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Armelle Vardelle enflamme les plasmas
Quand on la retrouve au laboratoire SPCTS1, à Limoges, ce jeudi matin d’avril, elle débarque tout juste des États-Unis où elle « écrivait un papier avec un confrère américain ». Elle était à Rome une semaine plus tôt… Armelle Vardelle, enseignante-chercheuse de 63 ans, s’est taillé une renommée mondiale avec ses travaux sur la projection plasma – un procédé qui permet de recouvrir n’importe quelle surface d’un revêtement de quelques dizaines de microns à quelques millimètres d’épaisseur. En plus de ses interventions régulières à l’université de Columbia, à New York, où elle est chercheuse associée, elle ne compte plus les colloques, workshops et autres séminaires auxquels elle est invitée… Et peut désormais ajouter une bien jolie récompense à son palmarès : la chercheuse vient en effet d'être distinguée par la très sérieuse et très réputée ASM International – la première association scientifique mondiale consacrée aux matériaux, forte de plus de 30 000 adhérents – qui, pour la première fois, fait entrer une femme au « Hall of Fame » (au « panthéon ») des chercheurs ayant apporté une contribution majeure à la projection thermique. Elle recevra son titre le 11 mai prochain à Shanghai.
Des lettres à la physique
La projection plasma, c’est la passion d’une vie pour cette physicienne entrée en 1976 au Laboratoire de thermodynamique de Limoges (devenu SPCTS), quelques années à peine après sa création. « J’étais plutôt littéraire à l’origine et je suis allée en fac de physique avant tout pour suivre le garçon dont j’étais amoureuse. J’étais jeune… Mais il m’a suffi de voir fonctionner pour la première fois une torche à plasma pour ne plus vouloir faire que cela ! Le bruit, l’arc électrique, la flamme… Tout m’a fasciné », raconte la chercheuse. Quatrième état de la matière, au même titre que les états solides, liquides et gazeux, les plasmasFermerUn gaz devient un plasma lorsqu’on lui apporte une quantité d’énergie suffisante pour arracher les électrons de ses atomes et l’ioniser ou gaz ionisés constituent la plus grande part de l’Univers – les étoiles sont par exemple faites de plasmas. Si les fabriquer sur la Terre demande certes des températures moins élevées que celles des étoiles, il faut tout de même un courant électrique d’une sacrée intensité (plusieurs centaines d’ampères) pour alimenter la « torche à plasma d’arc » qui permet de les fabriquer et dont ils s’échappent en un « jet » pouvant atteindre une vitesse de 1 000 mètres/seconde et une température de plus de 10 000 °C !
L’intérêt de ces « jets » de plasmas thermiques : faire fondre n’importe quelle poudre – poudre de céramique, de plastique, de métal ou encore de matériau composite – et projeter les particules en fusion sur l’objet que l’on souhaite recouvrir, qu’il s’agisse d’une pièce de réacteur d’avion ou d’une prothèse de hanche. « Les industriels ont d’abord utilisé les plasmas pour faire des revêtements anti-usure et anti-corrosion. Mais on peut aussi faire des revêtements avec d’autres fonctionnalités : isoler de la chaleur, conduire le courant électrique, rendre des matériaux biocompatibles ou, plus futuriste, stocker de l’énergie…, détaille Armelle Vardelle. Les applications possibles sont quasi infinies. »
Problème, quand elle commence à s’intéresser à la discipline dans les années 1970, « les industriels faisaient du plasma comme M. Jourdain de la prose, sans bien savoir comment cela fonctionnait. Moi, j’ai voulu entrer dans le cœur du procédé : comprendre comment les particules de matière se comportaient dans le jet de plasma et à quelles température et vitesse elles étaient projetées sur la surface à recouvrir », explique la physicienne. C’est l’objet de sa thèse, qu’elle soutient en 1979, et de nombreux travaux ultérieurs, souvent menés en partenariat avec des industriels comme Safran ou avec le CEA, pour ne citer qu’eux. C’est aussi l’objet des recherches de son mari, Michel Vardelle, le fameux « amoureux » de la fac de physique aux côtés duquel elle travaille depuis plus de quarante ans – « lui, plutôt sur l’expérimental, et moi, en modélisation »..
Parmi la dizaine de torches à plasma actuellement installées au SPCTS, certaines sont utilisées par les industriels – « nous y testons pour eux de nouvelles poudres, mais aussi, et c’est nouveau, des solutions et des suspensions à base d’eau ou d’éthanol » –, d’autres ont été fabriquées « maison » par les chercheurs. « Il faut être bricoleur dans nos disciplines et ne pas hésiter à mettre la main dans la mécanique, l’électronique ou même l’optique », raconte Armelle Vardelle. Formée aux enjeux de l’écologie industrielle dans les années 2000, elle a été la première à réaliser des analyses de cycle de vie des procédés de projection thermique – une démarche que les industriels commencent désormais à adopter. « On regarde les process étape après étape, et on choisit les options les moins nocives pour l’environnement », indique-t-elle.
Une enseignante enthousiaste
Si elle se dit volontiers « obsédée » par les plasmas, la scientifique n’en oublie pas sa vocation d’enseignante, « largement aussi importante que mes travaux de recherche, car ce sont les ingénieurs et cadres de demain que nous formons ». Chaque année, elle dispense 200 heures de cours à l’École nationale supérieure d’ingénieurs de Limoges, nichée, comme le SPCTS, au cœur de la technopole Ester. « C’est la seule école d’ingénieurs en France à offrir une spécialisation complète en traitement et revêtement de surface. Certains de mes anciens élèves dirigent d’ailleurs des entreprises spécialisées dans les revêtements, ici même, en Limousin », raconte-t-elle, pas peu fière.
Malgré un emploi du temps un tantinet chargé, on s’étonnera à peine d’apprendre qu’Armelle Vardelle trouve encore le temps d’assurer la rédaction en chef du Journal of Thermal Spray Technology, une publication scientifique à comité de lecture du groupe Springer. « Je travaille jusqu’à minuit-une heure du matin tous les jours », confie-t-elle. Pas au détriment de sa vie privée, manifestement. Cette passionnée de musique – elle est allée voir quatre opéras lors de son dernier séjour à New York ! –, a élevé avec son mari trois enfants, tous adultes aujourd’hui. « Le temps passe tellement vite », soupire cette hyperactive.
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- 1. Science des procédés céramiques et de traitements de surface (CNRS/UL/ENSCI).SPCTS
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Auteur
Journaliste scientifique, Laure Cailloce est rédactrice en chef adjointe de CNRS Le journal. et de la revue Carnets de science.