Vous êtes ici
Un jour avec Florence Thibout, souffleuse de verre
(Cet article a été publié dans CNRS Le Journal n°274 septembre-octobre 2013)
9 h 30 : chasser les défauts
Dans les sous-sols de la faculté de l’université Pierre-et-Marie-Curie, à Paris, Florence Thibout, souffleuse de verre au Laboratoire Kastler-Brossel1, pousse la porte de son atelier. L’atmosphère y est étouffante. Cette nuit, le four est monté à 560 °C pour recuire les pièces de verre fabriquées la veille. Objectif : éliminer les zones de tension et de fragilité engendrées par les soudures. « Le verre est un matériau fabuleux : inerte, transparent et isolant. Mais il est aussi capricieux quand on le transforme, s’amuse Florence Thibout. Au moindre défaut de réalisation, il peut se fêler. » Les objets qu’elle façonne, introuvables dans le commerce, sont réalisés sur mesure pour répondre aux exigences d’expériences de physique quantique dédiées aux atomes. Ils doivent respecter deux critères : une perfection de réalisation, parfois au 1/10e de millimètre près, et une propreté extrême.
11 heures : concevoir une pièce
Florence Thibout s’installe à son bureau pour finaliser la conception d’une nouvelle pièce : cinq sphères de 25 millimètres de diamètre reliées par un tube, dans lesquelles il faudra introduire quelques fractions de xénon et quelques gouttes de rubidium. Et, lorsqu’aucun modèle n’existe, elle doit s’inspirer d’anciennes publications. « Je fais partie des trente souffleurs de verre qui se consacrent à la recherche scientifique en France, et je suis la seule dans mon domaine, explique la jeune femme. Les autres sont spécialisés en chimie. » Difficile, donc, d’aller demander conseil à un collègue !
12 heures : façonner le matériau
Une fois le schéma en tête, il faut se lancer. Florence Thibout chausse des lunettes bleues pour se protéger des lueurs de sodium émises par le verre en fusion, une lumière orange particulièrement éblouissante. Elle règle le mélange oxygène-propane de son chalumeau, saisit un long tube de verre creux et le plonge dans la flamme. Débute alors un travail d’orfèvrerie : elle étire le verre, le vrille, le souffle, le soude et le transforme en cellule cylindrique dotée d’une « queue de cochon » et d’un « queusot » pour le remplissage. « Le verre est façonnable entre 1 000 et 1 200 °C. Ensuite, c’est très intuitif, et je me fie surtout à la texture du verre et à sa réactivité au moment du soufflage », explique-t-elle. Grâce à des gestes maîtrisés, la pièce est parfaite. Une perfection de mise dans le monde de la physique quantique, où la moindre déformation optique viendrait fausser les mesures.
15 h 15 : valider des plans
Sébastien Garcia, un doctorant, attend Florence Thibout à l’École normale supérieure, où le laboratoire est également hébergé. Il veut lui soumettre les plans de pièces à usiner : des cubes de verre pleins et percés qui, par un jeu de réflexion, devront diviser un faisceau laser pour en faire une « pince à atome ». La souffleuse de verre maison, sans qui de nombreux projets n’auraient jamais pu se concrétiser, devra faire quelques essais, mais valide d’ores et déjà la faisabilité de l’ouvrage.
16 h 30 : remplir une ampoule
Quelques étages plus bas se trouve l’étuve, indispensable pour débarrasser le verre de ses impuretés et augmenter la durée de vie des pièces. Une ampoule fraîchement étuvée – destinée aux expériences de Serge Haroche2 sur les photons – est d’ailleurs prête au remplissage. Florence Thibout doit y transférer, sous vide, quelques grammes de rubidium. Pour cela, la jeune femme chauffe le dispositif à l’aide de son chalumeau : le métal argenté se vaporise en fines particules qui viennent se coller aux parois de l’ampoule. Mais attention à ne pas faire fondre le verre ! Elle doit donc marquer des pauses et répéter plusieurs fois l’opération. Au bout d’une heure et demie, la quasi-totalité des 5 grammes de rubidium sont enfin dans l’ampoule. Le moment pour Florence Thibout, éternelle perfectionniste, de sceller le réceptacle.
À voir :
- La vidéo Un souffle pour la science (9 min), réalisée par Luc Ronat.
Voir aussi
Auteur
Laurianne Geffroy est journaliste scientifique et auteur depuis 2000. Elle réalise, au sein de Ya+K productions, des reportages pour les sites Internet du Cnes, de l’Inserm et d’Universcience.tv, et collabore régulièrement à des ouvrages scientifiques édités par Le Cherche Midi.