite, où l’encombrement et la puissance de calcul sont bien moindres qu’au sol, notre algorithme s’est révélé, du fait de sa simplicité, particulièrement efficace pour le calcul du risque de collision », confie Denis Arzelier. Cette démonstration pourrait ainsi ouvrir la voie à une plus grande autonomie en vol des satellites dans le futur.
À terme, envisage-t-on, en effet, ce seront les satellites eux-mêmes qui, à chaque alerte, connaissant leur position et leur vitesse en permanence, évalueront de manière automatique, sur leur ordinateur de bord, le risque de collision et calculeront si besoin la manœuvre d’évitement. Le gain de temps sera considérable puisqu’il ne sera plus nécessaire de mener les calculs au sol ni de communiquer avec les satellites.
Le défi des constellations de satellites
Un impératif quand on sait que ces dernières années ont vu une augmentation sans précédent du nombre de lancements de satellites, principalement en orbite basse. Dans cette région, l’embouteillage est devenu problématique. Et la situation va aller en empirant avec le déploiement progressif de gigantesques constellations de satellites par des acteurs privés, tels les projets Starlink ou OneWeb. Ces méga-constellations, qui seront composées à terme de plusieurs milliers de satellites très proches les uns des autres, principalement destinées à assurer une couverture mondiale de l’Internet haut débit, vont rendre le risque de collision avec des débris plus important et plus fréquent à analyser. Les procédures d’évaluation du risque devront donc gagner en rapidité. D’où le besoin d’autonomie des satellites et la nécessité d’utiliser des algorithmes adaptés comme celui développé par nos chercheurs.
Mais pas seulement. Pour se protéger des collisions, ce sont les méthodes mêmes de calcul du risque qui devront évoluer. « Si nous sommes aujourd’hui parfaitement capables de calculer pour un satellite donné le risque de collision avec un débris, nous ne savons pas encore modéliser le problème dans le cas d’un débris pouvant potentiellement entrer en collision avec une constellation d’un millier de satellites. C’est la question sur laquelle se focalisent actuellement toutes les recherches », avoue Mioara Joldes. Après le succès de leur premier algorithme, nos chercheurs ne comptent pas s’arrêter là. Ils réfléchissent déjà à de nouveaux outils numériques pour trouver une solution au problème posé par ces embouteillages d’un nouveau genre. Pour que nous puissions continuer à profiter longtemps encore des bénéfices de la conquête spatiale.♦
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Auteur
Julien Bourdet, né en 1980, est journaliste scientifique indépendant. Il a notamment travaillé pour Le Figaro et pour le magazine d’astronomie Ciel et Espace. Il collabore également régulièrement avec le magazine La Recherche.
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