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(Cet article a été publié dans CNRS Le journal, n° 280, printemps 2015.)
Quand on ambitionne d’être le laser le plus puissant du monde, on peut bien porter le nom d’un dieu solaire. Apollon doit en effet devenir le premier laser à atteindre 5 pétawattsFermerUn pétawatt vaut 1015 watts, soit un million de milliards de watts., soit cinq fois plus que les meilleurs lasers du marché. Il est même configuré pour atteindre 10 pétawatts ! Un véritable fleuron technologique, étape essentielle du projet européen Extreme Light Infrastructure, qui confirme la très bonne place de la France dans la course planétaire aux lasers géants. « Dans le cas d’Apollon, c’est l’intensité du faisceau lumineux et du champ électrique correspondant qui atteindra des records », précise Pascale Roubin, directrice adjointe scientifique de l’Institut de physique du CNRS.
Porté par le CNRS en partenariat avec l’École polytechnique, le CEA, et l’IOGS, l’Ensta et l’université Paris-Sud, le projet est financé par la Région Île-de-France et le conseil général de l’Essonne. Il a impliqué plusieurs laboratoires du plateau de Saclay1 depuis son lancement en 2006. Il est coordonné au sein du Luli, le Laboratoire pour l’utilisation des lasers intenses. Une collaboration loin d’être superflue pour doter Apollon de ses caractéristiques record, celles-ci réclamant des efforts importants sur les trois éléments clés des lasers : le faisceau primaire ou faisceau pilote, l’amplification de ce faisceau et sa compression. Une gageure car, pour des lasers de cette taille, il est particulièrement ardu de contrôler tous les éléments optiques qui permettent de produire et de transporter les faisceaux de photons, de maîtriser leur qualité sur de grandes surfaces ainsi que la croissance de très grands cristaux.
À la poursuite du vide
Pas moins de 4 000 m² ont été réservés à Apollon sur le site de l’Orme des Merisiers2. À elle seule, la salle laser mesure 750 m², auxquels il faut ajouter deux salles radio-protégées de 250 et de 400 m². Les chercheurs espèrent atteindre une énergie de 140 joules à la fin de l’année. Les premières manipulations devraient avoir lieu en 2017, après le passage en régime femtosecondeFermerUne femtoseconde vaut 10–15 secondes, soit un millionième de milliardième de seconde., suivies d’une montée en puissance et des expériences ouvertes aux utilisateurs en 2018.
permettra
d’obtenir des
sources d’électrons
et d’ions de très
forte énergie.
Mais quel est l’intérêt de produire un tel laser ? Pour François Amiranoff, ancien directeur de Luli et actuel responsable du projet Apollon, il s’agit d’explorer de nouveaux pans de la physique. Parmi ceux-ci, la physique relativiste, c’est-à-dire le fonctionnement de la matière lorsque les particules se déplacent à une vitesse proche de celle de la lumière. « Apollon nous permettra d’obtenir des sources d’électrons et d’ions de très forte énergie, s’enthousiasme-t-il. Alors que le record actuel pour des ions est de l’ordre de la centaine de mégaélectronvolts, on pourrait atteindre plusieurs gigaélectronvolts. Nous restons dans le domaine de la science fondamentale et, même si les applications pour la société ne sont pas pour tout de suite, les possibilités sont nombreuses. »
Ces sources de rayonnements et de particules permettront en effet d’étudier et de simuler différents mécanismes liés à des événements cosmiques violents : supernovæ, pulsars, sursauts de rayons gamma… La brièveté des impulsions donne également la possibilité d’observer des phénomènes de l’ordre de la femto ou de l’attosecondeFermerUne attoseconde vaut 10–18 secondes, soit un milliardième de milliardième de seconde., durée caractéristique de la rotation d’un électron autour d’un noyau. Mais le laser Apollon ouvre également des possibilités dans le domaine des propriétés physiques du vide.
« Le vide n’est pas vide, poursuit François Amiranoff. Il y a en permanence des particules dites virtuelles qui se créent et qui s’annihilent, en particulier des paires électrons-positrons. Elles se recombinent en un temps extrêmement bref, mais un champ électrique suffisamment fort pourrait les séparer avant qu’elles ne se recombinent et forcer leur transformation en particules réelles. Il faut pour cela un laser puissant que l’on puisse focaliser sur de toutes petites dimensions. »
Des applications variées
Les chercheurs s’interrogent aussi sur la capacité d’un laser aussi puissant à traiter les déchets nucléaires. Les lasers peuvent aider à produire des réactions nucléaires et ainsi raccourcir la durée pendant laquelle les déchets restent radioactifs. Il faut cependant que l’énergie nécessaire ne soit pas excessive. Ces faisceaux sont également envisagés pour l’imagerie médicale ou le traitement des tumeurs. Toutes ces applications passent par un important travail en amont et par le développement de nouveaux lasers plus économes et à plus haute cadence. Et Apollon constitue une étape importante sur cette voie. Rendez-vous en 2018 pour les premières expériences.
- 1. Laboratoire Charles-Fabry (CNRS/Institut d’optique Graduate School), Laboratoire d’optique appliquée (CNRS/Ensta ParisTech/École polytechnique), Laboratoire pour l’utilisation des lasers intenses (CNRS/CEA/École polytechnique/UPMC), Laboratoire Leprince-Ringuet (CNRS/École polytechnique).
- 2. Site de l’ancien accélérateur linéaire de Saclay du CEA.
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Auteur
Diplômé de l’École supérieure de journalisme de Lille, Martin Koppe a notamment travaillé pour les Dossiers d’archéologie, Science et Vie Junior et La Recherche, ainsi que pour le site Maxisciences.com. Il est également diplômé en histoire de l’art, en archéométrie et en épistémologie.