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Métamatériaux: l'invisibilité réinventée
Un revêtement phonique ultra-performant fin comme du papier à cigarette, une échographie avec une résolution au-delà de la limite actuelle, des installations capables de protéger des bâtiments contre les séismes ou des installations portuaires contre les tsunamis ? La solution à l’ensemble de ces problématiques porte désormais un nom : métamatériaux. Vous savez, ces matériaux rendus populaires car ils offrent la possibilité, du moins en principe, de réaliser la cape d’invisibilité de Harry Potter. Plus prosaïquement, de se jouer des lois classiques de propagation de la lumière et, par conséquent, de manipuler cette dernière à « l’infini ». Or, comme le souligne Sébastien Guenneau, de l’Institut Fresnel1, à Marseille, « les équations qui régissent le comportement ondes lumineuses sont sensiblement les mêmes que celles auxquelles obéissent les ondes mécaniques ». Ainsi, ce qui est vrai pour la lumière l’est également pour les ondes acoustiques, sismiques ou hydrodynamiques. Réalité à l’origine d’avancées spectaculaires auxquelles participent activement les chercheurs du CNRS.
Des matériaux qui n’existent pas dans la nature
Pour une part importante, ces avancées résident dans les progrès réalisés dans l’art de concevoir et de façonner ces nouveaux matériaux. De fait, tout comme leurs alter ego optiques, ils n’existent pas dans la nature et doivent donc être structurés artificiellement. Précisément, leur recette générique consiste en l’insertion dans une matrice d’une multitude d’inclusions dont les propriétés mécaniques – par exemple la vitesse de propagation du son en leur sein – diffèrent notablement de celle de cette matrice. Comme l’explique Thomas Brunet, de l’Institut de mécanique et d’ingénierie de Bordeaux2, « il est alors possible d’obtenir une très forte diffusion du son sur les inclusions qui, dans certaines conditions, résonnent de concert ». Avec à la clé, selon la nature des inclusions, leur taille ou la distance qui les séparent, des propriétés mécaniques inattendues. Par exemple, des matériaux qui se dilatent sous une contrainte de compression ou bien qui, soumis à une force, accélèrent dans la direction opposée ! Autant d’effets macroscopiques qui trahissent l’étrange manière dont le son s’y propage. Et qui, utilisés astucieusement, ouvrent la voie à des applications étonnantes.
Un écran antisismique
Comme celles actuellement développées par Stefan Enoch, Sébastien Guenneau et leur équipe. Leur idée ? Mettre des bâtiments à l’abri des séismes en les plaçant au centre d’un métamatériau façonné dans le sol même. Comment ? En y forant des trous de plusieurs mètres, disposés en anneaux concentriques autour de la zone à protéger. Ainsi, les scientifiques ont réalisé un essai grandeur nature en collaboration avec l’équipe de Stéphane Brûlé, de la Société Ménard, spécialisée dans les fondations et le traitement des sols sur un terrain de 5 000 m2 sur lequel ils ont déclenché un microséisme en y lâchant une masse de 17 tonnes depuis une hauteur de 20 mètres ! Résultat : « Notre métamatériau géant a agi comme une cape d’invisibilité en déviant les ondes sismiques de part et d’autre de la zone centrale à protéger », se félicite Sébastien Guenneau, dont les travaux font fait l’objet de plusieurs dépôts de brevet et offrent par ailleurs plusieurs déclinaisons. « En collaboration avec Philippe Roux, à l’Institut des sciences de la Terre 3, à Grenoble, nous avons un projet de protection sismique non pas en structurant le sol, mais en utilisant les forêts », détaille le physicien. De même, les scientifiques ont récemment démontré, dans le canal à houle de 17 mètres de Centrale Marseille, que des poteaux verticaux savamment disposés agissaient telle une cape d’invisibilité vis-à-vis de la houle.
Des lentilles pour l’échographie
À une échelle très différente, l’équipe bordelaise est également parvenue à des résultats prometteurs en mettant au point un métamatériau grâce à la mise en œuvre de procédés empruntés à la physique de la matière molle et de la microfluidique, soit l’art de manipuler les fluides aux échelles micrométriques. Il se présente sous la forme de microbilles poreuses – fabriquées au Centre de recherche Paul-Pascal du CNRS, dans l’équipe d’Olivier Mondain-Monval – mises en suspension dans une matrice aqueuse. « Le procédé est adaptable à différentes tailles de billes et donc à différentes longueurs d’onde, s’enthousiasme Thomas Brunet. Mais surtout, c’est le premier qui permette de réaliser un métamatériau acoustique tridimensionnel, c’est-à-dire auquel on puisse donner la forme que l’on souhaite, et à indice de réfraction négatif. » Interdite par les lois de l’optique conventionnelle, cette dernière propriété permet d’envisager des lentilles acoustiques – l’équivalent vis-à-vis des ondes sonores des lentilles de l’optique – dites parfaites, soit des dispositifs capables de résoudre une image au-delà de la limite de diffraction, ce dont aucune lentille standard n’est capable. Avec, par exemple, de possibles applications dans le secteur de l’échographie médicale. « On n’y est pas encore, précise, modeste, le chercheur. Mais, en principe c’est possible ! » Et concrètement, un dépôt de brevet est en cours sur le procédé de fabrication.
Une cape d’invisibilité acoustique
Autre cas de figure avec le métamatériau élaboré récemment par Arnaud Tourin, Fabrice Lemoult et Maxime Lanoy, de l’Institut Langevin4, Valentin Leroy, du Laboratoire Matière et systèmes complexes5, à Paris, et l’équipe de John Page, de l’université du Manitoba, au Canada. Précisément, un film élastomère de quelques millimètres d’épaisseur criblé de micro-bulles et doté d’un coefficient d’absorption voisin de 100 % ! « En jouant sur la distance entre les bulles et la viscosité de l’élastomère, on parvient à absorber dans notre matériau jusqu’à 50 % de l’énergie d’une onde incidente, explique Arnaud Tourin. L’onde retour peut même être totalement annulée en profitant de l’interférence destructive entre l’onde réfléchie par le métamatériau et l’onde réfléchie à la surface de l’objet protégé par cet écran. » L’application la plus évidente serait un « méta-écran » susceptible de rendre invisible aux sonars un objet immergé qui en serait recouvert. Mais les scientifiques ont également d’autres idées en tête, tel le pilotage de micro-bulles circulant dans des circuits microfluidiques élaborés dans le métamatériau. Comment ? « En envoyant certains sons sur les bulles piégées dans l’élastomère dans lequel le circuit est fabriqué, on crée des résonances susceptibles d’engendrer des forces attractives ou répulsives sur les bulles circulant dans le micro-circuit », explique le physicien. Preuve que les métamatériaux acoustiques n’ont pas fini de nous surprendre !
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Auteur
Né en 1974, Mathieu Grousson est journaliste scientifique. Diplômé de l’École supérieure de journalisme de Lille, il est également docteur en physique.