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Hess révèle l’extrême violence de l’Univers
« En dix ans seulement, Hess a ouvert une nouvelle fenêtre sur l’Univers, révélant l’agitation de régions entières du ciel, supposées calmes jusqu’ici ». Mathieu de Naurois, astrophysicien au laboratoire Leprince-Ringuet1, à Palaiseau, ne cache pas son enthousiasme. Depuis sa mise en service en 2004, l’observatoire Hess, installé en Namibie, dont le chercheur est le directeur adjoint, a dévoilé comme aucun autre avant lui les phénomènes les plus violents de l'univers, tels que les explosions d’étoiles, l’éjection de matière par les trous noirs ou encore les collisions d'étoiles à neutrons. Comment ? En capturant des rayons gamma de très haute énergie, des particules cosmiques qui, jusqu’à présent, s’étaient révélées très difficiles à attraper.
Messagers des cataclysmes cosmiques
Les rayons gamma sont les témoins directs de tous les événements extrêmes ponctuant la vie du cosmos. Au cours de ces phénomènes, la matière est accélérée à des vitesses proches de celle de la lumière, libérant au passage ces rayonnements très énergétiques que des télescopes au sol peuvent détecter. D’où leur intérêt aux yeux des astronomes pour mieux comprendre ces phénomènes. « L’avantage des rayons gamma, souligne Mathieu de Naurois, c’est que n’étant pas chargés, ils filent tout droit jusqu’à la Terre sans être, entre-temps, déviés par les champs magnétiques. On peut ainsi remonter sans se tromper à l'astre qui les a engendrés. » Ce qui n'est pas le cas des particules de matière (protons, électrons) accélérées par ces mêmes objets célestes – baptisées rayons cosmiques par les astronomes –, qui du fait de leur charge électrique, subissent sur leur parcours des déviations qui empêchent de localiser leur source. En réalité, ce ne sont pas directement les rayons gamma que les cinq télescopes de Hess tentent de capturer, mais le flash lumineux que ces derniers produisent quand ils pénètrent dans l'atmosphère terrestre. Cette lumière bleutée extrêmement fugace – elle dure moins de dix milliardièmes de seconde – et extrêmement ténue, apparaît lorsqu'un rayon gamma frappe le noyau d'un atome présent dans l’atmosphère. Au cours du choc sont notamment générés des électrons qui poursuivent leur course dans la même direction que le rayon gamma, laissant alors derrière eux, comme un sillage de navire, cette trace lumineuse, sur quelques kilomètres. Ce phénomène, appelé « lumière Tchérenkov » est le résultat de l'onde de choc créée par les électrons qui se déplacent dans l'air plus vite que la lumière ne le fait dans ce milieu. Dès les années 1950, les astronomes ont tenté de mettre au point des instruments capables de détecter cette faible lueur. « Mais il aura fallu attendre les années 2000 et le développement de télescopes dotés de miroirs suffisamment grands et de caméras suffisamment sensibles pour voir l'astronomie gamma véritablement décoller », note l’astrophysicien.
Des aiguilles gamma dans une botte de foin cosmique
D’autant que cette première difficulté se double d’une seconde. En effet, les rayons gamma ne sont pas les seuls à produire ces flashs lumineux dans l’atmosphère. Les rayons cosmiques génèrent eux aussi cette lumière Tchérenkov. Seule solution pour les astronomes : étudier en détail, grâce à des ordinateurs, les caractéristiques de toutes ces traces lumineuses enregistrées au préalable par les télescopes pour pouvoir discriminer celles dues à des rayons gamma de celles engendrées par des rayons cosmiques. Un exercice compliqué quand on sait que sur 200 000 flashs environ observés par Hess chaque minute, une poignée seulement est le fait des rayons gamma.
Relevant tous ces défis, l’observatoire construit au milieu de la savane africaine a, dans un premier temps, commencé à observer le ciel en 2004 grâce à quatre télescopes. Équipés de miroirs de 12 mètres chacun, ces derniers sont espacés de 100 mètres environ. Ainsi, chaque instrument voit une même gerbe de lumière sous un angle différent, ce qui permet de la reconstituer en trois dimensions et de remonter ainsi au point d’arrivée précis du rayon gamma.
Vue directe sur le centre de la galaxie
Autre élément clé dans la réussite de Hess : les 180 scientifiques européens – en majorité français et allemands – qui composent la collaboration, ont pris soin d’installer leur observatoire dans l’hémisphère Sud. Ce qui n’est pas le cas des deux autres expériences concurrentes, Magic, située dans les îles Canaries, et Veritas, installée aux États-Unis. En effet, dans les régions australes, le centre de notre galaxie est parfaitement visible. Or les astronomes soupçonnaient déjà fortement cette partie du ciel de contenir de nombreuses sources de particules de haute énergie. Ce qu’a confirmé Hess : en quelques années seulement, l’observatoire a enchaîné les découvertes. Si bien qu’à ce jour, sur les 154 objets recensés émettant des rayons gamma, près des deux tiers sont à inscrire à son tableau de chasse. Parmi les découvertes importantes, Hess a permis notamment de prouver que les vestiges de supernovæ – des restes d’étoiles massives ayant explosé – constituent l’un des plus puissants accélérateurs cosmiques de particules. Ce dont les astronomes se doutaient depuis longtemps, mais dont aucune observation n'avait encore apporté la preuve. Autre résultat majeur : la détection sur une grande surface du ciel de rayons gamma en provenance du centre de la Voie lactée. D’après les astronomes, l'origine de ces émissions ne serait autre que le trou noir supermassif logé au cœur de notre galaxie. Aujourd'hui, ce monstre de 4 millions de fois la masse du Soleil est peu actif mais, il y a 10 000 ans environ, pense-t-on, il aurait englouti d’énormes quantités de matière. Ce faisant, il aurait émis un flot intense de particules énergétiques qui continueraient aujourd'hui de se propager dans le milieu interstellaire, produisant au passage des rayons gamma, ceux précisément observés par Hess.
Mieux comprendre les pulsars
Avec ces découvertes en poche, les responsables de Hess ne souhaitaient pas s'arrêter là. C'est pourquoi ils ont décidé assez rapidement de construire un cinquième télescope plus grand encore au centre des quatre autres. Celui-ci est entré en fonctionnement en 2012, faisant ainsi de Hess le plus grand observatoire gamma de la planète. « Avec un miroir de 28 mètres de diamètre, ce nouveau télescope collecte plus de lumière que les quatre autres réunis, précise Mathieu de Naurois. Il est également équipé d'une caméra plus sensible, plus rapide et capable d'effectuer des mesures sans temps morts. Tout cela fait qu'on peut observer des objets proches situés dans notre galaxie de manière plus détaillée, mais également des astres plus lointains ».
Déjà, le nouveau venu a livré un précieux résultat en détectant des rayons gamma en provenance d'un pulsar, le deuxième découvert seulement rayonnant à des énergies aussi élevées. Les pulsars sont des étoiles à neutrons – les restes hyperdenses d'étoiles mortes - en rotation rapide sur elles-mêmes, émettant, tel un phare, un fort rayonnement dont le faisceau intercepte périodiquement la Terre. L'étude des rayons gamma permettra de mieux comprendre comment fonctionnent de tels astres encore bien mystérieux pour les astronomes.
A la recherche de la matière noire
Et l'avenir s'annonce bien rempli pour le télescope géant. Grâce à lui, les chercheurs espèrent décrypter l'énigme des sursauts gamma, ces soudaines explosions ayant lieu loin dans le cosmos et libérant en moins d'une minute, voire en moins d'une seconde dans certains cas, autant d'énergie que le Soleil au cours de sa vie entière. Deux hypothèses sont avancées pour expliquer ce phénomène, de loin le plus violent de l'univers : la fusion de deux étoiles à neutrons et l'explosion à la fin de sa vie d'une très grosse étoile en un trou noir. Des scénarios que Hess cherchera à vérifier.
Autre sujet sur lequel le télescope nouvelle génération pourrait apporter sa pierre : la matière noire, cette substance invisible qui représente plus de 80 % de la masse de l’univers et dont la nature nous échappe depuis plus de quatre-vingts ans. En 2013, un signal mystérieux, sous la forme de rayons gamma, a été détecté en provenance du centre de la Voie lactée par le télescope spatial américain Fermi. Selon certains, ce signal trahirait la présence de particules de matière noire. Capable de collecter beaucoup plus de rayons gamma que ce satellite, Hess pourrait permettre de trancher ce débat.
L’avenir radieux de l’astronomie gamma
En dix ans, Hess aura donc permis à l'astronomie gamma de faire des pas de géant et démontré tout l'intérêt de développer un domaine jusqu'ici peu exploré. Si bien qu'aujourd'hui, les astrophysiciens pensent déjà à l'avenir. « Avec Hess, nous avons accompli des avancées majeures, mais il nous faut maintenant développer un observatoire capable de comprendre le fonctionnement de tous ces accélérateurs cosmiques dans leurs moindres détails, confie Mathieu de Naurois. Et aussi en faire un outil accessible à l'ensemble de la communauté scientifique internationale ».
C'est précisément l'objectif du projet baptisé Cherenkov Telescope Array (réseau de télescopes Tchérenkov, en anglais) porté par 28 pays et réunissant environ 1 000 chercheurs. Si tout va bien, cet observatoire, qui sera constitué à terme d'une centaine de télescopes répartis sur deux sites (un premier dans l'hémisphère nord et un autre dans l'hémisphère sud), commencera à être construit en 2017. Par sa taille, ce réseau de télescopes permettra d'observer le ciel avec dix fois plus de précision que Hess. L'astronomie gamma a encore de beaux jours devant elle.
- 1. Unité CNRS/ Ecole polytechnique
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Auteur
Julien Bourdet, né en 1980, est journaliste scientifique indépendant. Il a notamment travaillé pour Le Figaro et pour le magazine d’astronomie Ciel et Espace. Il collabore également régulièrement avec le magazine La Recherche.
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