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Comment les chauves-souris contrôlent leurs virus

Comment les chauves-souris contrôlent leurs virus

30.10.2025, par
Mis à jour le 30.10.2025
Temps de lecture : 4 minutes
Silhouettes en noir et blanc de chauve-souris suspendues sur un arbre
Des chauves-souris géantes (Pteropus giganteus) accrochées à un arbre au Sri Lanka.
Les chauves-souris ne sont pas seulement la mascotte d’Halloween, elles sont aussi un modèle unique de tolérance et de résistance virale.

Mystérieuses habitantes de la nuit, les chauves-souris nourrissent depuis longtemps les légendes et les peurs. Elles sont aujourd’hui encore trop souvent accusées d’être à l’origine de certaines épidémies. Pourtant, derrière cette réputation, qui affecte beaucoup leur conservation et la biodiversité, se cache un modèle biologique fascinant. Ces mammifères volants hébergent une grande diversité de virus sans tomber malades. Une capacité hors du commun qui interroge les scientifiques : quel est le secret immunitaire des chauves-souris ?

Un mammifère à l’immunité énigmatique

Certaines espèces de chauves-souris font partie des animaux dits « réservoirs » : des organismes capables d’héberger des agents pathogènes sans présenter de symptômes cliniques. À ne pas confondre avec des animaux vecteurs qui transmettent les virus d’un hôte à un autre, comme le moustique. Le virome des chauves-souris est riche et diversifié : coronavirus, filovirus, paramyxovirus…

Bien que « certains virus soient pathogènes pour les chauves-souris, comme les poxvirus », souligne Lucie Étienne1, chercheuse au Centre international de recherche en infectiologie à Lyon, elles semblent résister à de nombreux autres pathogènes. Et ce, en partie grâce à leur système immunitaire.

Virus Marburg au microscope électronique
Le virus Marburg au microscope électronique.
Virus Marburg au microscope électronique
Le virus Marburg au microscope électronique.

60 millions d’années d’adaptation

Présentes sur Terre depuis plus de 60 millions d’années, les chauves-souris ont eu le temps de co-évoluer avec de multiples virus et leur système de défenses immunitaires s’est ainsi adapté et diversifié. Elles ont ainsi développé un double mécanisme entre tolérance immunitaire et contrôle antiviral. « Certaines espèces ont perdu des senseurs de voies inflammatoires, ce qui participerait à leur tolérance, ou ont une expansion de leurs gènes codant des protéines antivirales de leur système immunitaire inné, ce qui participerait à leur défense contre les virus. » explique Lucie Étienne.

Des chauves-souris dans une grotte
Colonie de chauves-souris dans une grotte.
Des chauves-souris dans une grotte
Colonie de chauves-souris dans une grotte.

Chez certaines chauves-souris étudiées, les infections n’entrainent pas la tempête inflammatoire observée chez les humains. Leurs protéines, qui déclenchent normalement l’inflammation, sont moins actives, ce qui protège leurs tissus. Certaines de ces évolutions pourraient être en lien avec leur adaptation au vol. De plus, certaines voies de détections virales sont atténuées voire partiellement inactivées, permettant de limiter certaines réactions.

Des défenses toujours actives

Mais cette tolérance ne veut pas dire qu’elles sont sans protection. Les chauves-souris gardent un système de défense actif, et parfois en permanence. Les interférons, molécules qui signalent la présence de virus dans l’organisme et limitent leur propagation, sont produits en continu chez certaines espèces. Dès qu’un virus pénètre dans leur corps, le système immunitaire est prêt à bloquer l’infection.

molécule protéine kinase PKR
La molécule protéine kinase R (PKR).
molécule protéine kinase PKR
La molécule protéine kinase R (PKR).

Parmi les acteurs de cette défense se trouvent la protéine kinase R (PKR) ou la protéine 5 de liaison au guanylate (GBP5), au cœur des travaux de l’équipe de Lucie Étienne2. Lorsque la PKR détecte l’ARN d’un virus (le matériel génétique du virus), elle s’active et interrompt la traduction des protéines virales, freinant ainsi l’infection. Au fil des décennies, la PKR des chauves-souris a évolué et est devenue, chez certaines espèces, plus efficace face à une grande diversité de virus.

Une inspiration pour la recherche

Si elles fascinent par leur capacité à cohabiter avec les virus, leur étude offre également une opportunité de mieux comprendre les mécanismes de défense de notre propre organisme. « Les travaux sur les chauves-souris montrent que, de manière bénéfique, mieux comprendre leur immunité pourrait participer à nous donner des clés pour une immunité antivirale moins inflammatoire ou plus puissante. » souligne la chercheuse.

Comprendre l’immunité de ces chiroptères, c’est à la fois percer un mystère de la nature et ouvrir de nouvelles pistes pour la recherche biomédicale. Et peut-être, enfin, redonner aux chauves-souris l’image qu’elles méritent : non pas celle de créatures inquiétantes, mais d’alliées insoupçonnées de la science !

À visiter
Le vendredi 31 octobre 2025, dans le cadre des Échappées Inattendues, le CNRS vous ouvre les portes du château de Button sur son campus de Gif-sur-Yvette, pour vivre une  Soirée effroyablement scientifique.
 

Notes
  • 1. Centre international de recherche en infectiologie - CIRI (CNRS/Inserm/ENS de Lyon/Université Claude-Bernard Lyon 1)
  • 2. Jacquet, S., Pontier, D. et Etienne, L. (2025) "La diversification de la protéine kinase R contribue à la spécificité des interactions entre chauves–souris et virus". Comptes Rendus. Biologies, Volume 348 (2025), pp. 35-41

Auteur

Servane Pierre

Etudiante en master de journalisme et communication scientifique à l’université Paris Cité, actuellement en stage à la communication de CNRS Biologie.