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Recherche appartement du futur

Recherche appartement du futur

26.06.2018, par
Reconstitution 3D de l’appartement intelligent du projet HUT. Deux étudiants volontaires, les «coHUTeurs», y emménageront à la rentrée 2018.
Cet automne, à Montpellier, deux étudiants volontaires emménageront dans un appartement-observatoire truffé de capteurs, dans le cadre du projet pluridisciplinaire Human at home (HUT). L’objectif pour les chercheurs : explorer les usages et effets des nouvelles technologies et des objets connectés sur notre – futur – quotidien. Mais également d’en souligner les limites…

Imaginons plutôt. Installé(e) devant votre poste de télévision, un petit creux vous pousse à finir un paquet de gâteau… qui termine sa course dans votre poubelle connectée. Aussitôt, une notification s‘affiche sur votre télévision, votre téléphone et sur tous les autres écrans de l’appartement : on vous suggère, via un site marchand, de vous réapprovisionner en friandise dans la journée. Une autre notification vous alerte : vous avez largement dépassé la dose de sucre journalière recommandée. Une information qui s’inscrit automatiquement dans votre dossier médical partagé. Future routine du quotidien ou scénario de science-fiction ? C’est la question que cristallise le projet HUT1. Et si cette idée s’apparente à un épisode de Black Mirror, une série d’anticipation sur les dérives liées à l’intrusion des nouvelles technologies dans nos vies, l’expérience est inédite et l’enjeu crucial. Car « si le XXe siècle était celui du saut technologique, le XXIe sera celui d’une rupture dans les usages », affirme Alain Foucaran, directeur de l’Institut d’électronique et des systèmes2 à Montpellier et initiateur du projet HUT avec Malo Depincé3, juriste et spécialiste du droit de la consommation et de la concurrence.
 

Si le XXe siècle était celui du saut technologique, le XXIe sera celui d’une rupture dans les usages.

Aussi, comment interagirons-nous avec l’habitat du futur ? Quelles informations est-il envisageable, mais surtout souhaitable, de partager ? Comment, dans les prochaines années, encadrer légalement leur usage ? L’analyse des données récoltées durant ce projet au long cours – trois ans renouvelables – pourra apporter certains éléments de réponse…

Une « chimère » expérimentale

Fondamentalement interdisciplinaire et à la croisée des sciences humaines, ce projet rassemble une soixantaine de chercheurs du CNRS, de l’université de Montpellier et de l’université Paul-Valéry Montpellier 3 : juristes, économistes, informaticiens, architectes, spécialistes du marketing, des sciences du langage, de la santé ou encore chorégraphe. « Les nouvelles technologies, l’électronique et les objets “intelligents” sont aujourd’hui partout autour de nous, argumente Anne Laurent, informaticienne au Laboratoire d’informatique, de robotique et de microélectronique de Montpellier4. Ils finissent par poser des questions, sociales et éthiques. Pour les chercheurs en particulier et la recherche publique en général, il s’agit de travailler sur ces nouvelles questions qui nous agitent en amont. Et de manière croisée. Notre proposition est donc de monter un lieu expérimental, une chimère, en en grossissant le trait pour en explorer les limites. »
 

Placards à reconnaissance faciale, sol connecté, capteurs d'air ambiant : cet appartement-observatoire permettra d'étudier l’impact des usages des objets connectés sur nos comportements. Dans le salon, une tablette donnera accès à une gestion centralisée des systèmes.
Placards à reconnaissance faciale, sol connecté, capteurs d'air ambiant : cet appartement-observatoire permettra d'étudier l’impact des usages des objets connectés sur nos comportements. Dans le salon, une tablette donnera accès à une gestion centralisée des systèmes.

Un logement suréquipé

C’est dans un trois-pièces tout à fait standard que se déroulera le projet. Standard, mais truffé de capteurs (une cinquantaine de types au total), en fonction des besoins et projets scientifiques préalablement définis par les chercheurs.
 

Un comité d’éthique a été mis en place pour protéger leur vie privée. Il pourra être saisi à tout moment par les habitants, les chercheurs ou s’autosaisir.

« Cinq types de données vont être récoltés, détaille Alain Foucaran. Certains capteurs seront directement liés aux coHUTeurs pour mesurer leur rythme cardiaque, définir leurs déplacements et leurs postures dans l’appartement afin d’évaluer, par exemple, si ces données peuvent être considérées comme des marqueurs de bien-être ou de mal-être. D’autres seront produites par l’habitat, comme la qualité de l’air, le taux d’humidité ou la température. Nous nous intéresserons également aux informations extérieures à l’appartement, comme la pollution ou la pression atmosphérique. Nous récolterons aussi certaines données économiques grâce à des étagères connectées, créées spécifiquement pour l’expérience, afin d’identifier quel produit a été consommé et en quelle proportion. Enfin, et c’est assez novateur, nous étudierons certaines données captées via les réseaux sociaux. L’objectif est de déterminer si l’actualité ou l’activité sur les réseaux sociaux modulent ou influencent leur comportement. »
 

Pour concevoir cet appartement, le consortium a bénéficié d’un plateau modulable à la Maison des sciences de l’homme Sud, dont le fer de lance est de favoriser la synergie pluridisciplinaire et le dialogue entre sciences dures et sciences humaines et sociales. Les chercheurs pourront, en parallèle, y mener des expériences, les modéliser ou les moduler.

Plateau modulable à la Maison des sciences de l'Homme, avec une installation prototype. Le plancher est équipé de 16 capteurs par m², qui permettront notamment d'étudier les déplacements des occupants.
Plateau modulable à la Maison des sciences de l'Homme, avec une installation prototype. Le plancher est équipé de 16 capteurs par m², qui permettront notamment d'étudier les déplacements des occupants.

Quant aux habitants, deux étudiants, ils seront sélectionnés au cours de l’été. Si Montpellier est une ville très étudiante, c’est aussi une question de génération : ce sont les jeunes d’aujourd’hui qui vivront et évolueront dans ce nouveau type d’habitat. Ils entreront dans l’appartement à la rentrée 2018 et chacune des trois phases, d’une durée d’un an, suivra le rythme universitaire. Les coHUTeurs parviendront-ils à jouer le jeu et à oublier la présence de tous ces capteurs ? Rien n’est laissé au hasard : « Un comité d’éthique a été mis en place pour protéger leur vie privée. Ce comité, qui évalue les projets scientifiques menés dans l’appartement, pourra être saisi à tout moment par les habitants, les chercheurs ou s’autosaisir », explique Malo Depincé. En cas de problème, les capteurs trop intrusifs pourront être enlevés sur sa proposition.
 

Des capteurs seront également placés sur la terrasse. L’objectif : récolter des informations extérieures à l’appartement, comme la pollution ou la pression atmosphérique.
Des capteurs seront également placés sur la terrasse. L’objectif : récolter des informations extérieures à l’appartement, comme la pollution ou la pression atmosphérique.

Technologies et droit du consommateur

Ce projet est né de la discussion entre scientifiques et juristes, raconte Alain Foucaran. « Nous avons fait un état des lieux de ce qui se faisait ou s’était déjà fait. Les projets autour de l’habitat connecté se focalisent essentiellement sur la mobilité douce, l’accessibilité, notamment pour les personnes âgées, dépendantes ou en situation de handicap. Ici, le défi est de définir les contours de l’appartement du futur pour l’habitant du futur et d’en faire ressortir les écueils. Les géants du Net comme les GafamFermerAcronyme formé des initiales des géants du Net, Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft. collectent actuellement des données personnelles, véritables mines d’or d’un point de vue économique – et en sont les propriétaires. Pour quoi ? Pour qui ? La législation actuelle peine à protéger le consommateur. »
 

Nous voulons observer comment les gens vont s’approprier ces technologies, les utiliser ou les refuser.

Et Malo Depincé de poursuivre : « Nous nous interrogeons sur la manière dont ces objets influencent nos comportements et inversement. Nous voulons observer comment les gens vont s’approprier ces technologies, les utiliser ou les refuser. Or, il existe peu de recherches expérimentales sur les citoyens lambda. Sans partir du principe que cette évolution est négative, nous questionnons la posture de neutralité de la technique. Si l’on peut penser les évolutions technologiques qui accompagneront notre quotidien d’ici une quinzaine d’années, on ignore encore quels en seront les usages ».

L’objectif est donc d’évaluer, grâce à ces « lacs de données », les enjeux technologiques et le changement social qui les accompagne. Demain, à quel point notre quotidien sera-t-il connecté ? Les études et le débat ne font que commencer. ♦

Notes
  • 1. Ce projet est soutenu par la Maison des sciences de l’homme-Sud et bénéficie du soutien financier de la Mission pour l’interdisciplinarité du CNRS et du consortium Montpellier Méditerranée Métropole.
  • 2. Unité CNRS/Université de Montpellier.
  • 3. Malo Depincé est directeur adjoint du laboratoire Dynamiques du droit (CNRS/Université de Montpellier).
  • 4. Unité CNRS/Université de Montpellier/Université Paul-Valéry Montpellier 3/ Université de Perpignan Via Domitia/Inria.

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