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Des particules cosmiques pour ausculter les volcans

Des particules cosmiques pour ausculter les volcans

28.03.2017, par
La Soufrière de Guadeloupe. Certains muons issus du rayonnement cosmique possèdent un pouvoir énergétique tel qu'ils peuvent traverser le dôme volcanique de part en part, comme les rayons X traversent le corps humain lors d'une banale radiographie.
Radiographier les volcans pour mieux identifier leurs fragilités : c’est l'incroyable défi des télescopes à muons, une technologie mise au point il y a dix ans à peine et installée notamment sur le volcan de la Soufrière, en Guadeloupe.

Quel point commun y a-t-il entre les muons cosmiques et les volcans ? Aucun, en apparence… L’incroyable pouvoir de pénétration dans la matière de ces particules issues du rayonnement cosmique – il peut aller jusqu’à plusieurs centaines de mètres dans la roche – a pourtant mis la puce à l’oreille des géophysiciens, toujours à l’affût de nouveaux instruments pour ausculter notre planète. « Le muon est le produit de la collision entre une particule cosmique et un atome de gaz dans la haute atmosphère de la Terre, détaille Dominique Gibert, spécialiste des méthodes d’imagerie au laboratoire Géosciences1. Si l’on connaît le muon depuis les années 1940, c’est un peu par hasard que les physiciens des particules ont découvert son incroyable potentiel énergétique, lorsqu’ils ont commencé à enterrer les accélérateurs de particules pour échapper, croyaient-ils alors, au bombardement cosmique… En pure perte : les muons les plus énergétiques arrivaient quand même à traverser des dizaines de mètres d’épaisseur de sol et de béton ! » C’est d’ailleurs ce qui a motivé le physicien nobellisé Luis Alvarez à tenter une expérience de radiographie de la grande pyramide de khephren dès la fin des années 1960.

La surface de la planète est soumise à une pluie continue de muons qui arrivent de toutes les directions.

De là à utiliser les muons pour radiographier les volcans, comme on passerait n’importe quel objet aux rayons X… L’idée a germé il y a une dizaine d’années chez le géophysicien français, tandis qu’une équipe japonaise se lançait elle aussi dans l’aventure. « La surface de la planète est soumise à une pluie continue de muons – chaque centimètre carré recevant environ un muon par minute – et ceux-ci arrivent de toutes les directions, ce qui permet de faire des images sous tous les angles possibles », explique Dominique Gibert. Les premiers télescopes à muons, mis au point avec l’Institut de physique nucléaire de Lyon,  ont été installés sur le volcan de la Soufrière en Guadeloupe au début des années 2010. Et ont aussitôt suscité l’enthousiasme de la communauté des volcanologues.

Repérer les cavités et fractures

Car si l’on connaît bien les principes généraux de fonctionnement du volcanisme, les volcans disséminés partout sur la planète restent de véritables boîtes noires pour les scientifiques, qui rêvent de savoir ce qu’il se passe à l’intérieur. « Au-delà des montées de magma qui peuvent donner lieu à des coulées de lave, les volcans sont avant tout des systèmes hydrothermaux pouvant emmagasiner une énergie considérable : ils sont remplis de cavités et de fractures où circulent en continu de l’eau et de la vapeur rendues très acides par les gaz volcaniques provenant de la chambre magmatique. Ce phénomène ronge littéralement les dômes volcaniques de l’intérieur », explique Dominique Gibert. À telle enseigne que, pour la plupart des volcans en activité, le risque le plus important n’est pas celui d’une éruption, mais bel et bien l’effondrement d’une partie, voire de la totalité du dôme volcanique.

Six télescopes à muons ont été installés autour du volcan de la Soufrière en Guadeloupe. Il faut deux semaines à un télescope pour réaliser une image.
Six télescopes à muons ont été installés autour du volcan de la Soufrière en Guadeloupe. Il faut deux semaines à un télescope pour réaliser une image.

Contrairement aux méthodes d’imagerie testées jusqu’à présent, comme la tomographie électriqueFermerLa tomographie électrique permet de faire passer du courant sur les volcans et de renseigner sur la nature des roches rencontrées, mais elle est incapable de faire la distinction entre une cavité pleine d’air, qui ne conduit pas l’électricité, et un amas d’andésite, cette lave massive au fort pouvoir isolant. ou la tomographie sismiqueFermerCette méthode d’imagerie consiste à envoyer des vibrations dans le sol pour en déterminer la nature, mais elle peine à détecter les cavités à l’intérieur des volcans car les ondes ont tendance à les contourner., le grand intérêt de la tomographie muonique est qu’elle renseigne précisément sur la densité des matériaux rencontrés à l’intérieur du volcan et permet aux chercheurs d’en déterminer la nature (roche, liquide, gaz), de repérer les cavités présentes mais aussi les zones moins denses du volcan, où les fragilités sont les plus probables. Attention, on ne parle pas ici de clichés pris quotidiennement : sur le volcan de la Soufrière en Guadeloupe, large d’environ un kilomètre, il faut deux semaines à un télescope pour réaliser une image ; sur des volcans plus étendus comme l’Etna ou le Vésuve, il faudrait une année avec les détecteurs utilisés actuellement – « trois mois si l’on augmentait leur surface », précise Dominique Gibert.

Plongée dans la vie intime du volcan

Malgré la (relative) rareté des clichés, la tomographie muonique révèle déjà des aspects inattendus de la vie intime des volcans. « Il y a deux ans, le rejet de fumerolles par la Soufrière a commencé à s’intensifier alors qu’elle portait cinq télescopes à muons sur son flanc sud », raconte Dominique Gibert qui, pour la toute première fois dans l’histoire de la volcanologie, a pu observer les phénomènes alors qu’ils étaient en train de se produire à l’intérieur du volcan.

En l’espace de quelques mois, on a vu le volcan devenir moins dense, moins opaque sur les clichés.

« En l’espace de quelques mois, on a assisté à des changements extrêmement rapides, s’étonne encore le géophysicien. On a vu le volcan devenir moins dense, moins opaque sur les clichés ; des poches de vapeur se sont formées et ont chassé l’eau liquide présente sous le cratère sud. » Les masses mises en jeu n’ont pas manqué de surprendre les chercheurs : en deux mois, durant l’été 2014, pas moins d’un million de tonnes de fluides se sont déplacées dans le volcan ! Des résultats si probants qu’il est désormais envisagé d’intégrer de façon permanente les télescopes à muons au réseau de surveillance de la Soufrière, afin de prédire les risques d’effondrement et les potentielles éruptions phréatiques – ces explosions liées à une production soudaine de vapeur d’eau dans le volcan.

Ces radiographies en densité apparente du dôme de la Soufrière de Guadeloupe (réalisées depuis deux endroits différents) révèlent la forte hétérogénéité de l'édifice volcanique, fortement altéré depuis sa formation en 1530.
Ces radiographies en densité apparente du dôme de la Soufrière de Guadeloupe (réalisées depuis deux endroits différents) révèlent la forte hétérogénéité de l'édifice volcanique, fortement altéré depuis sa formation en 1530.

L’expérience menée à la Soufrière fait en tout cas des envieux autour de la planète. La Nouvelle-Zélande a demandé à s’équiper de télescopes à muons, et les scientifiques du laboratoire Géosciences et de l’Institut de physique nucléaire de Lyon devraient bientôt poser leurs appareils sur la Soufrière de Montserrat, cette île toute proche de la Guadeloupe qu’une éruption a ravagée en 1995, donnant naissance à un tout nouveau dôme volcanique. Attention, cependant : les télescopes à muons ne permettent pas de détecter la survenue d’éruptions magmatiques. « Pour détecter la montée de lave dans le volcan, il faudrait placer nos détecteurs sous le volcan, ce qui est évidemment impossible », précise Dominique Gibert.

Les télescopes à muons donnent déjà des idées à d’autres disciplines. Utilisés en hydrologie, ils pourraient permettre de visualiser les mouvements de masses d’eau sous les plateaux karstiques du sud-est de la France (et d’ailleurs)... D'autres veulent s'en servir pour évaluer la sûreté des lieux choisis pour faire du stockage en profondeur de déchets radioactifs ou de CO2. Des industriels s'y intéressent même pour avoir un nouveau regard sur leurs procédés.

Notes
  • 1. Unité CNRS/Université de Rennes 1.

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