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Des start-up françaises à Las Vegas
Chaque année depuis 1967, le monde des technologies se tourne vers Las Vegas et son CES, le Consumer Electronics Show. La prestigieuse exposition accueille la crème du high-tech, l’occasion aussi bien pour les multinationales que pour les start-up de proposer leurs dernières innovations. Parmi ces jeunes pousses, plusieurs sont nées dans des laboratoires CNRS, avec lesquels elles conservent des liens étroits.
Chronocam : la vision alliée à la vitesse
Dans la grand-messe high-tech du CES, qui se tient du 9 au 12 janvier, on imagine facilement les caméras et appareils photo rivaliser de performances : toujours plus de mégapixels et une course aux résolutions les plus élevées. Chronocam, fondé en 2014 par Ryad Benosman, Bernard Gilly, Christoph Posch et Luca Verre, en lien avec l’Institut de la vision1, préfère cependant s’affirmer sur un autre terrain. Conçus à partir d’une vingtaine de brevets, les systèmes de la start-up réagissent à une vitesse équivalente à 100 000 images par seconde. Un chiffre astronomique quand on sait qu’en salles, les films sont diffusés à 24 images par seconde.
On pourrait dès lors s’attendre à ce que la caméra consomme des quantités gargantuesques de données. Il n’en est rien, puisque le dispositif réclame jusqu’à cent fois moins de mémoire. « Sur nos capteurs, les pixels réagissent indépendamment les uns des autres, explique Noel Thévenet, directrice de la communication et du marketing chez Chronocam. Ils détectent uniquement les mouvements et sinon, ils restent silencieux. »
Le système ne capte que les changements. Embarqué sur une voiture, il n’enregistrerait pas un paysage monotone ou le ciel. La masse de données à traiter est ainsi considérablement réduite, ce qui permet également de se focaliser extrêmement rapidement sur les informations importantes.
Grâce à sa réactivité, Chronocam intéresse tout particulièrement le domaine des véhicules autonomes et des drones. Un partenariat a notamment été signé fin 2016 avec le groupe Renault-Nissan. Sa caméra fonctionne en niveaux de gris et, contrairement aux modèles ordinaires, ne connaît pas de problèmes d’éblouissement. L’avantage est de taille car ceux-ci ont déjà provoqué au moins un accident avec une voiture autonome en pleine circulation. À la sortie d’un tunnel, la caméra classique ne s’était pas ajustée assez vite au changement de luminosité et avait confondu un camion blanc, qui arrivait en face, avec le ciel.
« Chronocam représente une rupture technologique, affirme Noel Thevenet. Nous ne proposons pas une solution en termes d’images globales, mais la capture des données les plus importantes dans une scène. » Ce principe trouve d’ailleurs des applications dans la robotique et la surveillance. Il garantit une meilleure sécurité en réduisant le temps de réaction des machines, et permet de constater par caméra le moindre changement sur une zone à protéger.
Icohup : un détecteur de radioactivité pour tous
Les jours du bon vieux compteur Geiger sont-ils comptés ? Avec Rium, la start-up Icohup2 va bien plus loin que la simple détection de la radioactivité. Ce capteur mesure non seulement la dose radioactive, mais détaille en outre, grâce à un spectromètre, quels éléments la produisent. Le boîtier envoie les données sur une application mobile qui permet à l’utilisateur de découvrir quels isotopes d’uranium sont en présence, s’il y a du césium, du radon, de l’américium 241, etc.
Iochup est issu de l’Institut lumière matière3, où son fondateur Gaël Patton a obtenu un doctorat. « Notre savoir-faire pour concevoir des instruments vient de l’ILM, avec qui nous gardons un fort lien technique, explique-t-il. Nous y faisons en effet encore tous nos tests et développements. » Basée à Lyon et à Limoges, la start-up avait déjà présenté le concept de Rium à Las Vegas en 2017 et obtenu un CES Innovation Award, mais elle revient pour cette édition avec un produit entièrement prêt. Sa commercialisation devrait d’ailleurs débuter en même temps que la grande foire américaine. « Le CES représente une incroyable opportunité de rencontres, à la fois sur le marché français et international », s’enthousiasme Gaël Patton. En plus de sa version classique, l’équipe va également emporter un prototype spécialisé dans la détection du radon, un élément radioactif issu de la désintégration de l'uranium et du radium présents naturellement dans les sols et les roches, que l’on trouve en grande quantité dans certaines régions de France.
Application comprise, Rium va coûter 400 euros, mais des conceptions sur mesure seront également possibles pour les professionnels et les industriels. « Nous pouvons installer tout un réseau de capteurs, reliés par radio à un point de lecture unique, précise Gaël Patton. Cela permet de surveiller l’ensemble d’un site en un seul endroit. Comme l’architecture de base est déjà maîtrisée, nous pouvons adapter le système à chaque site industriel. »
D’autres applications sont également envisagées, avec l’embarquement de capteurs sur des drones pour de la cartographie environnementale. Lors de survols à basse altitude, les données passeraient directement dans le drone avant d’être transmises en temps réel au pilote.
« Nous avons aussi lancé de nouveaux projets avec d’autres unités mixtes de recherche du CNRS installées à Limoges, ajoute Gaël Patton. Nous travaillons ainsi avec l’institut de recherche XLIM4 pour développer une solution sécurisée innovante pour les objets connectés, maillon faible de la cybersécurité. »
KeeeX authentifie les signatures numériques
Après avoir présenté au CES 2017 son application de certification d’images Photo Proof, KeeeX revient pour la nouvelle édition avec Signatory. Fondée par Laurent Henocque, maître de conférences au Laboratoire d’informatique et systèmes (LIS)5, la start-up est spécialisée dans la sécurisation de documents et de données. Mais au lieu d’empêcher la modification d’un document, ces solutions préfèrent en authentifier une version précise, afin de pouvoir ensuite invalider tout changement frauduleux.
Signatory se sert de la technologie de signature numérique embarquée KeeeX, qui permet de sceller des preuves dans n’importe quel fichier, ainsi que de la blockchain, soit des bases de données publiques réparties en blocs d’informations. Ces derniers sont régulièrement vérifiés afin d’en garantir l’authenticité. « Nous ancrons les preuves d’existence sur la blockchain Bitcoin, détaille Cyprien Veyrat, responsable des ventes chez KeeeX. Les gens pensent d’abord à la monnaie virtuelle, surtout en ce moment avec l’explosion des cours, mais ils ignorent qu’il s’agit d’un registre de preuves qui peut être audité publiquement. »
En gros, le système qui permet d’authentifier les échanges de bitcoins peut être employé à sécuriser n’importe quel autre type de données. KeeeX n’ « uploade » cependant pas les documents à authentifier sur la blockchain, l’entreprise n’y met qu’une empreinte numérique. Cet identifiant unique, formé de chiffres et de lettres, est humanisé par la start-up pour être lu facilement et prononcé à voix haute, voire être indexé sur des moteurs de recherche. De l’extérieur, cette trace numérique reste inutilisable. En cas de modification, le document ne correspondra alors plus à son empreinte et la supercherie sera dévoilée.
Signatory authentifie des selfies vidéo, où un utilisateur donne son consentement à un contrat et en prononce le début de l’empreinte numérique. Cette signature d’un nouveau genre est garantie par KeeeX, qui certifie l’intégrité de la vidéo ainsi que l’identité, l’horodatage et la géolocalisation du signataire.
« Un assureur peut ainsi envoyer un devis par mail et recevoir dans la foulée l’accord d’un client, même s’il est en déplacement, prend comme exemple Cyprien Veyrat. Nous assurons alors le lien entre la preuve vidéo et le contrat. »
KeeeX a déjà conçu des solutions pour SNCF Réseau, afin de suivre et de sécuriser l’élaboration des documents internes. La start-up a aussi aidé à l’authentification des communiqués de presse d’EDF et à lutter contre les fausses informations : une fenêtre dédiée permet de vérifier si un texte a bien été écrit par les services d’EDF.
SmartUpp : une usine pilotée grâce à la réalité virtuelle
Et enfin, que serait un salon de l’innovation et des technologies sans la présence de robots ? La start-up d’Angoulême Iteca propose encore plus futuriste : des robots contrôlés par réalité virtuelle. Dans le cadre d’une collaboration contractuelle avec l’équipe Robioss6 du laboratoire poitevin Pprime7, elle présente au CES 2018 SmartUpp, un environnement pour piloter l’usine du futur via des casques de réalité virtuelle.
« SmartUpp permet d’interagir avec un environnement de production et de réaliser de la maintenance préventive en temps réel », explique Jean-Pierre Gazeau, ingénieur de recherche et responsable de l’équipe Robioss. Il précise que si « 90 % des robots fonctionnent à partir de langages propriétaires », c’est-à-dire exclusifs à leurs fabricants, son équipe met l’accent sur des conceptions ouvertes et plus à même d’être adaptées.
Iteca a conçu le logiciel pour la réalité virtuelle, tandis que les chercheurs de l’équipe Robioss ont programmé l’application pour communiquer avec cet environnement virtuel et piloter les robots. En gros, les premiers ont conçu un panneau de commande virtuel, que les seconds ont relié aux machines afin qu’elles échangent avec l’extérieur.
À Las Vegas, l’équipe va effectuer ses démonstrations de SmartUpp sur un robot capable d’attraper des cylindres pour les enfoncer dans différentes fiches. Le matériel nécessaire à sa conception a été prêté par les entreprises B & R Automation et Lucas Robotics. Cette dernière est implantée en Nouvelle-Aquitaine, tout comme Iteca et Robioss, preuve de la vivacité des échanges entre recherche et industrie dans le tissu économique local. Une collaboration rendue possible grâce à la plateforme technologique poitevine du réseau Robotex du CNRS.
« Nous sommes ravis d’aller au CES avec Iteca, s’enthousiasme Jean-Pierre Gazeau. Cela montre que le CNRS est capable d’accompagner, valoriser et transférer des compétences d’une petite équipe comme la nôtre. C’est un point essentiel, surtout pour des chercheurs dans les sciences de l’ingénieur, en robotique et en mécatronique. Ces travaux ont entièrement vocation à trouver des applications dans un environnement industriel. » ♦
- 1. Unité CNRS/UPMC/Inserm.
- 2. Instruments connectés hautes performances.
- 3. Institut lumière matière (CNRS/Université Claude-Bernard).
- 4. Unité CNRS/Université de Limoges.
- 5. Unité CNRS/École centrale Marseille/Aix-Marseille Université/Université de Toulon.
- 6. obotique, biomécanique, sport, santé.
- 7. Institut P' : recherche et Ingénierie en matériaux, mécanique et énergétique (CNRS).
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Auteur
Diplômé de l’École supérieure de journalisme de Lille, Martin Koppe a notamment travaillé pour les Dossiers d’archéologie, Science et Vie Junior et La Recherche, ainsi que pour le site Maxisciences.com. Il est également diplômé en histoire de l’art, en archéométrie et en épistémologie.
Commentaires
Et ils croient quoi ces
greencom le 10 Janvier 2018 à 13h45Connectez-vous, rejoignez la communauté
du journal CNRS