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Saccharose, glucose, fructose, lactose… La famille des sucres affiche un éventail spectaculaire de molécules qui ne servent pas seulement à nous rendre la vie plus douce. De la médecine aux nanotechnologies en passant par l’industrie, les sucres s’invitent aussi dans la conception de matériaux biosourcésFermerIssus de la biomasse d’origine animale ou végétale. et respectueux de l’environnement. C’est le cas des polysaccharides, composés de briques élémentaires de sucres simples (les monosaccharidesFermerGlucides simples, dit « sucres rapides » du point de vue alimentaire. Les plus connus dans nos assiettes sont le glucose, le fructose, etc.). Ces polymèresFermerTrès grandes molécules constituées de la répétition de nombreuses sous-unités., parfois obtenus à partir de différents sous-produits de l'industrie (agroalimentaire, papetière, etc.), offrent à présent des alternatives de choix à la chimie des dérivés de pétrole.
Le chitosane, extrait des carapaces de crabes et de crevettes et connu depuis 1859, fait partie des plus étonnants. Utilisé comme floculant pour traiter les eaux usées et dans les domaines de la cosmétique et de l’alimentaire, « son exploitation a connu une progression depuis une quarantaine d’années, explique Laurent David, professeur à l’université Claude-Bernard de Lyon et membre du Laboratoire ingénierie des matériaux polymères1. Grâce aux progrès techniques, la pureté des produits issus de la biomasse a été améliorée, ce qui nous permet aujourd’hui d’utiliser ces matériaux dans des applications biomédicales. »
Des pansements régénérants
Laurent David travaille par exemple sur des hydrogels. Ces produits, composés jusqu’à 99 % d’eau, ne contiennent qu’une faible quantité de polysaccharides tels que le chitosane. « Les tissus vivants sont eux-mêmes des hydrogels, précise le chercheur. Cette parenté structurale limite les réponses inflammatoires et favorise la reconstruction des tissus. »
Injectés rapidement après une lésion de la moelle épinière, les hydrogels de chitosane sous forme fragmentée peuvent ainsi stimuler la régénération du tissu nerveux in vivo alors que la formation naturelle d'une cicatrice du tissu nerveux ne permet plus le passage d’informations à travers la lésion. De plus, in vitro, ces matériaux très perméables à l’oxygène, aux nutriments et aux hormones offrent des conditions inédites pour favoriser la spermatogénèse ex vivo et offre ainsi de nouvelles perspectives de préservation de la fertilité chez le jeune garçon ou l’homme adulte infertile.
Le chitosane s’associe également très bien avec d’autres polysaccharides, comme les alginates issus des algues. En collaboration avec les laboratoires Brothier, Laurent David a ainsi conçu des fils de compresses qui aident à la régénération des tissus grâce à l’alliance de ces deux matériaux.
Enfin, son équipe fabrique aussi des fils de chitosane, bons candidats dans la conception de renforts textiles pour traiter des hernies ou des anévrismes des vaisseaux sanguins. Pour ces applications, ce matériau est intéressant de par sa faible réponse inflammatoire et par sa résorption contrôlable dans le temps.
D’autres applications pour purifier l’eau, fixer des colorants ou encore combattre champignons et bactéries se profilent aussi à l’horizon…
Des résines à haute résolution
Les polysaccharides trouvent aussi des applications surprenantes en microélectronique de pointe. Directeur de recherche au Centre de recherches sur les macromolécules végétales du CNRS et directeur de l’Institut Carnot PolyNat, Redouane Borsali pilote les efforts de huit laboratoires grenoblois dédiés aux matériaux biosourcés à haute valeur ajoutée. Ses travaux sur le contrôle de l’architecture et des propriétés de copolymères biosourcés ont été récompensés par de nombreux prix, dont récemment celui de la Fondation scientifique France-Taïwan de l’Académie des sciences pour des dispositifs de mémoires à transistors. « Tout passe par les briques élémentaires : il peut s’agir d’un ensemble d’un, deux ou trois sucres… détaille le directeur de recherche. Nous allons vers la conception de copolymères biosourcés à architectures contrôlées, afin d’obtenir de nouvelles briques élémentaires. Elles mènent, par autoassemblage, à de nouveaux biomatériaux ultrananostructurés avec quelques nanomètres de résolution. »
Ces briques s’assemblent alors d’elles-mêmes, tandis que les chercheurs contrôlent différents paramètres en fonction des propriétés désirées. Dans le cadre européen GreeNanoFilms, Redouane Borsali se sert de copolymères, à base de glucose, saccharose ou encore de cyclodextrine, pour former des films ultraminces, nécessaires aux procédés de lithographie nanométrique. En plus d’être biosourcées, ces résines atteignent une résolution quatre fois meilleure que celles issues de dérivés de pétrole.
« Toshiba, Hitashi, Tokyo Electron… l’industrie microélectronique japonaise s’intéresse beaucoup à nos brevets, s’enthousiasme Redouane Borsali. Avec notre gain de résolution, on peut stocker six fois plus de données sur une même surface qu’avec un système issu du pétrole. À terme, ce sera vingt ou trente fois plus. » Ces matériaux trouvent également des applications dans les LED organiques, les cellules photovoltaïques ou encore pour des biocapteurs sur substrats flexibles.
Des pneus renforcés
Autre matériau constitué de sucres et bien connu dans l’industrie du papier : la cellulose. Laurent Heux, directeur adjoint du Cermav, en détricote les structures naturelles afin d’isoler les plus petites briques élémentaires possible afin de construire de nouveaux matériaux.
« Nous déstructurons la matière végétale jusqu’à atteindre l’échelle nanométrique, détaille-t-il. Suivant le procédé, on obtient alors des nanocristaux de cellulose, ressemblant à des grains de riz, ou bien des micro/nanofibrilles de cellulose, plutôt en forme de spaghettis. » Ces objets ne font que quelques nanomètres de diamètre et une centaine de nanomètres à plusieurs micromètres de long.
Le contrôle de leur structure a permis à l’équipe du Cermav, en collaboration avec la société Michelin, de renforcer des élastomères employés dans des pneus. Ils ont également conçu des cristaux liquides iridescents, en mimant l’organisation de la cellulose dans un fruit africain. L’étude de la cellulose rappelle le passé de Grenoble comme bastion de l’industrie du papier.
Aujourd’hui encore, en plus du Cermav, la capitale iséroise accueille le Centre technique du papier et Pagora, école d’ingénieurs spécialisée dans le domaine et travaillant de concert au sein de l’Institut Carnot Polynat. Selon Laurent Heux, l’industrie de la cellulose cherche des débouchés avec une plus forte valeur ajoutée que le papier.
« Divers éléments se télescopent dans l’engouement pour les matériaux biosourcés, avance Laurent Heux. Même s’ils sont parfois frileux en raison de coûts de revient plus importants, les industriels surveillent beaucoup ces matériaux afin de répondre aux contraintes grandissantes sur les dérivés de pétrole et aux évolutions de la législation liées à une demande sociétale pour des matériaux plus respectueux de l’environnement. » La recherche sur les sucres continue en tout cas de proposer de nouveaux résultats, des produits biosourcés aux propriétés et à la valeur ajoutée sans cesse améliorées.♦
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- 1. Unité CNRS/Institut national des sciences appliquées Lyon/Université de Lyon/Université Claude-Bernard-Lyon-1/Université Jean-Monnet Saint-Étienne.
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Auteur
Diplômé de l’École supérieure de journalisme de Lille, Martin Koppe a notamment travaillé pour les Dossiers d’archéologie, Science et Vie Junior et La Recherche, ainsi que pour le site Maxisciences.com. Il est également diplômé en histoire de l’art, en archéométrie et en épistémologie.
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